Sous le coup des lois

Le Journal des Arts

Le 22 février 2002 - 1061 mots

Suspecté de recel en juillet 2001, Frederick Schultz, antiquaire basé à New York, a été condamné le 12 février en violation d’une loi américaine sur les biens volés, dite NSPA. Risquant une peine maximale de cinq ans et une amende de 250 000 dollars, Frederick Schultz s’apprête à interjeter appel avant la prononciation de sa condamnation, le 30 mai. L’Égypte a d’ores et déjà récupéré un ensemble de pièces.

New York (de notre correspondante) - Au début du mois de janvier, le tribunal fédéral a décidé de maintenir les poursuites judiciaires engagées contre Frederick Schultz, antiquaire new-yorkais, président de l’Association nationale des antiquaires d’art ancien, oriental et primitif. Le 12 février, le tribunal new-yorkais a jugé l’antiquaire coupable. Avant sa condamnation qui sera prononcée le 30 mai, ses avocats, “confondus par ce jugement”, entendent interjeter appel. De fait, le procès Schultz met en lumière une loi sur les biens volés, dite National Stolen Property Act (NSPA), un outil de plus en plus puissant aux États-Unis puisqu’il a pour vocation d’endiguer le flot des antiquités étrangères obtenues illicitement qui entrent dans le pays. Selon ce texte, recevoir, être en possession ou vendre des biens qui ont passé les frontières d’un État ou du pays, “après avoir été volés”, est un crime caractérisé. Or, Frederick Schultz avançait que les antiquités ne pouvaient pas appartenir à la catégorie des biens “volés”, en vertu du simple fait qu’une loi égyptienne stipule qu’elles sont propriété d’État. Mais le tribunal s’est catégoriquement opposé à ce point de vue en première instance à New York, laissant l’argument des partisans du “non volé” non recevable. Des groupes de marchands et Christie’s, avaient apporté leur soutien à Frederick Schultz dans une note produite lors du procès, “dans l’intérêt de la justice”. Une note de la partie adverse, en faveur de la mise en examen, avait été déposée par des groupes d’archéologues.
En ce qui concerne l’introduction sur le territoire américain d’antiquités obtenues illicitement, la défense a souvent avancé que la notion de “biens volés” selon la loi NSPA n’est pas la même dans la législation d’autres pays. Cependant, le tribunal a déclaré que les citoyens “ayant fait le commerce de butins provenant de vols commis à l’étranger” sont fautifs quoi qu’il en soit, et que la loi étrangère en question reflète le choix d’une nation de revendiquer la propriété de ses antiquités. Précisément, la loi 117 stipule que, depuis 1983, tous les biens historiques égyptiens de plus de cent ans et présentant un intérêt archéologique ou historique sont propriété de l’État. Or, “les somptueux objets de l’Égypte ancienne attirent inévitablement l’attention, pas seulement des chercheurs et des esthètes, mais aussi des pilleurs de tombes, des trafiquants, du marché noir et autres voleurs, a affirmé le juge Jed S. Rakoff. Chaque pharaon semble avoir un prix étiqueté sur la tête ; et si le prix est correct, un chasseur de têtes sera contacté pour subtiliser la tête à son propriétaire légal”. Parmi les objets pour lesquels Frederick Schultz est accusé, figurent un buste du pharaon Aménophis III estimée un million de dollars, une statue en calcaire et deux reliefs peints de l’Ancien Empire.
Tandis que Frederick Schultz démontrait que la loi égyptienne 117 donnait une définition trop vague du terme d’antiquités, le tribunal a déclaré que la loi 117 “fait valoir sans équivoque la propriété de l’État pour toutes les antiquités”, et “assigne à l’État la plupart des droits, si ce n’est tous, ordinairement attachés à la propriété d’un bien”. Ainsi, le statut des objets n’a pas pu faire l’objet de discussions. En outre, Frederick Schultz a avancé que la loi 117 n’est rien d’autre qu’une licence ou une réglementation pour l’exportation. Mais le tribunal a rejeté cet argument lors d’une audience contradictoire en déclarant que “l’accusé était dans l’incapacité de fournir le moindre élément” pour appuyer son assertion et ne pouvait proposer que l’avis “purement hypothétique” d’un professeur de la faculté de droit de l’UCLA sur le fait que la loi 117 n’interdit pas à l’Égypte de laisser sortir certaines antiquités dans des mains privées. A contrario, a poursuivi le tribunal, les États-Unis ont produit le témoignage du secrétaire général du Conseil suprême des antiquités égyptiennes, selon lequel “l’Égypte opère une saisie physique immédiate de toutes les antiquités fraîchement découvertes, qui peuvent parfois se chiffrer à plusieurs dizaines de milliers”. Un autre témoin à charge, le directeur égyptien des affaires criminelles de la Police des antiquités, a déclaré que son département, qui emploie plus de 400 officiers de police, “enquête régulièrement et instruit des dizaines de cas de violation de la loi 117”, dont la plupart concernent un trafic avec l’Égypte. Frederick Schultz a rétorqué qu’une loi fédérale de 1983, la loi sur l’exécution de la convention sur la propriété – Convention on Cultural Property Implementation Act (CCPIA) –, annulait la validité de la loi NSPA dans les affaires d’importations d’antiquités. La loi CCPIA autorise les États-Unis à signer des accords bilatéraux avec d’autres nations afin d’interdire l’importation de certaines catégories d’antiquités sur le territoire américain. Elle interdit également l’importation de certains objets inventoriés, volés sur des monuments étrangers. Le tribunal a rejeté cet argument avancé par Frederick Schultz, jugeant une telle justification légale “inappropriée” et que rien dans les textes ni dans l’histoire de la loi CCPIA n’allait dans ce sens. La loi CCPIA ne concerne pas principalement le vol détourné, a déclaré le tribunal, tandis qu’il s’agit de la vocation première de la loi NSPA. Même le plus fervent partisan universitaire de la loi CCPIA, a déclaré le tribunal, a reconnu que les poursuites judiciaires sont justifiées pour les affaires de vol. Frederick Schultz a également mentionné que la justice égyptienne ne l’avait pas nommé comme complice lors des poursuites engagées contre les personnes ayant commis les vols d’antiquités. Mais cela “ne constitue en rien” une reconnaissance de son innocence pour la justice égyptienne sur laquelle le tribunal de New York pourrait s’appuyer, comme l’avance Frederick Schultz. Le juge a allégué que cet argument, ainsi que d’autres avancés par Frederick Schultz, était “suffisamment insignifiant pour ne pas justifier de débat”. Après la condamnation de l’antiquaire, l’Égypte a récupéré aux États-Unis cinq pièces sorties en contrebande du pays, notamment une statue en bronze d’Horus, une tête du pharaon Aménophis III en granit noir et deux blocs de calcaire, selon Gaballah Ali Gaballah, secrétaire général du Conseil suprême des antiquités.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°143 du 22 février 2002, avec le titre suivant : Sous le coup des lois

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