Un marché récent et stable

Les collectionneurs vus par les marchands

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 9 octobre 1998 - 1155 mots

Le marché de l’art précolombien, né dans les années vingt, ne s’est réellement développé que dans les années soixante, du fait de la multiplication des fouilles, du développement du tourisme et de l’organisation d’expositions. Les prix sont restés stables depuis vingt-cinq ans, sauf pour les pièces de très grande qualité, sur un marché qui a été épargné par les achats spéculatifs. Les grandes collections, encore peu nombreuses, sont le plus souvent aux mains d’Américains.

Les premières ventes publiques d’art précolombien ont été organisées à Paris à la fin des années vingt, sous la houlette d’André Portier. Quelques grands marchands comme Charles Ratton et Olivier Lecorneur travaillaient alors sur les bords de la Seine, d’autres à New York, comme Andre Emmerich ou Klejman. Mais le marché ne s’est réellement développé que dans les années soixante et soixante-dix avec la découverte de nombreux objets, comme ceux de la civilisation de Valdivia en Équateur (3200-2800 av. J.-C.). Aujourd’hui international, il se développe essentiellement par l’entremise de grands marchands installés aux États-Unis, en France et en Belgique, mais il est encore très restreint et peu connu du grand public. Il existerait en tout et pour tout, dans le monde entier, une cinquantaine de collectionneurs de haut niveau. La plupart sont américains, comme Jay Leff qui a rassemblé la plupart de ses pièces dans les années soixante, ou Robert Woods Bliss qui a fait don de sa collection à la Ville de Washington. Une aile du Metropolitan Museum of Art, à New York, où est conservé un ensemble d’objets précolombiens, a été ouverte au début des années quatre-vingt grâce à des dons de Nelson Rockefeller. De nouveaux collectionneurs américains se sont manifestés ces dernières années et, parmi eux, quelques jeunes qui s’intéressent à la fois à l’art précolombien et aux antiquités, souligne Stacy C. Goodman, responsable du département Art précolombien chez Sotheby’s à New York.

“Il existe quelques collections françaises qui ont été pour la plupart constituées dans les années cinquante et soixante, affirme l’antiquaire Bernard Dulon. Presque tous les clients importants sont aujourd’hui américains, belges ou allemands”. Les grands collectionneurs français se font rares, tandis que des Suisses, des Hollandais, des Italiens et des Espagnols sont très présents sur ce marché. “Les collectionneurs sont en général issus de milieux aisés, industriels, avocats ou médecins, explique l’expert Jacques Blazy. Mais des architectes et des artistes achètent aussi. Le développement du tourisme dans les années soixante-dix et quatre-vingt, et l’organisation de grandes expositions comme celles du Grand Palais ont amené de nouveaux collectionneurs et contribué à mieux faire connaître cet art”. L’expert Jean Roudillon évoque également quelques acheteurs travaillant dans le milieu du théâtre ou du cinéma.

Un marché dynamisé par les antiquaires
Les acheteurs de pièces d’art précolombien, qu’elles soient mayas, incas ou olmèques, les conservent en général longtemps, le plus souvent pendant une génération. “Ce sont des objets que les clients ne revendent pas. Ceci explique que ceux de grande qualité soient aujourd’hui très rares. Ces pièces sont chargées d’énergie et véhiculent un message, assure Santo Micali, responsable de la galerie Mermoz. La plupart d’entre elles étaient conçues pour des chamans qui les utilisaient comme objets de culte”.

“L’intérêt pour l’art précolombien et le développement de cette spécialité doit peu à l’action des maisons de vente, affirme l’antiquaire bruxellois Émile Deletaille. Des ventes publiques ont lieu à New York chez Sotheby’s deux fois par an, en mai et en novembre, mais elles ne réunissent que des pièces de piètre qualité.”

Un avis partagé par Santo Micali, qui rappelle cependant que l’enchère la plus haute jamais enregistrée est allée à un pendentif Tairona en or, estimé 150-250 000 dollars, qui s’est vendu 563 500 dollars (3,3 millions de francs) le 24 novembre 1997, chez Sotheby’s. Le même jour, un petit poncho brodé Paracas (100 av.-100 apr. J.-C.) a été adjugé 354 500 dollars, contre une estimation de 60-80 000 dollars.

“Les prix des pièces de très haut niveau ont augmenté de plus de 50 % depuis une dizaine d’années, explique Stacy C. Goodman. Ils stagnent en revanche pour celles de qualité inférieure”. Christie’s n’organise pas de vacations spécialisées, mais inclut des pièces d’art précolombien dans des ventes composites comprenant également des objets d’art latino-américains ou africains.

L’art précolombien a été épargné par les mouvements spéculatifs qui enflamment d’autres spécialités comme les tableaux modernes. “On pouvait acheter il y a trente ans des objets d’art précolombien de très grande qualité entre 10 000 et 30 000 francs. Aujourd’hui, il faudrait ajouter un zéro à ces prix. Les pièces les plus belles se vendent à New York dans une fourchette comprise entre 20 000 et 500 000 dollars (120 000 à 3 millions de francs)”, déclare Santo Micali. Pour les autres, les prix restent stables et n’augmentent que très lentement, suivant l’évolution de l’indice des prix, confirme de son côté Jean Roudillon.

En France, des ventes publiques de bon niveau se sont tenues dans les années soixante-dix, organisées principalement par Me Loudmer mais aussi par Mes Tajan et Boisgirard. Seule l’étude Loudmer a poursuivi ce mouvement en proposant avec constance, deux fois par an, des ventes spécialisées, comme celle des 27 et 28 juin 1989 à Drouot, au cours de laquelle a été dispersée la collection Yves Sabolo constituée de pièces de la culture Tumaco (500 av.-500 apr. J.-C.). Une céramique représentant une scène érotique, de la région La Lolita-Monte Alto (200 av.-100 apr. J.-C.) est partie à 35 000 francs, le prix le plus élevé de la vacation. Le 8 décembre 1990, toujours dans une vente organisée par Me Loudmer, une statuette anthropomorphe en diorite gris vert d’un personnage debout a été adjugée 200 000 francs. L’étude De Quay-Lombrail a rejoint ce trio en organisant quelques vacations : ainsi, le 7 décembre 1995 à Drouot-Montaigne, un masque olmèque en jade vert clair représentant le visage d’un chaman, provenant de la collection Esmeralda et Gérald Berjonneau, a été adjugé 400 000 francs.

“On trouve des objets d’art précolombien à partir de 500 francs, et pour quelques milliers de francs on a une belle pièce, affirme Jean Roudillon. Des prix aussi peu élevés n’existent pas dans d’autres formes d’art. La valeur des pièces est fonction de leur qualité artistique, de leur état, de leur époque, mais aussi de leur provenance”.

Que faut-il collectionner ?
Avant d’acheter, il importe de prendre en compte à la fois le pedigree de l’objet et sa provenance. À titre d’exemple, une pièce provenant de la collection Tristan Tzara, dispersée en 1989, ou de la collection Lacan se vendra à un prix plus élevé. “Il ne faut pas chercher à acheter dès le départ un objet exceptionnel, mais plutôt commencer avec de petites pièces agréables à regarder. Des objets plus importants ne devraient être achetés que dans un second temps”, poursuit-il.

Pour sa part, Jacques Blazy conseille au collectionneur néophyte d’acheter avant tout ce qu’il aime, après s’être formé l’œil en ayant vu beaucoup d’objets dans les galeries et les musées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Un marché récent et stable

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