Italie - Musée

RENCONTRE

Stéphane Verger, le plus italien des archéologues français

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 3 octobre 2022 - 1258 mots

ROME / ITALIE

L’un des plus grands archéologues français est à la tête du Musée national romain. Un musée réparti sur quatre sites qui manque cruellement de personnel alors qu’il va bénéficier de fonds importants dans le cadre du vaste plan de relance européen.

Stéphane Verger. © Museo Nazionale Romano
Stéphane Verger.
© Museo Nazionale Romano

Rome. Personne ne sait mieux que Stéphane Verger que Rome est un musée à ciel ouvert. Cet archéologue de 57 ans est un éminent spécialiste des relations entre les cultures gréco-romaines ou étrusques et celles celtes, balkaniques et de l’Anatolie. Il est depuis deux ans à la tête du Museo Nazionale Romano (MNR, Musée national romain). C’est l’une des plus importantes institutions culturelles d’une cité dont la richesse artistique des rues n’a d’équivalent que les trésors archéologiques dont son sous-sol regorge. Ils ont enrichi les collections de ce musée fondé en 1889 au sein des thermes de Dioclétien. L’afflux trop important des vestiges découverts au cours des chantiers d’urbanisation de la capitale d’une Péninsule tout juste unifiée pousse les autorités à lui adjoindre trois autres sites : le palais Massimo, le palais Altemps et la Crypta Balbi. L’ensemble forme un musée archéologique visité par environ 400 000 personnes avant la pandémie de Covid.

Son directeur est depuis le 12 septembre 2020 Stéphane Verger. « Un mois après, nous devions fermer nos portes en raison de nouvelles mesures de confinement, mais cela m’a permis de prendre en main le musée en douceur et aussi de le découvrir de manière méticuleuse », se souvient ce Charentais au regard espiègle. Sa bonhomie a séduit ses collaborateurs, ce qui n’est pas négligeable lorsqu’on connaît le chauvinisme culturel transalpin. Recruter des responsables à l’étranger pour sortir les musées italiens de leur torpeur et combler des décennies de retard fut le point cardinal d’une vaste réforme lancée en 2014 par le ministre italien de la Culture Dario Franceschini. Confier le Museo Nazionale Romano à Stéphane Verger relevait de l’évidence tant ce Français connaît bien l’Italie. Personnellement grâce à sa femme calabraise, archéologue elle aussi, mais surtout professionnellement.

« C’est dans ma Charente natale qu’est née ma vocation, explique celui qui a vu le jour à Angoulême de parents professeurs de dessin et d’histoire de l’art. Dès l’âge de 11 ans je visitais des grottes avec un archéologue, mais c’est la découverte, lorsque j’avais 16 ans, du casque gaulois d’Agris dans la grotte des Perrats qui a été pour moi une véritable révélation. » Après l’École normale supérieure (Ulm), il se lance dans une carrière universitaire brillante. Ce professeur agrégé d’histoire (1987) et docteur en archéologie (1994) occupe ensuite des postes prestigieux. Directeur des études pour l’Antiquité à l’École française de Rome (1999-2005), directeur de l’unité de recherche Archéologie et philologie d’Orient et d’Occident au CNRS (2011-2018) et directeur d’études à l’École pratique des hautes études à Paris. Son enseignement y est tourné vers les sociétés protohistoriques et les cultures méditerranéennes au premier millénaire avant J.-C. Depuis 2005, Stéphane Verger est également membre du conseil scientifique du Musée du Louvre.

« Pour un archéologue, l’Italie est évidemment un pays primordial et l’apport de l’école italienne d’archéologie dans le sillage du grand Ranuccio Bianchi Bandinelli (1900-1975) est essentiel pour ma discipline, dit-il. Mon premier passage à Rome à l’École française, alors dirigée par le grand médiéviste André Vauchez, a constitué un véritable émerveillement intellectuel. J’étais en contact avec des personnalités de l’envergure de mes confrères Fausto Zevi ou encore Adriano La Regina, l’un des plus importants surintendants de Rome de ces dernières décennies, à l’origine du Musée national romain sous sa forme actuelle. Je participais à de nombreux colloques et je me suis familiarisé avec le monde des musées italiens. »

