Un art contemporain peu visible

À l’ombre à la fois d’un patrimoine omniprésent et du Centre Pompidou de Metz, la scène artistique nancéienne somnole n Les récentes initiatives ne comblent pas l’absence d’un lieu phare.

Lors du court trajet piéton qui sépare la gare de Nancy du Musée des beaux-arts, le visiteur sera gêné par les travaux en cours qui témoignent de l’attention portée au patrimoine bâti. Mais dans les rues de Nancy, nulle installation contemporaine : hormis la jolie exception de l’œuvre en néon L’Hommage à Lamour de François Morellet sur les grilles du Musée, place Stanislas, aucun geste contemporain n’inscrit le centre-ville dans son époque. Un manque destiné à être comblé, mais qui trahit d’autres priorités politiques.

Hervé Bize a ouvert sa galerie en 1989. Présent à plusieurs reprises à la Fiac [Foire internationale d’art contemporain] à Paris, à l’Armory Show à New York ou à Bâle [Art Basel], il est la figure de proue de l’avant-gardisme à Nancy. Hervé Bize a longtemps nourri la scène locale : une revue, une éphémère biennale d’art contemporain, et l’occasion donnée aux rares artistes locaux ayant intégré son exigeante sélection d’exposer au côté de quelques noms de l’art contemporain (François Morellet et André Cadere pour ses têtes d’affiche, Bertrand Lavier et Ben Vautier pour des collaborations ponctuelles). Aujourd’hui, le galeriste avoue sa déception : « Il n’y a pas de grand lieu dédié à l’art contemporain à Nancy, ce n’est pas une priorité politique. » Cause ou conséquence, le galeriste ne compte pas de collectionneur nancéien parmi ses acheteurs réguliers. Côté artistique, le seul « local » qu’il représente aujourd’hui est un diplômé récent de l’école d’art de Nancy : Marco Godinho, jeune artiste portugais qui vit entre Paris et Luxembourg. La galerie n’a plus aucun autre ancrage local que ses murs, qui laissent apparaître quelques motifs de l’âge d’or décoratif nancéien.
Ailleurs, même chez les galeries moins avant-gardistes, le constat est identique. La récente galerie Bora Baden déménage même à Bruxelles, « devant l’absence d’acheteurs à Nancy », confie son directeur. Le marché secondaire (lire l’encadré ci-contre) ne fait que de rares incursions dans l’art contemporain.

Une Biennale de l’image
La Biennale internationale de l’image, organisée sur le site Alstom, au nord-est du centre, est le seul événement contemporain régulier du paysage local. Mais après dix-huit éditions, si elle affiche une bonne fréquentation (plus de 10 000 visiteurs en deux semaines), elle ne semble pas jouir d’un soutien du secteur à même d’en faire une locomotive. D’autres tentatives émergent dans le sillage de l’École nationale supérieure d’art (Ensa) (1). Des anciens élèves ont fondé en 2008 « Ergastule », un atelier et lieu d’exposition qui allie artisanat d’art et approche numérique. « My Monkey », lieu centré sur le graphisme, propose également une ligne contemporaine fondée sur des artistes locaux. Au sein même de l’école, la galerie Namima présente des travaux d’étudiants, conviant aussi d’anciens élèves. Mais, située loin du centre-ville, ses expositions ont un rayonnement limité. Syndrome d’une école excentrée, plusieurs « professeurs-TGV » viennent de Paris et d’ailleurs mais ne participent que peu à la vie artistique locale. Se dégage, au gré des rencontres, l’impression générale d’un manque de coordination entre les acteurs.

Metz-Nancy
Le réseau « Lora », initiative soutenue par la Drac (direction régionale des Affaires culturelles) Lorraine et la Région, entreprend justement de fédérer les lieux voués à l’art contemporain. Pour quatre structures membres basées à Nancy, on en recense quinze en Moselle, autour de Metz. Derrière la rivalité Metz-Nancy, « inimaginable pour qui n’a pas grandi en Lorraine », explique-t-on à l’envi, les acteurs schématisent : à Metz l’art contemporain (antenne du Centre Pompidou, le Fonds régional d’art contemporain…) ; à Nancy les arts vivants (opéra et théâtre en tête) et le patrimoine. « Avec le patrimoine de Nancy, la tentation est grande, par paresse, de ne faire que conserver l’existant », avance Hervé Bize.

