Distinction

INSTITUTION FRANÇAISE

Une distinction en faveur du rayonnement de la culture

Par Damien Roger · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2022 - 1228 mots

Il y a soixante-cinq ans, le 2 mai 1957, était instauré l’ordre des Arts et des Lettres.

France. L’ordre de Saint-Michel (distinction ayant cours de 1469 à 1830) a précédé durant près de quatre siècles d’existence l’ordre des Arts et des Lettres. Destiné à l’origine à la haute aristocratie, il tend, au XVIIe et XVIIIe siècles, à devenir un ordre de mérite civil. Saint-Michel décore alors de nombreux artistes et gens de lettres. Sous le règne de Louis XIV, les architectes et les peintres constituent une part importante des personnalités honorées, à l’instar d’André Le Nôtre, Jules Hardouin-Mansart, Hyacinthe Rigaud ou Carle van Loo. L’ordre de Saint-Michel ne récompense pas seulement le génie ou le talent mais aussi l’exercice de fonctions officielles, la participation à la glorification du règne et la notion implicite de service du roi. L’exercice de fonctions dans l’administration des beaux-arts ou à la cour joue ainsi un rôle prépondérant pour se voir remettre l’insigne.

À la Révolution, les anciens ordres royaux sont abolis et de nouvelles décorations sont instaurées au premier rang desquelles la Légion d’honneur (1802). Napoléon remet cette distinction à de nombreux artistes comme le peintre Jacques-Louis David ou le sculpteur Jean-Antoine Houdon. Sous la Restauration (1815-1830), la Légion d’honneur est conservée au côté d’un ordre de Saint-Michel rétabli. Tous deux vont alors honorer les arts et les lettres, mais dans des registres différents : la Légion d’honneur décore au premier chef de jeunes talents prometteurs, l’ordre de Saint-Michel récompense pour sa part un mérite déjà mûri, en particulier parmi les membres de l’Institut. L’ordre de Saint-Michel disparaît en 1830 avec l’avènement de la monarchie de Juillet. En 1866, les Palmes académiques, dont l’origine remonte à l’Empire, deviennent, sous l’impulsion de Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique, la récompense républicaine des mérites acquis dans le domaine des arts comme dans celui de l’enseignement.

Multiples créations d’ordre spécifique

À compter de la fin du XIXe siècle, la tendance est à la création de décorations spécialisées. Avec l’instauration du Mérite agricole, en 1883, se généralise le concept d’ordres individualisés qui permettent à un ministère de récompenser les personnes méritantes relevant de sa compétence. Les créations d’ordres se multiplient : Mérite maritime en 1930, Mérite social en 1936, Mérite commercial et industriel en 1939, Mérite artisanal en 1948, Mérite touristique en 1949, Mérite postal en 1953, Mérite sportif en 1957 jusqu’à l’instauration en 1958 d’un Mérite saharien lors la création d’un ministère du Sahara.

La création d’un ordre spécifique pour la culture s’inscrit logiquement dans la politique de diversification des décorations menée successivement par les IIIe et IVe Républiques. Disposer d’une récompense prestigieuse doit aussi permettre à la France de retrouver un rôle moteur dans la vie artistique mondiale après le traumatisme des années de guerre. Le prestige international de la culture française, l’autonomie grandissante de la Direction des Beaux-Arts au sein du ministère de l’Éducation nationale, tout milite en faveur de la création d’une décoration spécifique adaptée au monde de l’art et de la littérature. Cette évolution est d’autant plus nécessaire que les Palmes académiques sont définitivement dotées d’un statut d’ordre ministériel classique en 1955. Le terme « académique » s’accommode par ailleurs bien mal de l’idée de créativité que l’on cherche à récompenser parmi les artistes.