Toujours présent sur le terrain

Stéphane Verger ne délaisse pas pour autant l’aspect pratique de sa profession et participe à des campagnes de fouilles dans les Balkans, en Afrique du Nord, en Anatolie notamment dans le cadre de missions du ministère des Affaires étrangères. Mais aussi dans la Péninsule lors de campagnes de fouilles franco-italiennes menées avec Massimo Osanna, ancien directeur de Pompéi et actuel directeur général des musées italiens. Il pourra certainement lui faire part plus facilement que ses autres confrères des difficultés rencontrées par les institutions culturelles transalpines. La fuite des cerveaux qui prive le pays de nombreux talents, mais aussi la carence en ressources humaines indispensables à la bonne gestion quotidienne des musées. Stéphane Verger partage ainsi le cri d’alarme lancé cet été par le directeur des Offices de Florence sur le manque d’agents de surveillance et qui demande au ministère de la Culture plus d’efforts. Avec seulement 70 gardiens pour quatre sites, le Museo Nazionale Romano est l’un des premiers concernés par cette pénurie. Mais c’est un afflux de ressources financières que Stéphane Verger devra désormais gérer.

La manne du plan de relance

« Mon arrivée à la tête du MNR a correspondu avec la rédaction du plan de relance européen, explique Stéphane Verger. Nous aurons ainsi à disposition 71 millions d’euros pour permettre d’ici à décembre 2026 de doubler notre surface d’exposition. Elle sera à terme de 38 000 m2, soit exactement la moitié de celle du Louvre. Les chantiers sont nombreux et sur le point d’être lancés. » Une très grande part du budget, 50 millions d’euros, sera destinée à sauver la Crypta Balbi en péril. Pratiquement à l’abandon, celle-ci est pourtant un magnifique témoignage du développement et de l’évolution d’un quartier de la Rome antique à nos jours. Les autres sites du MNR ne seront pas négligés. Aux thermes de Dioclétien, sept grandes salles seront ouvertes avec des chefs-d’œuvre jamais exposés ; au palais Altemps, ce sont des cours dont l’une a été couverte d’une verrière au XIXe siècle qui seront réaménagées, tandis que la muséographie du palais Massimo sera revue.

« Il ne faut pas oublier un cinquième musée au sein du MNR, rappelle Stéphane Verger. Le Museo dell’Arte Salvata, consacré aux œuvres d’art sauvées du marché noir international. Il se trouve dans la salle octogonale des thermes de Dioclétien. Il n’expose pas des œuvres de manière permanente, mais, temporairement, celles dérobées ou vendues illicitement et qui reviennent en Italie avant de réintégrer leurs musées ou leur collection d’origine. » Annoncée au début de l’été par le ministre de la Culture, cette initiative rend hommage au travail du Commandement des carabiniers pour la protection du patrimoine culturel (TPC). Parmi leurs derniers succès retentissants, l’annonce en 2021 par un procureur de New York de la restitution de 200 pièces archéologiques volées estimées à 10 millions de dollars (plus de 10 M€).

Autre restitution spectaculaire, celle communiqué au mois d’août par le J. Paul Getty Museum de Los Angeles qui renverra ce mois-ci en Italie Orphée et les sirènes, magnifique groupe de trois personnages en terre cuite grandeur nature datant de 300 avant J.-C. Il sera exposé au Museo dell’Arte Salvata. « Ce n’est pas à sens unique, précise Stéphane Verger. Dans les réserves du Musée national romain, nous avons cinq caisses provenant du musée archéologique de la Ville de Fiume sur les rives de l’Adriatique devenue Rijeka lorsqu’elle a été rétrocédée à la Croatie après la Seconde Guerre mondiale. Elles avaient été emmenées à Rome par les autorités fascistes avant le début du conflit. Elles prendront très prochainement le chemin du retour. » Stéphane Verger restera quant à lui encore deux ans à Rome, jusqu’à la fin de son mandat. Ou plus. Vu le travail à accomplir et les affinités nouées.

 

1965
Naissance à Angoulême (Charente)
1981
Découverte du casque gaulois d’Agris qui signe sa vocation
1994
Docteur en archéologie
1999-2005
Directeur des études pour l’Antiquité à l’École française de Rome
Depuis 2020
Directeur du Musée national romain

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : Stéphane Verger, le plus italien des archéologues français

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