L’arrivée du Centre Pompidou à Metz a donc confirmé une tendance autant qu’elle a clos la compétition. Estelle Berruyer, conseillère arts plastiques à la Drac Lorraine, explique : « Dans le sillage du Centre Pompidou, se développent et gagnent en notoriété des lieux contemporains très légitimes, en zone rurale, comme la Synagogue de Delme ou le Centre international d’art verrier à Meisenthal (Moselle). L’antagonisme stérile Metz/Nancy doit être remplacé par une analyse urbain/rural plus pertinente pour agir sur le maillage culturel du territoire. » L’analyse est cohérente et confirme que la scène contemporaine de Nancy n’a plus vocation à rivaliser avec celle de Metz.
Le positionnement de l’Ensa de Nancy l’illustre aussi. Le directeur de l’école, Christian Debize, assume une pluridisciplinarité atypique dans le paysage des écoles d’art avec la présence de trois filières : communication, design et art. Elle invite aussi des élèves de l’École des mines et de l’école de commerce (ICN) à participer à ses Ateliers de recherche et de création (ARC). « Cette mixité enrichit la vision de nos étudiants et change le regard des autres sur les artistes : loin des clichés, ici aussi on travaille, avec un enseignement technique, structuré, théorique et pratique… » L’école s’inscrit dans son territoire, sollicite des industriels locaux (verre, cristal, pierre), comme en témoignent les œuvres de l’exposition en cours de Cristina Escobar, à Namima.

Cette logique devrait fonctionner à plein régime avec l’ouverture du campus « Artem (Art, technologie, management) » qui réunira à l’horizon 2017-2018 les trois écoles. Le chantier mené par l’architecte Nicolas Michelin sur le lieu de l’ancienne caserne Molitor intégrera un 1 % culturel. Le choix s’est porté sur le duo d’artistes formé par Michel Blazy et Djamel Kokene, dont l’installation monumentale devrait attirer un large public.

Poirel, une ligne à définir
Le campus reste cependant éloigné du centre-ville, où la galerie Poirel porte aujourd’hui l’essentiel du projet municipal pour l’art contemporain. Ce théâtre à l’italienne construit en 1889 vient de rénover ses coursives (1 000 m2) pour les destiner à « la création contemporaine en design et art contemporain », explique le directeur, René Peilloux. En l’absence de curateur permanent mais disposant de moyens de production importants, la galerie Poirel propose une programmation de facto variée puisqu’elle s’appuie sur des commissaires invités. Cet été, Robert Stadler a ainsi conçu Quiz, regard sur la création hybride entre design et art contemporain. Ce sujet ô combien légitime à Nancy est néanmoins complexe pour une première exposition quand Poirel doit encore définir sa ligne et développer son public amateur d’arts visuels. Avec pour mission d’« éviter l’avant-garde trop élitiste », la galerie programme ce mois-ci le travail plastique de l’artiste lorrain CharlElie Couture. Un choix local qui indique une ligne très (trop ?) large, que le temps devrait contribuer à affiner. Une condition vraisemblablement sine qua non pour devenir le possible lieu de référence pour l’art contemporain dont de nombreux acteurs – sans exception – déplorent l’absence.

Un marché local centré sur l’Art nouveau

Le marché de l’art à Nancy est dominé par le design et le mobilier issus de la tradition locale. Les galeries affichent un chiffre d’affaires faible sur l’art contemporain. À l’image de la douzaine d’antiquaires présents à Nancy, elles préfèrent se spécialiser sur l’Art nouveau, âge d’or de la région. Daum, Gallé, Majorelle et Victor Prouvé continuent d’incarner les valeurs sûres, notamment pour les trois maisons de ventes de la ville. Ces dernières consacrent les ventes les plus importantes au design et au mobilier de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. L’Art nouveau suscite toujours le vivier le plus important de collectionneurs et de vendeurs, qu’il s’agisse de ventes de prestige ou d’administration des successions locales. Au sein de ventes généralistes, Antoine Audhuy concède intégrer une ou deux fois par an de l’art contemporain. Même son de cloche chez Sylvie Teitgen, qui vend « beaucoup de design d’après guerre, mais quasiment jamais d’art contemporain à proprement parler ».

Note

(1) Nancy est la seule ville de France (hors Paris) à accueillir en même temps une école nationale d’art et une école nationale d’architecture.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Un art contemporain peu visible

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