Justice

Une nouvelle défense pour l’électricien de Picasso

L’électricien ayant travaillé chez les Picasso affirme que les œuvres en sa possession lui auraient été données par la veuve de l’artiste. La famille Picasso et l’accusation dénoncent un « nouveau mensonge »

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 8 novembre 2016 - 774 mots

AIX-EN-PROVENCE

Lors de son procès en appel, Pierre Le Guennec, l’ancien électricien de Picasso chez lequel ont été saisies 271 œuvres de l’artiste, a reconnu avoir menti. Tout en se défendant d’avoir volé ces dessins, il affirme qu’ils lui auraient été offerts par Jacqueline Picasso afin de les soustraire à l’inventaire lors de la succession. Un scénario que conteste vivement la famille de l’artiste.

AIX-EN-PROVENCE - Pierre Le Guennec, l’électricien de Picasso dans les années 1970 chez lequel ont été saisies 271 œuvres du peintre, est-il un « artiste du mensonge » ou un homme simple, « ruiné » et « écrasé par les événements » ? Lundi 31 septembre, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a entendu les deux versions. Condamnés en 2015 à deux ans de prison avec sursis, Pierre Le Guennec, 78 ans, et son épouse Danielle, 73 ans, ont changé de ligne de défense. Leurs trois avocats cannois et bordelais ont soudainement disparu, remplacés par un ténor du barreau, Me Éric Dupond-Moretti, qui a vivement attaqué la gestion du dossier par ses prédécesseurs.

« J’ai menti », avoue Pierre Le Guennec d’une voix hésitante. Il se défend cependant d’avoir dérobé les œuvres, datant de 1900 à 1932, que le couple a conservées dans le plus grand secret durant plus de quarante ans : de rarissimes collages cubistes, des portraits de la première épouse Olga ou d’amis comme Guillaume Apollinaire ou Max Jacob, deux carnets de croquis… – le tout estimé entre 70 et 80 millions d’euros. Le retraité reconnaît cependant que ce trésor ne provenait pas de Pablo Picasso, comme il l’a affirmé jusqu’alors. Selon cette nouvelle version, « quelques mois » après le décès du peintre en avril 1973, sa veuve Jacqueline lui aurait demandé de « remiser dans son garage 16 ou 17 sacs-poubelle », qu’elle aurait remplis elle-même, à un moment où « elle avait des problèmes avec Claude Picasso ». Claude, qui représentait la succession à l’audience, est le fils du peintre né d’une précédente union, avec Françoise Gilot.

« Quelques mois » plus tard, Jacqueline Picasso aurait demandé à l’électricien de rapporter les sacs-poubelle. Elle lui aurait alors offert « le dernier sac, au hasard ». Même Me Dupond-Moretti le reconnaît, son client est difficile. Il s’embrouille, se contredit, lâche un lapsus : « Monsieur et Madame voulaient que cela reste discret. » Pressé de questions sur les motifs qui ont pu pousser Jacqueline Picasso à dissimuler ce butin, le septuagénaire lâche : « Pour pas qu’elles soient dans la succession, dans l’inventaire », expliquant « avoir menti par peur d’être accusé de vol ou de complicité ». Et pour « ne pas salir » Jacqueline Picasso, renchérit son épouse. Me Dupond-Moretti ne prend pas de gants pourtant pour asséner que les œuvres étaient destinées à « remercier » son client « d’avoir permis à Jacqueline Picasso de faire échapper certaines pièces à l’inventaire ». Il requiert un supplément d’information, en réclamant un examen détaillé de la succession, pour tenter de déterminer le nombre d’« œuvres qui se baladent ».

« Version abracadabrante »
Me Anne-Sophie Nardon, avocate de la fille de Jacqueline Picasso, Catherine Hutin-Blay, s’emporte contre cette « volte-face à laquelle on ne peut attacher aucun crédit » : « Il est absurde d’imaginer que Jacqueline Picasso aurait entassé des dessins et autres œuvres de son époux qu’elle admirait tant dans des sacs-poubelle ! » Elle fustige la « bassesse incroyable » des Le Guennec qui « ont tout fait pour salir la famille Picasso, l’attaquant jusque dans son intimité tout au long de la procédure ».
Pour Claude Picasso, Me Jean-Jacques Neuer récuse une « version complètement abracadabrante » : « Cette opération n’aurait eu aucun sens, puisque l’inventaire conduit par Maurice Rheims a duré de 1974 à 1978. » Aussitôt, Mme Le Guennec corrige les dates, en avançant qu’ils avaient dû garder les sacs « quelques années ». L’avocat en profite pour tracer le portrait machiavélique d’un couple accusé d’avoir trafiqué avec un cartel de marchands, alimenté au départ par un défunt cousin de Le Guennec, Maurice Bresnu, dit « Nounours ». Il est maintenant reconnu que celui-ci, qui fut un temps le chauffeur de Picasso, lui aurait dérobé de 500 à 600 œuvres. « Aucun rapport ! », balaie Me Dupond-Moretti, tandis que Me Antoine Vey, qui l’assiste, souligne que le couple a présenté les œuvres à la Picasso Administration, preuve de leur innocence.

L’avocat général rétorque que les accusés, mal inspirés par le précédent Bresnu, « se croyaient protégés par la prescription ». Soulignant leur absence de crédibilité, il demande au moins deux années de prison avec sursis. Décision le 16 décembre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°467 du 11 novembre 2016, avec le titre suivant : Une nouvelle défense pour l’électricien de Picasso

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