Sur la route de la Catalogne romane

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2004 - 999 mots

Voyage au cœur du XIIe siècle, dans le nord-est de la péninsule Ibérique, pour découvrir des chefs-d’œuvre méconnus de l’architecture religieuse.

Autour de l’an mil, dans l’Occident chrétien, les innovations de l’architecture religieuse donnent naissance à un nouveau style, l’art roman. Des murs de pierre épais, des fenêtres étroites, de grandes arcades rythmant l’espace intérieur, une abside surélevée par la présence d’une crypte et une tour octogonale érigée à la croisée du transept en sont les principales caractéristiques. Souvent qualifié d’imposant et austère, l’art roman fait vite école dans les domaines de la sculpture, de la peinture, des retables et des manuscrits enluminés… Avec l’Italie septentrionale et la France méridionale, la Catalogne est une des premières régions où il se développe. Le Nord-Est du territoire ibérique conserve aujourd’hui encore de nombreux vestiges de ce patrimoine, contemporain au règne des comtes de Barcelone et à l’indépendance de la Catalogne, libérée du joug du royaume de France. Près de 2 000 édifices religieux (églises, abbayes, cathédrales) romans – ou en comportant des éléments du style – sont disséminés de Barcelone à Lleida, en passant par Vic, Ripoll, Tàrrega, Arties, Vielha ou encore Taüll, qui peut se targuer de posséder deux des plus beaux exemples du val de Boí, les églises de Sant Climent et Santa Maria. Érigées par l’influente famille des Erill, celles-ci furent consacrées en 1123 et, comme les autres églises de la vallée, classées au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2000. Autre site remarquable : la Seu d’Urgell, ville formée autour du siège d’un important épiscopat. Sa cathédrale, Santa Maria (XIIe siècle), est considérée par les historiens comme relevant du style « italianisant » – le maître d’œuvre, Ramon Llombard, était d’origine italienne. Édifice à trois nefs, avec un long transept et une abside rehaussée d’une galerie supérieure, elle possède une belle façade ornée d’arcatures et de frises. Mais pour apprécier dans toute leur splendeur les éléments sculptés de l’art roman, il faut se rendre au monastère de Santa Maria de Ripoll.
Le portail de l’église basilicale – seul élément subsistant de cet édifice conçu au XIIe siècle et entièrement restauré au XIXe siècle après un incendie – possède une ornementation complexe. Il est couvert de scènes allégoriques (l’Église triomphante, militante, les péchés capitaux…) tandis que, à l’intérieur de l’arc de la porte, les douze mois de l’année sont illustrés par des scènes de la vie rurale. Le cloître du monastère (commencé à la fin du XIIe siècle) possède, quant à lui, des chapiteaux recouverts d’animaux, de monstres ou de feuillage, qui témoignent des nombreuses composantes de la sculpture romane. Les artistes avaient un goût prononcé pour les modèles de l’Antiquité (palmettes et fleurons, feuilles d’acanthe agrémentées de boules ou de pommes de pin) auxquels ils associaient le motif de l’entrelacs. Tout au long du XIIe siècle, des écoles de tailleurs de pierre voient le jour. Ils développent un décor sculptural raffiné, vaste réseau de lianes se détachant largement du chapiteau et peuplés de figures animales et humaines.

Éclat de la polychromie
Le décor intérieur était tout aussi soigné avec de splendides peintures murales reproduisant des thèmes des Évangiles. Pour éviter leur dispersion, la plupart d’entre elles ont été déposées dans les musées, notamment au Musée national d’art de Catalogne (MNAC), à Barcelone. Une initiative de la commission des musées datant du début des années 1920 alors que des peintures romanes de l’abside principale de Santa Maria de Mur avaient été vendues à des antiquaires étrangers. Dans les bâtiments subsistants, les décors déposés ont été reproduits – un parti pris pour le moins discutable, mais qui permet de montrer aux visiteurs la teneur des fresques tout en préservant un patrimoine fragile et convoité. Faute de pouvoir admirer les œuvres in situ, il faut donc se rendre au MNAC ou encore au Musée épiscopal de Vic, lequel, avec des fresques des XIe et XIIe siècles originaires de Sant Sadurní d’Osmort, Ell Brull, Sant Martí Sescorts ou la Seu d’Urgell, possède la deuxième collection d’art roman en Catalogne. Pour présenter les trésors de la peinture médiévale, le MNAC a conçu une scénographie astucieuse : chaque décor est installé dans une architecture épousant la forme de l’abside (ou de la nef) qui l’abritait. Ainsi de la peinture provenant de l’église paroissiale Sant Joan de Boí (1100), impressionnante par la force expressive des personnages représentés dans la Lapidation de saint Étienne. Dans les espaces suivants, le visiteur découvre les fresques de l’église Sant Climent de Taüll et la délicate figure du Christ en Majesté. Le plus grand ensemble du musée reste le décor de Santa Maria de Taüll, dans lequel la variété des thèmes iconographiques le dispute à l’éclat de la polychromie. Le MNAC abrite également quelques beaux témoignages de la statuaire médiévale en Catalogne, notamment la Vierge et Saint Jean issus de la Descente de croix d’Erill-la-Vall (XIIe siècle). La seconde partie de cet ensemble se trouve au Musée épiscopal de Vic. Ils seront tous deux réunis cet automne à Paris, au Musée national du Moyen Âge-Thermes de Cluny, qui mettra en lumière la sculpture du val de Boí dans la première moitié du XIIe siècle. L’occasion pour le public parisien de découvrir des pièces d’exception, tel le Christ de Mijara, buste en bois grandeur nature produit par l’atelier d’Erill, conservé dans l’église Sant Miqueu de Vielha. L’opportunité aussi pour les spécialistes d’approfondir les recherches sur le sujet et de tenter de percer les mystères de l’insondable Catalogne romane, à découvrir cet été...

- Musée national d’art de Catalogne, parc de Montjuïc, Barcelone, www.mnac.es. - Musée épiscopal de Vic, plaça Bisbe Oliba 3, Vic, tél. 34 93 886 93 60, www.museuepiscopalvic.com. - À partir de septembre, CATALOGNE ROMANE, SCULPTURES DU VAL DE BO�?, exposition du 15 septembre 2004 au 3 janvier 2005, Musée du Moyen Âge-Thermes de Cluny, 6, place Paul-Painlevé, 75005 Paris, tél. 01 53 73 78 00, tlj sauf mardi, 9h15-17h45. Renseignements : Maison de la Catalogne, 4-6-8, cour du Commerce Saint-André, 75006 Paris, tél. 01 40 46 86 14, www.maisondelacatalogne.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : Sur la route de la Catalogne romane

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