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Spleen à Bâle après l’annulation d’Art Basel

BÂLE / SUISSE

L’annulation de plusieurs foires, dont Art Basel, montre une forme de dépendance de la ville à l’égard de cette activité. Cette dernière a organisé en septembre une contre-manifestation.

Art Basel 2019 © Art Basel
Art Basel 2019
© Art Basel

Suisse. « Bâle a-t-elle vraiment besoin d’Art Basel ? » Ce titre provocateur d’un numéro de juillet du quotidien bâlois, Basler Zeitung, après l’annonce de l’annulation de la foire et de son report en juin 2021, trahit l’anxiété ambiante. Et ce, alors que le manque à gagner est important pour l’économie locale, en particulier dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration. À elle seule, Art Basel drainait, en 2019, 93 000 visiteurs en seulement quatre jours. Le parc des expositions, dominé par la halle récemment construite par les architectes Herzog et de Meuron, est resté cette année désespérément vide, relançant les débats autour des forts investissements de la Ville dans le secteur des foires. Car Liste, foire d’art alternative (prévue pour septembre et reportée elle aussi à juin 2021), ainsi que Baselworld, la foire de l’horlogerie, définitivement suspendue, ont également fait les frais de la pandémie.

Le lien entre Art Basel et la Ville est indéniable : avant de devenir l’incontournable rendez-vous international de l’art qu’elle est aujourd’hui, la foire a d’abord été une petite manifestation créée par trois galeristes bâlois, Ernst Beyeler, Trudi Bruckner et Balz Hilt, en 1970. Cet ancrage dans la cité rhénane viendrait de facto démentir les rumeurs de déplacement de la foire à Londres, si l’arrivée de James Murdoch au capital du groupe organisateur de la foire, MCH, se confirmait (voir encadré). Bernd Stadlwieser, le directeur du groupe, l’annonçait en juillet dernier : « La foire Art Basel se tiendra pour quinze ans encore à Bâle. » Des propos qui se voulaient rassurants mais qui résonnent comme un sursis. Pour Christopher Heim, rédacteur culture au quotidien suisse alémanique Tages-Anzeiger, les interrogations sont nombreuses : « Qu’adviendra-t-il d’Art Basel ? Son siège sera “maintenu ” à Bâle, disent-ils. Mais cela peut aussi signifier qu’à l’avenir, l’empire des foires d’art sera simplement géré depuis Bâle. La reine de toutes les foires d’art pourrait facilement se tenir à Londres dans cinq ans, avec peut-être une ramification régionale à Bâle. »

La foire, fierté de la ville

L’annulation de la foire en 2020, une première en cinquante ans d’existence, révèle les liens de la ville tout entière avec la manifestation. Parfois moquée et décriée par les Bâlois pour son ambiance « bling-bling » et ses extravagances, Art Basel fait rivaliser, le temps de quelques jours, une ville de 200 000 habitants, avec des métropoles mondiales. Sans foire, plus de rayonnement culturel pour la cité suisse. Dans le document de prospective « Stratégie Culture 2020-2025 » pour le canton de Bâle-Ville rendu public en juillet, la conseillère cantonale chargée de la culture, Elisabeth Ackermann, n’hésite d’ailleurs pas à écrire que « tout compte fait, la foire d’art la plus importante au monde fait de notre ville une marque connue dans le monde entier ». À défaut d’être une « marque », Bâle peut au moins se targuer d’être une véritable « kunststadt », une ville d’art. Le vide laissé par Art Basel en 2020 donne l’occasion aux Bâlois de réfléchir à la richesse culturelle de leur ville, une richesse historique redevable à des mécènes fortunés et amateurs d’art qui ont donné naissance à des collections d’art publiques et privées de haut niveau.

Une initiative collective

En quelques semaines seulement, l’organisation des Basel Kunsttage (quatre journées d’art en septembre) a été la réponse des acteurs du paysage artistique local pour sortir de l’ombre de la foire. L’idée est née dès l’annonce de l’annulation d’Art Basel. Sous la devise : « Das mögliche ist ungeheuer » (« Le potentiel est énorme »), musées publics, galeries et fondations privées, soit quarante institutions, ont monté un programme d’exposition d’art moderne et contemporain, pour la plupart accessible gratuitement et en plein air dans toute la ville. C’était une évidence pour Daniel Kurjakovic, commissaire au Kunstmuseum Basel : « Nous nous sentons tous responsables de Bâle en tant que ville d’art. » Si ce sursaut collectif force l’admiration en ces temps incertains de pandémie, mais un détail attire l’attention : alors que l’événement était financé par les cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne, l’aide logistique était assurée par… Art Basel. Faudrait-il finalement y voir une preuve supplémentaire de la dépendance de Bâle avec sa foire fétiche ?

Tumultes dans l’actionnariat de MCH  

Entreprise. Au printemps dernier, la nouvelle est tombée comme un couperet : sans une augmentation de capital, l’organisateur de la foire de Bâle menaçait d’être à court de liquidités courant 2021. L’arrivée d’un nouvel actionnaire, le milliardaire américano-anglais, James Murdoch, fils de Rupert Murdoch, à la tête de son groupe Lupa Systems, avait donc été accueillie comme une très bonne nouvelle pour MCH. Le 3 août, une majorité d’actionnaires avait approuvé l’opération de sauvetage, lors de l’assemblée générale extraordinaire du groupe : Murdoch, en détenant jusqu’à 49 % des actions grâce à l’injection de 74,5 millions de francs suisses (69 millions d’€) dans le groupe, en devenait l’actionnaire principal. Au total, le groupe MCH recevait des capitaux frais d’un montant de 104,5 millions de francs suisses (97 millions d’€), le canton de Bâle-Ville convertissant également son prêt de 30 millions de francs suisses (27,8 millions d’€) en fonds propres. Et pourtant, coup de théâtre, ces résolutions n’ont pas pu être inscrites au registre du commerce et ne sont donc pas juridiquement valables. James Murdoch a été empêché d’entrer dans le conseil d’administration de MCH par un actionnaire minoritaire, qui a fait bloquer l’inscription des décisions au registre du commerce. Il conteste d’une part l’augmentation de capital qui créerait près de 50 % d’actions supplémentaires et entraînerait une dilution importante du pouvoir des actionnaires existants, et met en cause, d’autre part, le prix très bas de l’action à l’achat par Murdoch. Selon lui, Murdoch souhaitait entrer au capital de l’entreprise à un prix aussi bas que possible et avec beaucoup de garanties, ce qui ne pouvait se faire qu’au détriment des autres actionnaires. En théorie, cette augmentation de capital prévue à hauteur de 104,5 millions de francs suisses aurait entraîné une augmentation temporaire de la participation du canton de Bâle-Ville à plus de 50 % et obligeait les pouvoirs publics, tout comme James Murdoch, à lancer une offre publique d’achat à tous les actionnaires de MCH, le seuil fatidique de 33,3 % fixé par le droit des OPA étant dépassé. La clause dite « opting-up» votée le 3 août, une spécificité du droit suisse destinée à se soustraire à ce régime, a été déclarée par ailleurs nulle par la Commission suisse des OPA (Copa) au motif que les abstentions, lors de l’assemblée générale extraordinaire du groupe, auraient dû être comptées comme des votes contre. Le 28 août dernier, MCH, à son tour, introduisait un recours contre cette décision de la Copa auprès de l’autorité de surveillance suisse des marchés financiers, la FINMA. Le chemin vers la sortie du tunnel semble encore long pour MCH.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°552 du 2 octobre 2020, avec le titre suivant : Spleen à Bâle après l’annulation d’Art Basel

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