Tour du monde

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2007 - 1156 mots

À Paris, une nouvelle biennale de la photographie propose un regard inédit sur la planète. Les œuvres d’artistes de pays émergents ou peu représentés en Occident rafraîchissent notre vision de l’autre.

Les biennales croissent et se multiplient sans relâche depuis quelques années. Si Photoquai, à Paris, s’ajoute à cette longue liste, elle a pour ambition d’explorer les autres visions du monde. Désormais, une année sur deux, en novembre, en alternance avec Le Mois de la Photographie et comme en complément, Photoquai déroule les bobines photographiques d’artistes émergents venant de pays pour le moment peu représentés sur les places occidentales.
Chine, Vietnam, Iran, Madagascar, Cambodge, Colombie, Mexique, Corée, Inde, Birmanie, Syrie, Caraïbes, tous ces États résonnent comme des destinations aussi lointaines que rêvées. Mais loin des clichés touristiques ou de l’exotisme bon marché, cette première « Biennale des images du monde » parcourt les quatre coins du globe avec un regard neuf sur des zones géographiques comme l’Afrique, l’Asie ou le Moyen-Orient. Il ne s’agit plus du regard du voyageur occidental qui transpire la condescendance en mettant le pied en terre inconnue. Non. Sous-titrée « Le Monde regarde le monde », cette première édition de Photoquai annonce en substance le recalibrage des boussoles. L’Occident n’est plus  notre unique point de vue sur le monde.
Qu’en est-il de l’œil de Moscou, de la vision togolaise ou béninoise, du point de vue malgache ou égyptien sur la société ? Les photographes du monde entier ont été invités à donner leur propre version des faits.

Une initiative du Quai Branly
C’est le Quai Branly et son président Stéphane Martin, qui sont à l’initiative de ce projet. Ce dernier regroupe un grand nombre de théoriciens et spécialistes de la photographie et de l’image. Jean-Loup Pivin, fondateur de la Revue Noire et globe-trotter, accompagné de ses deux complices, Catherine Philippot et Pascal Martin Saint Léon, a fédéré en tant que directeur artistique de l’événement, une dizaine de commissaires d’expositions autour de lui. Chaque spécialiste a parrainé une zone du globe qu’il connaît bien en faisant appel à d’autres experts sur place.
Et c’est ce qui est nouveau : ces mêmes commissaires ont passé le relais à d’autres co-commissaires d’exposition implantés à l’étranger. Ces derniers ont à leur tour sélectionné des artistes dont le travail leur semblait pertinent.
Voyageuse infatigable, consultante et directrice de communication spécialisée en photographie depuis plus de 20 ans, Catherine Philippot a déboisé les champs photographiques d’Amérique de Nord et du Sud, mais aussi ceux de la Russie, du Moyen-Orient et de la Chine. Elle a travaillé en tandem avec Olga Sviblova, directrice de la Biennale de Moscou, ou Duan Yuting, directrice artistique du festival de Lianzhou. Le créateur du premier Mois de la Photo et actuel directeur de la Maison européenne de la photographie (MEP), Jean-Luc Monterosso, a enquêté au Brésil, avec Milton Guran, directeur de FotoRio. Christian Caujolle, fondateur de l’Agence VU à Paris, mais aussi ancien rédacteur en chef photo à Libération, a été chargé de l’Asie du Sud-Est et a travaillé en tandem avec le commissaire coréen Kissok Eom.
C’est Simon Njami, directeur des Rencontres de Bamako au Mali, qui a fait le lien avec l’Afrique Sub-Saharienne, et Joël Andrianomearisoa, directeur artistique de Photoana à Madagascar qui s’est chargé de ce pays. Et ainsi de suite. Cette idée aussi originale que porteuse d’objectivité a permis d’établir un constat photographique en temps réel du monde et c’est cela que le public découvre à Paris avec « Photoquai ». En extérieur, le long de la Seine ou en intérieur, au fil de quelques importantes institutions, Photoquai devient une sorte de jeu de pistes dans la ville.
Entre le Quai Branly et la passerelle Debilly, comme dans un cabinet de curiosités, mais en plein air, en accès libre nuit et jour au public, plus de quatre cents images se déploient dans des containers, en perspective, sur les berges le long de la Seine. C’est le designer Patrick Jouin qui a orchestré cette scénographie périlleuse. Et soixante-dix artistes se partagent les thèmes de la manifestation : « Métamorphose » évoque les forces spirituelles et naturelles, « Fictions » fait place à l’imagination, aux mythes et aux utopies, et « Confrontation » aborde les thématiques de la guerre que l’homme mène avec la nature pour la domestiquer, la dominer.
Sur la passerelle Debilly, en revanche, se déploient des monographies qui privilégient l’intime. Anita Khemka, Fiona Pardington, Pan Wei, Peyman Houshmandzadeh, Serguei Tchilikov révèlent, entre autres, leurs talents et vont à l’encontre des clichés qu’offre la globalisation depuis les années 1990. En noir et blanc, en numérique ou argentique, mais aussi en séquences vidéo autant qu’en images fixes, c’est l’humain qui dans toute sa diversité se révèle ici. Les visions occidentales s’effacent peu à peu. Le pari de la modernité se confronte à travers les continents. Les questions d’urbanisme, de vitesse, de réel ou de virtuel, mais aussi l’intime, le spirituel et le sensuel sont notamment abordées de façon inattendue.

