Arts asiatiques

Un art impérial

Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2008 - 1075 mots

La porcelaine asiatique est au centre d’un marché fortement spéculatif.

Les trésors chinois restent au top du marché international de la porcelaine d’Asie. À Hongkong où s’enchaînent les records mondiaux, la cote des objets de Cour s’emballe, tandis qu’à Paris où des objets de Chine rares font des coups d’éclat, la porcelaine japonaise redevient attractive.
Au cœur d’un marché fortement spéculatif, la porcelaine impériale chinoise enflamme les enchères à Hongkong pour les pièces d’exception. Adjugé 32,8 millions de dollars de Hongkong (2,6 millions d’euros) le 27 mai un vase Dragon bleu impérial Qianlong de la dynastie Qing (1644-1911) a battu un record mondial chez Christie’s où sa cote a doublé en deux ans. De même, un vase Mallet de type Guan de la dynastie Song du Sud (1127-1279) atteignait un record à 67,5 millions de dollars de Hongkong (5,4 millions d’euros) le 11 avril chez Sotheby’s. « Depuis 1999, l’entrée sur le marché de nouvelles fortunes de la Chine populaire que l’on voyait peu a instauré une nouvelle compétition internationale », analyse Nicolas Chow, à la tête du département Arts d’Asie chez Sotheby’s à Hongkong. « Les riches acheteurs de Chine, Taiwan et Hongkong ont poussé le marché de la porcelaine impériale au point que les amateurs américains et européens essaient difficilement d’enchérir », observe Paula Antebi, son homologue chez Christie’s à Hongkong. Si ces nouvelles fortunes s’entichent de pièces décoratives tardives de la Famille Rose et du XIXe siècle, une clientèle de Taiwan, Hongkong et des États-Unis au goût plus sophistiqué se focalise sur les pièces rares des dynasties Song (Xe-XIIIe siècle) à l’esthétique épurée et des bleu et blanc des dynasties Ming (1368-1644). « Les prix obtenus à Hongkong reflètent largement des techniques de marketing parvenant à convaincre ces nouveaux milliardaires d’acheter à des montants faramineux. Ces pratiques faussent les cours d’un marché sinistré dont les pièces communes qui se vendaient cher ne trouvent plus preneurs », estime Thierry Portier, expert en Arts d’Asie de maisons de ventes parisiennes. L’archéologie, la porcelaine d’exportation, les objets funéraires sont boudés. À Paris, Londres, New York et Hongkong où abondent les faux, le marché se replie sur le nec plus ultra des vases, des bols et plats produits sous la dynastie Yuan (XIVe siècle) comme par les empereurs mécènes Yongle, Xuande et Chenghua de la période Ming (1368-1644) et par les empereurs Kangxi, Yongzheng, Qianlong de la période Qing (1644-1911). Ces marques impériales, parfois contrefaites, sont valorisées « car ces empereurs commanditaient les plus grands artistes dont l’infinité d’inventions techniques et artistiques caractérise ces époques réputées les plus épanouies », souligne Paula Antebi. En juin dernier à Paris Sotheby’s a obtenu 360 750 euros pour une coupe monochrome blanche Ming. Un rare grand plat bleu et blanc d’époque Yuan (1271-1368), qui a doublé son estimation à 816 000 euros (frais compris) chez Ader, a été acheté sans surprise par le marché chinois.

Objets de Cour précieux
Face à la belle marchandise qui se raréfie, Hongkong fait monter en flèche la cote des objets précieux de Cour qui incluent objets de lettrés, mobilier et textiles. Le 11 avril, « Vingt-cinq chefs-d’œuvre en or d’époques Ming et Qing » de la collection suédoise Kempe ont été adjugés chez Sotheby’s : les dix-sept lots vendus ont doublé le chiffre d’affaires attendu de cette vente en atteignant 19,4 millions de dollars (12,2 millions d’euros). Lot phare, un rare pot en or à couvercle et serti de pierreries, période Xuande de la dynastie Ming (estimé 70 000/90 000 de dollars de Hongkong) s’est envolé à 116,8 millions de dollars de Hongkong (9,4 millions d’euros). Signe de cet engouement, 90 % des objets en métal précieux de la collection Kempe dispersés le 14 mai à Londres ont été emportés par un futur musée d’art universel au Moyen-Orient, tandis qu’à Toulouse un sceau en stéatite de l’empereur Kangxi (1662-1722) adjugé 4,7 millions d’euros (sans les frais) le 14 juin dernier chez Hervé Chassaing à Toulouse, a dépassé le record de 4,2 millions d’euros obtenus pour un sceau impérial en jade chez Sotheby’s à Hongkong en octobre 2007.
Dans les galeries parisiennes, une spéculation plus discrète autour de la production des fours japonais d’Arita anticipe l’explosion des prix qu’entraînera le retour attendu des acheteurs nippons. La décote actuelle profite aux porcelaines Kakiemon en émaux polychromes (XVIIe-XVIIIe siècles) qui vont de 5 000 euros à 50 000 euros pour une pièce unique, comme aux pièces d’exportation Imari. « Avant 1991, un bol Kakiemon portant la marque du [collectionneur] Auguste le Fort, roi de Pologne, se vendait 50 000 euros. Cette pièce qui n’aurait pas trouvé preneur jusqu’en 2007 s’acquiert aujourd’hui à 30 000 euros », note le galeriste et expert Vincent L’Herrou. Chez Tajan qui a remis au catalogue les arts du Japon en avril dernier, une nouvelle clientèle russe friande de pièces décoratives en émaux cloisonnés a acquis pour 11 152 euros (frais compris) une paire de potiches polychromes (vers 1900).

Kakiemon et merveilles

Produite à l’âge d’or du style japonais Kakiemon (circa 1660-1690), cette rare verseuse anthropomorphe à saké (ill. ci-contre) représentant une beauté « Bijin », tenant une coupe à la main et assise sur une calebasse, figure parmi les pièces-phares du Parcours de la céramique et des arts du feu qui se tient du 11 au 17 septembre au Louvre des Antiquaires et au Carré Rive Gauche. Proposée à 25 000 euros par la galerie Théorème que dirige l’expert Vincent L’Herrou, cette pièce provenant d’une collection privée française ne pourrait être rapprochée que d’un exemplaire voisin appartenant à une collection japonaise. Kakiemon désigne aussi bien un style spécifique que la célèbre dynastie de porcelainiers fondée au XVIIe siècle par Sakaida Kizaemon à Arita, près de Nagasaki où se comptaient plus de dix mille fours. Selon la tradition, le décor de kakis qu’avait créé cet émailleur de génie lui valut le surnom de Kakiemon. La rareté des pièces anthropomorphes et zoomorphes dans le style Kakiemon fait le prix de cette verseuse qui illustre cette technique d’émaux polychromes sur couverte traitée dans une palette claire à motifs naturalistes libres sur fond d’un blanc laiteux Nigoshide. Les souverains d’Angleterre, le Grand Dauphin, le Prince de Condé et surtout Auguste le Fort, roi de Pologne, ont réuni les chefs-d’œuvre de la porcelaine Kakiemon, cent fois plus coûteuse aux XVIIe et XVIIIe siècles que celle à décor Imari destinée à l’exportation. Son style allait inspirer les manufactures de Chantilly (Oise), Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), Meissen (Allemagne) et Chelsea (Royaume Uni).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : Un art impérial

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