Ventes aux enchères

Un marché brillant

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 24 septembre 2004 - 1080 mots

Le marché de l’art genevois est surtout actif dans les domaines de la joaillerie et de l’horlogerie. Mais le port franc permet à la ville de tirer son épingle du jeu dans d’autres spécialités.

Centre européen du commerce de luxe pour les uns, zone de transit pour les autres, Genève affiche clairement ses galons de capitale du marché de l’art. Outre son statut de lieu de villégiature privilégié, la ville helvétique bénéficie d’une fiscalité favorable, mais aussi d’un port franc, îlot de nombreuses transactions.

La concentration de marchands de pierres et de joailliers ainsi que la tradition horlogère sont à l’origine de cette réputation internationale. Plusieurs fois par an, les grandes maisons de ventes aux enchères se disputent une clientèle cosmopolite et huppée par le biais de vacations spécialisées en bijoux et en horlogerie – que certaines vont jusqu’à suivre à Saint-Moritz pour une vente annuelle  de haute joaillerie en février. Pour Thomas Seydoux, spécialiste chez Christie’s qui a longtemps travaillé à Genève avant de venir à Paris, le temps béni des rives du Léman est pourtant révolu : « Tant d’efforts ont été mis sur le développement du marché parisien, que la place genevoise s’est assagie. Le marché s’est déplacé et les clients ont suivi. Un transfert sans doute cyclique. »

Vente pour gentlemen
Christie’s est la seule maison à maintenir ses ventes de grands crus aux dépens des objets Art déco, des livres modernes, des voitures et autres spécialités qui ont migré vers Paris après l’ouverture du marché français. « Les ventes de bijoux avaient fait venir d’autres catégories de ventes susceptibles d’intéresser les mêmes acheteurs. La majorité de ces clients ne résidant pas en Suisse, il était facile de transférer ces spécialités vers Paris », précise Eveline de Proyart, directrice du développement de Christie’s à Genève. Une clientèle qui serait, à parts égales, américaine, asiatique et européenne. L’importation de bijoux et d’horlogerie est, par ailleurs, favorisée par la fiscalité suisse : « Un client étranger pourra importer et vendre ses pierres hors taxe à Genève tandis que l’acheteur payera la TVA de son pays de résidence. Un système extrêmement avantageux qui justifie le maintien de ces ventes à Genève », ajoute-elle.

En s’installant à l’Hôtel Beau-Rivage, Sotheby’s a opté pour la proximité avec le client, et compte, parmi ses succès, la vente de la collection de la duchesse de Windsor en 1987. Pierre Bergé & associés se démarque avec une vente de bibliophilie prévue à la mi-novembre précédée d’une vente combinée d’horlogerie, de bijoux et d’argenterie. Originaire de Bâle, Simon de Pury a longtemps régné en maître sur Genève mais sa société, Phillips, de Pury & Company, n’y tient désormais que deux ventes de joaillerie par an. Les années 1980 sont loin, les galas de charité se suivent et se ressemblent, mais l’implantation des grandes maisons à Genève reste tributaire du business getting (prospection de clientèle).

La petite maison britannique Bonham’s pourrait tirer son épingle du jeu avec sa « Gentlemen’s Sale » programmée le 2 octobre, une vente généraliste qui inclut voitures de collection, cigares et accessoires, telles des mallettes de pique-nique Louis Vuitton. S’il a le mérite de s’adresser aux passionnés de tout bord, ce type de vente n’est-il pas éphémère ? « Notre espoir est de voir ce concept s’installer », avance Simon Kidston, président de Bonham’s Europe, qui rappelle le succès qu’obtient depuis sept ans la vente Ferrari à Gstaad. La vente thématique serait le bon filon que Simon Kidston promet d’exploiter, pourvu que la Gentlemen’s Sale porte ses fruits.

Ce paysage est complété par quelques maisons locales, comme Antiquorum, spécialiste en horlogerie depuis 1974. Aujourd’hui d’envergure internationale, la « modeste » maison détient le record d’enchères pour une montre-bracelet : 6 603 500 francs suisses (4,5 millions d’euros) pour une Patek Philippe en platine de 1939. Dans le domaine des beaux-arts, la Galerie Koller s’adresse à une clientèle moins cosmopolite mais néanmoins avertie. Régulières, les ventes comprennent parfois de très belles pièces dans tous les domaines – céramique, tableaux anciens et XIXe, mobilier, art asiatique...
Du côté des antiquaires, Phoenix Ancient Art domine le marché des antiquités méditerranéennes, orientales et indiennes. Aviva s’est fait une spécialité des bijoux anciens, Tradart de la numismatique, Persia SA des tapis anciens et la Pomme d’Or de l’art byzantin et post-byzantin, tandis que les vétérans Daniel Varenne et Marc Blondeau se consacrent à l’art moderne et contemporain. Pour ce dernier, ancien ténor du marché parisien, « ce n’est pas la fiscalité qui fait la différence, mais la situation stratégique de Genève, qui est une véritable plaque de transit entre l’Europe et le reste du monde. L’ouverture sur l’international est plus grande qu’à Paris et le port franc facilite énormément les opérations d’export et d’import. »

Port franc
Le port franc est en effet une des bénédictions de Genève. Cet assemblage d’entrepôts anonymes, transformables en showrooms de luxe, permet de conclure des transactions hors taxes sur des biens qui ne font que transiter en territoire suisse. Les saisies ne sont pas rares, comme ces 3 000 antiquités estimées à plus de 12 millions d’euros découvertes en 1995 et récemment restituées à l’Italie, ou ces deux momies et 280 objets pharaoniques qu’un réseau international faisait passer pour des souvenirs de bazar égyptien en août 2003… Deux fragments des célèbres bouddhas de Bamiyan détruits par les Talibans y auraient même été aperçus ! Un projet de loi a par la suite été déposé auprès du Grand Conseil de Genève pour requérir de l’exploitant du port franc qu’il dresse l’inventaire des marchandises et dénonce la présence de tout objet d’origine suspecte. Mais la véritable bête noire des marchands serait une adhésion de la Suisse à l’Union européenne, qui impliquerait la perte de nombreux avantages légaux et fiscaux. Une adhésion encore rejetée par la majorité des électeurs suisses !

Antiquorum ( 41 22 909 28 50), Aviva ( 41 22 311 15 90), Pierre Bergé & associés (01 49 49 90 00), Marc Blondeau ( 41 22 544 95 95), Bonham’s ( 41 22 300 31 60), Christie’s ( 41 22 319 17 66), Galerie Koller ( 41 22 311 03 85), Phillips, de Pury & Company ( 41 22 906 80 10), Persia S.A. ( 41 22 321 67 66), Phoenix Ancient Art ( 41 22 318 80 10), La Pomme d’Or ( 41 22 312 20 10), Sotheby’s ( 41 22 908 48 00), Tradart ( 41 22 817 37 47), Daniel Varenne ( 41 22 789 16 75).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°199 du 24 septembre 2004, avec le titre suivant : Un marché brillant

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