Tissato Nakahara

« Les photographes japonais conçoivent le livre comme une œuvre »

Le Journal des Arts

Le 5 novembre 2004 - 590 mots

Après des études aux Beaux-Arts de sa ville natale de Tokyo, Tissato Nakahara arrive à Paris en 1983 pour apprendre la gravure. À la suite d’un stage à l’hôtel Drouot, elle organise au sein d’une compagnie japonaise des expositions d’artistes français et japonais. Devenue indépendante en 1990, elle commence à vendre des gravures, puis des livres illustrés. Elle publie son premier catalogue en 1999, ouvre avec succès son propre stand lors de la troisième édition de Paris Photo, et vend depuis sur rendez-vous une sélection sévère de livres de photographie japonaise.

 Pourquoi les livres tiennent-ils une place particulière chez les photographes japonais ?
Une exposition de photographies ne dure qu’un temps, et au Japon, il y a peu de galeries. La publication d’un livre touche beaucoup plus de monde. Les photographes conçoivent le livre comme une œuvre : ils gèrent tout, de l’impression au graphisme en passant par le texte, la reliure ou l’emboîtage. Le livre est une finalité, ce n’est pas un catalogue d’images. Dans les années 1960 et 1970, le phénomène était très important. Par ailleurs, les Japonais ont toujours vécu avec le papier, ils adorent le manier, le mettre en valeur, et c’est pourquoi les livres sont magnifiques. Et puis le Japon aime ce qui est caché.

Pourquoi les livres de photographie japonais sont-ils si rares et chers ?
Avec les tremblements de terre, les cyclones, les maisons en bois sont facilement détruites. Les habitats sont petits, sans grenier ni cave, et les Japonais n’ont pas de maisons de campagne et sont obligés de se séparer des livres. Sinon ils s’abîment car le pays est très humide ; bref, le taux de disparition des livres est très élevé. Ceux qui restent en bon état sont rares et donc chers.

Quel est un tirage moyen au Japon pour un livre photo ?
Un tirage va de 300 à 3 000 exemplaires. Quelquefois plus pour les grandes stars comme Nobuyoshi Araki ou Kishin Shinoyama.

Quels auteurs recherchent le plus vos clients ?
Eikoh Hosoe et Daido Moriyama.

Et Araki ?
En fin de compte, c’est sans doute l’artiste le plus difficile à faire comprendre, il a tellement de facettes. Pour moi, c’est un grand romancier qui ne se dévoile pas facilement. Et dans la pléthore de livres qu’il a publiés, mes clients ont du mal à s’y retrouver.

Quels sont les livres les plus recherchés ?
Les quatre numéros de Provoke (magazine avant-gardiste créé en 1968, publié à compte d’auteur par Takuma Nakahira, Takahiko Okada, Yutaka Takanashi, Koji Taki, et Daido Moriyama). Les trois premiers numéros sont très rares. Il faut compter entre 1 000 et 1 500 euros par numéro, mais le troisième est pratiquement introuvable. Ces magazines étaient vraiment révolutionnaires et ont marqué un tournant dans l’histoire de la photographie moderne au Japon.

Vos dernières découvertes ?
Il y a encore beaucoup d’auteurs à découvrir. La bibliophilie est un monde inconnu et, quand on y plonge, on découvre petit à petit des merveilles. C’est une grande aventure. Dans la photographie des années 1990, je vois les beaux livres comme Tokyo Suburbia de Takashi Homma, Praise of Shadow de Hiroshi Sugimoto, CamaraChimera de Yuki Onodera ou le premier livre de Taiji Matsue. Dans les années 1980, j’aime beaucoup Seventeen’s Map de George Hashiguchi ou les livres de Yurie Nagashima.

Et si vous deviez choisir cinq livres incontournables ?
Ura Nihon/Japan Back Coast par Hiroshi Hamaya (1957), 11 : 02 Nagasaki de Shomei Tomatsu (1961), Embrace de Eikoh Hosoe (1971), Voyage sentimental de Nobuyoshi Araki (1971) et Hunter de Daido Moriyama (1972).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°202 du 5 novembre 2004, avec le titre suivant : Tissato Nakahara

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