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Un refus de prêt d’un Caravage crée la polémique

Le ministre de la Culture s’oppose au transfert temporaire d’une toile d’une église napolitaine au Capodimonte. Le musée dénonce une instrumentalisation à des fins politiques.

Naples. S’il est facile de déplacer les foules pour les expositions consacrées au Caravage, il n’en va pas de même de certaines de ses toiles. L’une en particulier, Les Sept Œuvres de miséricorde, conservée dans l’église Pio Monte della Misericordia de Naples. Elle devait accueillir les visiteurs à l’entrée de l’exposition qui a lieu au Musée Capodimonte du 12 avril au 14 juillet et qui retrace les dix-huit mois que passa Michelangelo Merisi dans la cité entre 1606 et 1610. Le ministère italien pour les Biens et les Activités culturels refuse que le tableau quitte la chapelle où il se trouve. Il sera remplacé par des images en ultra haute résolution prises à l’aide de l’Art Camera de Google tandis qu’un service de navettes sera mis en place pour se rendre à l’église Pio Monte.

La dernière exposition consacrée au Caravage au Musée de Capodimonte, dirigé depuis 2016 par le Français Sylvain Bellenger, remonte à 2004. Quinze ans après, toutes les œuvres, ou presque, peintes par l’artiste à Naples sont réunies. Elles proviennent de toute l’Europe : les Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste de la National Gallery de Londres et du Palais royal de Madrid, mais surtout la Flagellation du Christ du Musée des beaux-arts de Rouen, laquelle vient tout juste d’être restaurée. Manquent à l’appel : le Crucifiement de saint André conservé au Musée d’art de Cleveland et le David avec la tête de Goliath du Kunsthistorisches Museum de Vienne. Les tableaux ne peuvent pas voyager pour des raisons de conservation. C’est le motif qui a été invoqué par Gino Famiglietti, le nouveau directeur général du ministère de la Culture, pour mettre au dernier moment son veto sur le déplacement des Sept Œuvres de Miséricorde. Il désavoue ainsi Luciano Garella, le surintendant aux beaux-arts et au paysage de Naples, qui avait donné son autorisation.

L’exposition avait déclenché une campagne de presse menée par d’influents historiens et critiques d’art italiens qui dénoncent l’inflation des expositions consacrées aux artistes connus du grand public, dans un intérêt plus lucratif que scientifique. Celles-ci nuisent à la compréhension des œuvres en les retirant de leur lieu d’origine et font peser sur leur état de conservation des risques inconsidérés. Les Sept Œuvres de Miséricorde de Caravage furent ainsi érigées en symbole de cette dérive, ses dimensions (390 x 260 cm) rendant complexe et périlleux un voyage d’à peine 2 km à vol d’oiseau.

C’est oublier les conditions dans lesquelles le tableau, qui avait trouvé refuge à Capodimonte après le séisme de 1980, a fait son retour dans sa chapelle d’origine en 1991. Les clichés de Stefano Renna pris à l’époque montrent l’objet posé à même le sol en pleine rue, sans protection particulière, au milieu des passants.

« Une bureaucratie italienne proche de celle soviétique »

En donnant gain de cause aux pourfendeurs de ce nouveau déplacement, le ministère a transformé le débat en polémique. Sur les pages de la presse transalpine, les historiens de l’art se sont interpellés et répandus en éditoriaux caustiques et entretiens acerbes. La querelle a mis en évidence l’absence de règle précise sur les prêts, absence qui permet à certains fonctionnaires d’exercer un pouvoir quasi discrétionnaire. Le chef d’orchestre napolitain Riccardo Muti a même ajouté sa note en apportant son soutien au directeur du Capodimonte, tandis que le maire de la ville, Luigi De Magistris, fustigeait « les vetos croisés, les professionnels de l’immobilisme qui ne jouissent de la culture que s’ils en sont à l’origine », avant de rendre un hommage appuyé à Sylvain Bellenger.

Pour ce dernier, le refus du prêt n’est qu’un prétexte, le sujet est avant tout politique. « Alors que de nombreux édifices du patrimoine de la Péninsule versent dans des conditions parfois critiques dans la plus grande indifférence, l’inquiétude autour de l’état de conservation d’un tableau qui n’était pas menacé a suscité une véritable campagne de presse, souligne-t-il. La bureaucratie italienne, proche de celle soviétique, est une expérience anthropologique. Certains fonctionnaires habitués à leur toute-puissance à l’intérieur du ministère n’ont toujours pas accepté que des directeurs étrangers aient été nommés à la tête de musées italiens. Leur refus n’aura pas réussi à remettre en cause l’exposition, mais simplement à lui donner un écho inédit. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : Un refus de prêt d’un Caravage crée la polémique

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