Une peinture profane partiellement émancipée

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 6 août 2007 - 489 mots

Éminemment religieuse, la peinture espagnole classique s’ouvre cependant aux natures mortes et aux portraits qui, toutefois, restent sous l’emprise de leurs commanditaires.

Si la peinture espagnole, dans le contexte de la Contre-Réforme, est empreinte d’une profonde religiosité, certains genres ont permis aux peintres d’échapper à ce carcan, comme la nature morte ou le portrait, le paysage restant relativement peu répandu.
Toutefois, certains de ces sujets, s’ils ne narrent pas ou ne mettent pas en scène l’histoire biblique, demeurent marqués d’une rigueur non dénuée de mysticisme.

Le temps suspendu de la nature morte depuis Cotán
Ainsi en est-il des étonnantes bodegónes de Juan Sánchez Cotán, devenu moine à plus de quarante ans, toutes peintes sur un fond noir d’encre. La Nature morte au cardon (vers 1604, musée des Beaux-Arts, Grenade) illustre ce thème devenu emblématique de l’école es­pagnole. Les légumes y sont figurés avec une grande simplicité, sans accessoires ni artifices, à l’intérieur d’un garde-manger.
Le temps paraît suspendu dans cette atmosphère d’humilité presque pénitente, loin de l’éclat de luxe de certaines natures mortes flamandes. Mais, malgré ce dépouillement extrême, la composition s’articule avec une grande rigueur, les volumes et les ombres s’organisant selon une distribution mathématique.
Une maîtrise qui inspirera plusieurs générations de peintres, tels que Juan Van der Hamen, Antonio de Pereda, Luis Meléndez ou Francisco de Goya mais aussi, deux siècles plus tard, Juan Gris dans ses premières natures cubistes. Ainsi de La Table (Nature morte au lapin, vers 1920, collection particulière) avec son ordonnancement rigoureux, élargi toutefois au champ de la table, ou encore des premières compositions cubistes de Picasso, envahies par les tonalités de gris.

La femme et l’enfant, deux sujets chéris par les peintres
Mené à un point d’excellence par Diego Velázquez, l’art du portrait est lui aussi un domaine de prédilection des peintres espagnols. Fond noirs, sobriété, rigueur du modèle souvent engoncé dans sa fraise sont des traits dominants des portraits masculins. Ce, jusqu’à Picasso, qui utilise une formule identique pour représenter son fidèle assistant, Jaime Sabartés, peint en aristocrate du cubisme.
L’enfance est également un thème récurrent, traité souvent avec distance ou avec des traits caricaturaux annonçant l’âge adulte. Seuls Velázquez et Goya parviendront à y distiller pureté et innocence. Les femmes sont quant à elles représentées d’une manière qui tente de concilier le luxe de leur statut social à une attitude d’introspection propre à maintenir une distance avec le spectateur. Cela jusqu’aux figures féminines omniprésentes chez Picasso, qui symbolisent à la fois le plaisir et le péril qui menace à leurs côtés.
Le dernier thème profane toléré par les autorités, celui du paysage, est à son tour très éloigné d’éventuels modèles importés d’Italie ou des Flandres.
Si, chez un Greco, son traitement glacial n’est que prétexte à accentuer la charge dramatique d’un sujet religieux, il devient enfin autonome avec Goya, où il illustre la solitude humaine face à son destin, avant de s’embraser ou de représenter la désolation de l’humanité chez Picasso.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°588 du 1 février 2007, avec le titre suivant : Une peinture profane partiellement émancipée

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