Souvenirs de John Rewald

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 579 mots

L’historien de l’art, John Rewald, mort le 3 février à New York, était spécialiste de l’impressionnisme. Il publia des ouvrages célèbres, dont « Histoire de l’impressionnisme » (1946) et « Histoire du post-impressionnisme » (1956). Marianne Feichenfeldt évoque le souvenir de l’un de ses amis.

ZURICH - Le jeune Rewald fut le premier à avoir l’idée de photographier les lieux qui avaient été peints par Cézanne : la montagne Sainte-Victoire, le village de Gardanne, la plaine de Bellevue, le Jas de Bouffan, le Château-noir. Ces photos le firent connaître et elles laissèrent une impression inoubliable. Je crois me souvenir que John avait sur place un groupe d’amis ; le peintre Marschütz vivait déjà à Aix et se lia d’amitié avec le jeune homme.

Nous nous vîmes peu durant ces premières années d’émigration. Je sais que John revint ensuite à Paris et qu’il y fit la connaissance de Félix Fénéon, qui devait faire preuve envers lui d’une grande compréhension.

"Cent ans d’art français"
John commença alors à afficher sa passion qui l’animait pour la peinture française du XIXe siècle. J’ai vécu de près cette passion lorsque le directeur du Stedelijk Museum  d’Amsterdam, D. Roell, prépara avec mon époux une exposition sur Cent ans d’art français. Les deux hommes demandèrent à John Rewald de venir travailler avec eux et cela se traduisit par une exposition mémorable. John devait rester toute sa vie ce qu’il était dès ce moment : un défenseur de l’art qu’il aimait, résolu et sans compromis, d’une capacité d’enthousiasme impressionnante.

Dans les années de l’immédiat avant-guerre, John se mit à écrire et à publier ; Fénéon éveilla alors certainement son intérêt pour Seurat. Les temps étaient dificiles pour les émigrés et l’on ne se voyait que rarement. A la déclaration de guerre, Rewald fut interné comme Allemand, mais il réussit à passer à temps aux U.S.A. et je ne l’ai pas revu avant la fin des hostilités.

Connu mondialement
John s’est vraiment réalisé en Amérique. Il a pu y écrire son Histoire de l’Impressionnisme, livre remarquable qui lui attira la reconnaissance internationale qu’il méritait. John avait une merveilleuse mémoire visuelle : sa connaissance des tableaux et ses jugements de valeur se renforçaient mutuellement ; la solidité de ses analyses était universellement appréciée.

John Rewald savait aussi conseiller de jeunes collectionneurs, de sorte que certains d’entre eux possédèrent en peu d’années de véritables trésors – qu’ils lèguent ou ont légués à différents musées américains. Ces institutions ont ainsi une dette de reconnaissance envers John Rewald.

Lui-même se constitua avec le temps une charmante collection de dessins, genre qu’il appréciait. A chaque visite à New York, nous admirions ses nouvelles acquisitions. Nous fûmes d’autant plus étonnés lorsque John vendit cette collection chez Sotheby’s en juillet 1960 : il voulait s’acheter quelque chose en Provence. Ainsi naquit la "Citadelle" de Ménerbes, qui devait être l’un des événements les plus heureux de sa vie. Il y passa de nombreux mois, sur la colline, près de la petite piscine, dans cette vieille demeure qu’il aimait.

La tragédie de sa vie fut la mort de son fils unique Paul, en 1970, à trente-deux ans. John vendit sa maison de Provence et n’y revint plus que rarement.

Il resta le même presque jusqu’au bout. Il venait souvent nous voir à Zurich, entre deux voyages en Italie. Il travaillait à la refonte du Venturi, le catalogue raisonné de l’œuvre de Cézanne, labeur de longue haleine qui lui demandait, disait-il, un travail énorme de réflexion pour chaque tableau.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Souvenirs de John Rewald

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