Vol

États-Unis - Canada

Une course poursuite effrénée

Le manque de formation des policiers américains face aux vols d’œuvres d’art

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 février 1995 - 1022 mots

En Amérique du Nord, les dix dernières années ont vu le nombre de vols d’œuvres d’art croître considérablement. Mobilisé depuis plus longtemps, le Canada obtient de meilleurs résultats que les États-Unis en matière de taux d’élucidation de ces affaires. Malgré l’informatisation des données et la création de départements spécialisés, les recherches achoppent sur la perméabilité des frontières, la rapidité des trafiquants et le manque de formation des policiers à cette forme de criminalité particulière.

WASHINGTON - Certains experts estiment le montant annuel des vols d’œuvres d’art commis aux États-Unis à environ 2 milliards de dollars (11 milliards de francs), mais d’autres, prenant en compte le fait que certains vols ne sont jamais déclarés, parlent de 6 milliards de dollars (32,4 milliards de francs). Dans les années soixante-dix, les États-Unis et le Canada ont commencé à centraliser les déclarations de vols afin d’augmenter les chances de retrouver les objets. La coopération entre policiers et agences privées était devenue habituelle lorsque, dans les années quatre-vingt, la flambée des prix sur le marché de l’art a rendu les objets d’art encore plus attirants pour les voleurs.

En 1980, le Bureau central national d’Interpol d’Ottawa créa un département des biens culturels, spécialement chargé de rassembler et de gérer les informations disponibles sur les vols d’objets d’art et les délits s’y rattachant. Ce département travaille en collaboration avec la communauté artistique et les forces de police, tant sur le plan national qu’international. De plus, tous les services de police du Canada sont reliés à Interpol, que dirige la Police montée royale canadienne.

12 % des œuvres retrouvées
En 1983, le Registre canadien d’œuves et d’objets d’art volés (ROSA) a été créé. C’est une banque de données nationale, sur disques optiques, qui centralise renseignements et images émanant des rapports de police et d’Interpol. 19 000 œuvres d’art volées y sont aujourd’hui enregistrées, auxquelles s’ajoutent, chaque année, de 120 à 240 nouveaux vols commis au Canada. 90 % des vols sont perpétrés dans les provinces du Québec, de l’Ontario, et en Colombie britannique.

Les villes de Montréal et de Toronto comptent, à elles seules, presque la moitié des vols. En 1994, une équipe spéciale de la Police de Montréal a retrouvé trente toiles, d’un montant estimé à 600 000 dollars canadiens (23,4 millions de francs), parmi lesquelles plusieurs œuvres de l’artiste canadien Marc Aurèle Fortin, volées à un collectionneur privé un an auparavant. En mai 1994, cette même équipe aida à retrouver un portrait peint par Anthony Van Dyck, volé en Irlande en 1990. Parce qu’il s’est mobilisé plus tôt que les autres pays, le Canada a un taux plus important de cas élucidés : le pourcentage d’œuvres retrouvées se situe entre 5 et 10 %, mais il atteint près de 12 % au Canada.

Aux États-Unis, le Federal Bureau of Investigations (FBI) s’occupe des vols d’œuvres d’art à l’échelon national, tout en menant l’enquête en relation avec les services de police régionaux et locaux. Néanmoins, pour que le FBI puisse intervenir dans une affaire de vol, il faut que l’objet dérobé soit sorti des frontières de l’État d’origine et que sa valeur dépasse 50 000 dollars (270 000 francs). Le FBI utilise également une banque de données nationale sur les vols d’objets d’art. Créée en 1979 à Washington, elle recense une dizaine de milliers de cas et n’est accessible qu’aux agents du FBI. Le bureau Interpol de Washington possède également la sienne.

Des unités locales spécialisées
Le FBI prit une initiative capitale, en 1993, lorsqu’il organisa une conférence internationale sur le vol des objets d’art. Les représentants de très nombreux pays ainsi que les divers services de police américains ont ainsi pu nouer des liens et échanger des informations fort utiles à leurs enquêtes respectives. Contrai­rement à la France, l’Italie ou au Royaume-Uni, les États-Unis ont peu d’officiers de police spécialisés dans le vol d’œuvres d’art, et ceux-ci manquent cruellement d’une formation dans ce domaine.

Cependant, dans certaines grandes villes, et notamment à New York, Los Angeles et Philadelphie, le FBI a créé des départements spécialisés dans les vols d’objets d’art. En outre, les deux villes américaines dans lesquelles le marché de l’art est le plus développé, New York et Los Angeles, ont créé des unités locales spécialisées.

Récemment, les agents fédéraux de New York ont retrouvé quelques œuvres de grande valeur, dont certaines toiles de grands maîtres volées à un marchand zurichois. Ils ont également joué un rôle capital dans la localisation d’un tableau de Brueghel, perdu lors de son transfert d’Iran en Allemagne en 1979. Le FBI de Los Angeles a récupéré 26 œuvres d’art amérindiennes qui avaient disparu du Southwest Museum. Mais le vol, en 1990, de la seule marine peinte par Rembrandt, Le Christ sur la Mer de Galilée, au Musée Isabella Stewart Gardner de Boston, n’a toujours pas été élucidé, malgré une enquête sans relâche.

Une criminalité en expansion
Les recherches des enquêteurs américains sont contrariées par la perméabilité des frontières, par la rapidité dont font preuve les trafiquants et par la diversité des lois s’appliquant, d’un État à l’autre, aux objets d’art volés. Bien que la collaboration entre les divers services de police soit dans l’ensemble performante, la taille du pays, ainsi que la subdivision en cinquante états, ralentit inévitablement les communications. Selon les chiffres du FBI, le taux d’œuvres retrouvées est de 5 % environ. Les 95 % d’objets manquants se trouvent souvent entre les mains de personnes parfaitement innocentes, ne sachant pas qu’elles ont acquis des biens volés.

La Fondation internationale pour la recherche artistique gère le Registre des objets d’art disparus en Amérique du Nord, dont les informations permettent parfois de résoudre certains cas.

La Fondation est une organisation privée à but non lucratif, qui sert de lien entre les différentes victimes, les compagnies d’assurance, les services d’enquêteurs et les autres parties impliquées dans ces affaires. Ces derniers temps, la police a constaté avec inquiétude que les œuvres d’art (volées ou non) servent de plus en plus à blanchir l’argent sale. Reste à savoir quelles incidences cette nouvelle pratique pourra avoir, tant sur les activités des voleurs que sur celles des hommes qui luttent contre cette criminalité en expansion.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : Une course poursuite effrénée

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