Artisanat d'art

Un complément naturel aux meubles

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 1031 mots

Après une forte hausse enregistrée voilà cinq ans, les prix de la céramique des années 1950 tendent à stagner. Les objets de cette période adoptent peu à peu des tons vifs et l’effet « peau d’orange » supplante le craquelé.

Les années 1950 ont fait du potier un artiste à part entière, un homme moderne ouvert aux valeurs picturales comme aux univers formels de son époque, capable de produire des formes pures et dépouillées, inspirées et stimulantes dans l’ordre du sensoriel, du visuel et du tactile. » C’est en ces termes que le marchand Pierre Staudenmeyer décrivait en 2001 la révolution potière des années 1950, dans son livre-jalon aux éditions Norma (1). En jetant les bases d’une histoire, cet ouvrage contribua fortement à la valorisation des céramiques, compléments naturels des meubles dessinés à la même époque par Jean Prouvé ou Charlotte Perriand.

De fait, la redécouverte des potiers de cette décennie a épousé, avec un temps de retard, celle du mobilier. Affaire d’individus, la céramique n’a pas toujours été captée par l’édition, mais s’est parfois fourvoyée dans le mercantilisme. Dans cette décennie, la céramique bascule du baroque-figuratif des années 1940 à des formes plus abstraites inspirées de l’art moderne. Les coloris neutres cèdent la place à des tons vifs, jaune, rouge, orange ou vert. « Dans ces années, il y a une grande innovation au niveau des matières, rappelle le marchand parisien Thomas Fritsch. On connaît depuis longtemps le craquelé, mais d’autres effets comme la peau d’orange font leur apparition. » La figure de Georges Jouve a longtemps éclipsé celle de ses satellites. « Jouve avait parfaitement compris le marketing, souligne Thomas Fritsch.  Il prêtait des œuvres aux fabricants du Faubourg Saint-Antoine qui réalisaient des meubles bas de gamme, et dans le même temps vendait ses céramiques à la galerie Steph Simon. » Mort en 1964, Jouve a aussi une œuvre limitée dans le temps, emblématique de cette décade, mais suffisamment vaste pour nourrir le marché. Ses prix ont observé des pics ces dernières années. En mai 2001, sa fameuse Poule blanche donne le « la » avec l’enchère de 341 000 francs chez Le Mouel et Camard. Un vase sphérique, cédé pour 15 000 francs lors de la vente « Un regard d’Alan » en 1991, se propulse à 60 000 euros en novembre 2002 chez Tajan. L’envolée s’est depuis stabilisée, accusant même parfois un léger fléchissement. Les critères d’appréciation restent un brin dogmatiques. « Certaines formes sont plus prisées que d’autres, convient Thomas Fritsch. Le côté abstraction de Jouve a pris le pas sur les pièces plus figuratives. Le noir reste la couleur la plus recherchée, car elle valorise la forme et s’avère d’une grande neutralité. »

Créateurs sortant du lot
Même si le rayonnement de Jouve a occulté d’autres créateurs, ces derniers commencent à sortir du rang. « Le marché ayant besoin de se réalimenter, les gens recherchent les créations d’André Borderie et Pierre Székely dont on ne parlait pas encore voilà trois ans », remarque le spécialiste Jean-Marcel Camard. De même, Pol Chambost a bénéficié d’une exposition en septembre 2006 à la galerie Thomas Fritsch et de la publication simultanée d’une copieuse monographie. Tout autant que le contraste des couleurs comme le noir et le jaune anis, ce céramiste affectionne les oppositions de matières entre l’émail brillant et mat ou la matière satinée et grumeleuse en peau d’agrume. Bien qu’il ait collaboré avec des décorateurs célèbres comme Jean Royère, et qu’une de ses céramiques se soit même invitée dans le film Mon Oncle de Jacques Tati, ses prix s’avèrent encore raisonnables, entre 1 000 et 15 000 euros.

Une grande majorité de céramistes peinent toutefois à s’imposer malgré leur qualité. Ainsi l’apparente simplicité de Mado Jolain trahit une grande humilité. Influencée par les cultures orientales, Francine Del Pierre portait la technique à son plus haut degré d’excellence. Le regard devrait aussi se porter sur Denyse Gatard, sœur de Georges Jouve, dont Tajan propose le 20 novembre un pied de lampe au fût aplati pour l’estimation de 5 000 à 7 000 euros. Celle-ci s’inspire clairement des créations de son frère, en usant souvent de couleurs douces comme le vert anis. Mais dans le lot des créateurs encore tapis dans l’ombre, certains n’ont qu’une petite production, comme François Raty, d’autres quelques traits de génie bien trop fugaces.

La hausse des prix amorcée voilà cinq ans semble d’ailleurs s’éreinter. Certes, certains décorateurs entretiennent le marché en achetant depuis trois ans des ensembles de petites pièces en bloc. Mais parallèlement, certaines cotes ont pris du plomb dans l’aile, à l’image de Madoura, dont les jolis modèles stagnent actuellement de 1 000 à 1 500 euros. Accessoire et accessible, la céramique aurait-elle mangé son pain blanc ?

(1) La Céramique française des années 50, 320 p., 68,60 euros.

Redécouverte d’André Borderie

Le travail de céramique d’André Borderie est tellement rare que cette lampe à poser (ill. ci-contre), pourtant restaurée, s’est adjugée pour 19 800 euros le 26 juin chez Artcurial. André Borderie rencontre en 1946 Pierre et Vera Székely avec lesquels il s’installe deux ans plus tard à Bures-sur-Yvette puis à Marcoussis. En 1957, il quitte le couple Székely, mais continue à produire des céramiques en solo. Borderie sera plus qu’un simple céramiste. Soucieux d’un art intégré au milieu urbain, il avait adhéré en 1955 au groupe Espace réunissant artistes et architectes pour promouvoir l’art dans la cité. Cet engagement explique sa production de bas-reliefs et de sculptures d’extérieur. Comme le rappelle Pierre Staudenmeyer dans son ouvrage sur les céramistes des années 1950 (1), le quatuor de Bures-sur-Yvette est d’abord marqué par un esprit surréaliste, se traduisant par un bestiaire imaginaire. Le travail se dépouille peu à peu via des gravures sur des engobes épais donnant à la cuisson un aspect rugueux. De 1948 à 1953, les pièces portent le monogramme commun Borderie-Székely. En 1955, les trois artistes signeront individuellement chaque pièce. « Dans la période avec Székely, il y a beaucoup de références au graphisme. Tout seul, Borderie ira davantage vers la terre chamottée, le monochrome, la forme. Il est dans la sculpture architecturée », indique le marchand Philippe Jousse, lequel prépare une monographie à paraître en 2008. Ce dernier présentait en 1987 aux Puces de Saint-Ouen une coupe pour 1 800 francs. Il faudrait aujourd’hui miser dans les 38 000 euros pour l’acquérir. Autre temps, autres prix.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Un complément naturel aux meubles

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