Un prestige immédiat

Le 2 mai 1957, en pleins soubresauts algériens, l’ordre des Arts et des Lettres est institué. Le décret est signé par Guy Mollet, Premier ministre, et par Jacques Bordeneuve, secrétaire d’État des Arts et des Lettres. Le nouvel ordre ainsi créé est « destiné à récompenser les personnes qui se sont distinguées par leurs créations dans le domaine artistique ou littéraire ou par la contribution qu’elles ont apportée au rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde ». Le prestige de l’ordre des Arts et des Lettres est immédiat. Il suffit de consulter la liste de la première promotion – Le Corbusier, Marc Chagall, Kees Van Dongen, Jules Romains, Marcel Pagnol – pour comprendre l’engouement que cet ordre a immédiatement rencontré. La création de cette distinction dans les derniers jours du gouvernement de Guy Mollet rappelle également que l’encouragement accordé à la culture ne fut pas l’apanage de la Ve République, même si c’est le ministère des Affaires culturelles, créé deux ans plus tard le 3 février 1959, qui donnera ses lettres de noblesse à cette décoration.

Lorsqu’en 1955 est refondé l’ordre des Palmes académiques, c’est au sculpteur Raymond Subes que l’on demande de dessiner le modèle du nouvel insigne. Artiste passé maître dans l’art et le travail du métal, Subes jouit d’une excellente réputation tant il s’est brillamment illustré dans les arts décoratifs français de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre. C’est donc logiquement que, deux ans plus tard, le ministère de l’Éducation nationale, auquel est rattaché le secrétariat d’État des Arts et des Lettres, lui confie le dessin du nouvel ordre.

De gauche à droite : insigne de Chevalier, insigne de Commandeur, insigne d’Officier de l’ordre des Arts et des Lettres. © Ader.
De gauche à droite : insigne de Chevalier, insigne de Commandeur, insigne d’Officier de l’ordre des Arts et des Lettres.
© Ader

En l’absence de documents officiels éclairant les raisons du choix de cet insigne et de son ruban, on ne peut qu’émettre des hypothèses sur sa symbolique. Les huit branches réunies par l’arabesque peuvent représenter les huit arts principaux (architecture, cinéma, danse, musique, peinture, sculpture, poésie et théâtre). Dans la symbolique des couleurs, le vert est la couleur de l’espérance, de l’immortalité, de la longévité, de la régénération et de la sagesse. Outre ces considérations symboliques, il semblerait que la couleur verte ait été également adoptée pour s’harmoniser avec les broderies vertes de l’habit des membres de l’Institut. Au centre de la croix, un médaillon d’argent émaillé de blanc porte le monogramme « A.L » (Arts et Lettres) [voir ill.]. La décoration de l’ordre des Arts et Lettres possède enfin cette particularité d’être la seule décoration française dont l’effigie de la République est placée sur le revers, la raison en étant peut-être de montrer ainsi l’universalité de ces disciplines dans le monde.

17 ordres sont fusionnés dans l’ordre du Mérite

En 1963, le général de Gaulle lance une réforme drastique des ordres ministériels. Le président de la République, Grand maître de la Légion d’honneur, cherche ainsi à lutter contre la prolifération des distinctions qui rend peu lisible le système des décorations français. Dix-sept ordres ministériels, coloniaux et civils sont supprimés et fondus dans l’ordre national du Mérite nouvellement créé. André Malraux et De Gaulle s’accordent néanmoins pour conserver l’ordre des Arts et des Lettres, encore jeune, alors même que la plupart des autres distinctions disparaissent. Le ministre des Affaires culturelles note alors : « Cet ordre est respecté et envié des artistes, des écrivains, des créateurs, y compris de ceux qui ne nous aiment pas. Le supprimer serait une insulte à ceux qui l’ont et une déception pour ceux qui y aspirent. »

Le rapport du président de la République qui précède le décret portant création de l’ordre national du Mérite, le 3 décembre 1963, est à ce sujet très explicite. « En procédant à la suppression de la plupart des ordres de mérites secondaires, il est apparu nécessaire cependant de maintenir l’ordre […] des Arts et des Lettres en raison du prestige particulier que lui confère la qualité éminente des personnes nommées ou promues depuis sa création. » Sauvé in extremis par le prestige, le talent et la notoriété de ses membres, qui trouvent en André Malraux un avocat infaillible, l’ordre peut ainsi poursuivre son histoire, illustrant le caractère exceptionnel de la reconnaissance que l’État apporte aux artistes, qui est encore aujourd’hui un élément clé de l’exception culturelle française.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Une distinction en faveur du rayonnement de la culture

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