Institutions limitrophes
Une trentaine de pays et une centaine d’artistes au travail inédit font partie de l’événement. Le visiteur voyage à la vitesse de la lumière, à travers les œuvres en extérieur, mais aussi au chaud, à l’intérieur, dans une dizaine de musées et d’institutions qui se sont alliées à l’événement : les ambassades d’Australie et du Brésil, le Centre culturel de la Chine à Paris, la Bibliothèque nationale de France, le Jeu de Paume, la MEP, le Louvre et le Musée de la Marine. Le Quai Branly présente l’exposition des « Premiers Portraits au Daguerréotype, 1841-1851 » ou celle de Walker Evans. La photographie historique est peu représentée, la manifestation étant surtout tournée vers la révélation de nouveaux talents. Toujours au Quai Branly, la Néo-Zélandaise Anne Noble nous plonge dans l’enfance. Le Malien Alioune Bâ, à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, nous immerge dans la terre nourricière et ses architectures improbables. Le talentueux et reconnu photographe Brésilien Sebastião Salgado, qui a travaillé chez Gamma ou Magnum, nous invite auprès des « Indiens du Haut-Xingu ». À l’ambassade d’Australie, Ricky Maynard nous fait découvrir avec poésie les paysages des îles lointaines dont il est originaire, entre Tasmanie et Australie occidentale. Au Centre culturel de la Chine à Paris, trois photographes chinois contemporains, Liu Lei, Yuan Xue Jun et Jiang Xiaowen, témoignent du monde agricole ou des paysages encore sauvages. Du côté des images animées, le Syrien Omar Amiralay présente au Jeu de Paume une rétrospective de ses films.
Difficile de définir des orientations, de donner des directions tant la programmation est foisonnante. On se laisse plus volontiers porter par ces surprenantes balades visuelles.
Évacué le mythe du « bon sauvage » des temps coloniaux, il nous reste une vision fraîche du monde dans lequel l’autre n’est plus un étranger, mais un complice, un semblable dont on apprend chaque jour un peu plus. Photoquai, biennale ambitieuse au regard non-occidental, révélatrice de jeunes talents n’en est qu’à sa première édition. On lui souhaite longue vie.

Photoquai

Première biennale des images du monde « Le monde regarde le monde », jusqu’au 25 novembre, dix lieux dans Paris, www.photoquai.fr

Photoquai

- Directeur de la manifestation :Stéphane Martin - Directeur artistique : Jean-Loup Pivin avec Catherine Philippot et Pascal Martin Saint Léon - Scénographie : Patrick Jouin - Nombre de lieux : 10

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°268 du 2 novembre 2007, avec le titre suivant : Tour du monde

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