Politique

ENTRETIEN

Sophie Cluzel : « L’accessibilité dans les lieux patrimoniaux, c'est au bénéfice de tous ! »

Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 18 février 2021 - 1112 mots

Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, Sophie Cluzel rappelle les réalités en matière de handicap en France et dresse un bilan des actions menées pour sa prise en compte par le ministère de la Culture et au sein des sites patrimoniaux.

Sophie Cluzel. © Benoit Granier/Matignon
Sophie Cluzel.
© Benoit Granier / Matignon

Sophie Cluzel (60 ans) est secrétaire d’État chargée des personnes handicapées depuis 2017. Son parcours est atypique, elle ne sort pas de l’ENA mais d’une école de commerce de Marseille. Mère de quatre enfants dont une fille trisomique, elle quitte une carrière effectuée dans l’entreprise (Esso, Descamps) pour s’investir dans le milieu associatif au service des personnes handicapées. Elle s’était fait connaître en organisant en 2012 un « Grenelle » de l’intégration des jeunes handicapés.

Combien y a-t-il de personnes handicapées en France ?

Un Français sur cinq ! Soit presque 12 millions de personnes, avec des situations très différentes : handicap sensoriel, physique, psychique, mental. Les personnes en situation de handicap physique incarnent le sujet dans l’inconscient collectif. Mais dans les faits, 80 % des handicaps sont invisibles (ainsi des troubles des fonctions cognitives…). En résumé, chacun a dans son entourage une personne en situation de handicap. À ceux-là se rajoutent les 10 millions d’aidants de ces personnes ; 22 millions de Français sont donc concernés par le handicap.

Combien d’argent l’État consacre-t-il au handicap ?

Là aussi les chiffres sont peu connus. Depuis 2017, l’État consacre chaque année 51 milliards d’euros aux politiques publiques du handicap, soit 2,2 % du PIB. Sur ce budget, je distinguerai deux grands axes : 12 milliards d’euros pour l’allocation aux adultes handicapés (1,2 million de personnes en bénéficient chaque mois jusqu’à 900 euros) et à peu près le même budget pour le financement des établissements médico-sociaux.

Qu’est-ce qui a changé avec le quinquennat d’Emmanuel Macron ?

Depuis 2017, le secrétariat d’État n’est plus rattaché au ministère de la Santé mais au Premier ministre. C’est un changement radical de paradigme, qui induit une nouvelle ambition politique. À travers ce rattachement, les personnes en situation de handicap ne sont plus considérées comme des objets de soins mais avant tout comme des sujets de droits. À présent, chaque ministre inscrit le handicap dans son action, quelle qu’elle soit. Chaque ministre a également un haut fonctionnaire chargé du handicap et rattaché à son ministère, qui déroule une feuille de route spécifique à son champ. Je travaille en concertation avec l’ensemble du gouvernement. Nous avons déjà tenu quatre comités interministériels du handicap, un chaque année. Cette approche novatrice porte déjà ses fruits dans les politiques publiques que nous mettons en œuvre.

Comment se passe la relation avec le ministère de la Culture ?

Roselyne Bachelot est historiquement très investie sur le sujet et je travaille en parfaite harmonie avec elle. Nous allons relancer la Commission nationale Culture et Handicap (la dernière réunion date de janvier 2014) où spécialistes du handicap et acteurs du monde de la culture se réunissent pour mettre en œuvre des solutions concrètes. Par ailleurs, la Réunion des établissements culturels pour l’accessibilité (Reca), créée en 2003, convie régulièrement des représentants de ces établissements avec des entreprises spécialisées du secteur du handicap. De ces différentes instances sont nés six guides pratiques spécifiques édités par la Rue de Valois. Le dernier en date (janvier 2021) s’intitule « Guide pratique sur l’accessibilité dans l’enseignement artistique ». Ces guides, rédigés avec des professionnels, intègrent des expériences réussies dans ce domaine.

Où en est la mise en œuvre de loi de 2005 sur l’accessibilité du bâti ?

L’accessibilité est acquise dans tous les musées nationaux. Ainsi, le Musée national du Moyen Âge, à Paris, qui était totalement inaccessible, a réalisé d’importants travaux ; il est maintenant en accessibilité totale. L’état des lieux est plus complexe pour les autres musées et sites patrimoniaux territoriaux ou privés. Le bâti ancien est plus compliqué à adapter et nécessite des investissements conséquents. Raison pour laquelle, notamment, l’objectif d’une accessibilité de tous ces sites n’a pas pu être tenu pour 2015. Pour impulser une nouvelle dynamique sur ce sujet, des agendas progressifs de mises aux normes (à échéance de trois, six ou neuf ans) ont été mis en place. Je préfère inciter que jouer de la coercition.

Mon mantra, c’est simplifier et améliorer le quotidien des personnes en situation de handicap en restant très pragmatique. J’ai ainsi en tête un village dans le sud de la France où la Mairie laisse à la boulangerie locale une rampe amovible que les personnes en fauteuil peuvent utiliser pour accéder à l’église… et dans les autres commerces du village.

Ne faut-il pas mettre également l’accent sur l’accessibilité des sites patrimoniaux aux autres formes de handicap ?

Oui absolument, et je trouve que les projets avancent bien sur le terrain. Les musées se sont vraiment emparés de l’accessibilité des personnes handicapées et je considère objectivement qu’ils font du bon travail. Les établissements culturels s’y consacrent depuis plusieurs années déjà car ils ont une longue tradition d’accueil de publics très divers, à commencer par les visiteurs étrangers. Ils savent gérer la diversité et la différence. Au château de Versailles où je me suis rendue récemment, il y a, entre autres, pour les personnes aveugles une maquette en 3D, que les enfants adorent manipuler !

Je souhaite insister sur un point important : l’accessibilité, c’est au bénéfice de tous. Quand le cheminement pour les fauteuils roulants est amélioré, la visite des personnes âgées est facilitée. Quand des fiches explicatives des œuvres rédigées en FALC (« facile à lire et à comprendre », c’est-à-dire une version simplifiée d’un texte) sont mises à disposition des personnes déficientes intellectuelles, c’est utile aussi pour les personnes, de tous âges, qui ne maîtrisent pas complètement le français, par exemple des personnes récemment arrivées en France. Quand les enjeux du handicap progressent, c’est toute la société qui avance !

Le ministère de la Culture remet tous les ans un prix « Patrimoine pour tous » qui distingue un lieu pour ses efforts en matière d’accessibilité. Ce prix a-t-il la notoriété qu’il devrait avoir ?

Indéniablement sa notoriété doit être développée car ce prix, qui peut avoir un effet incitatif, n’est pas assez connu. Mais il y a aussi d’autres labels qui font référence. Je pense notamment au label « Tourisme et Handicap ».

Un Français sur cinq est handicapé, soit 18 % de la population ; combien d’entre eux vont dans les musées ?

Impossible de le savoir car ce type de statistiques est interdit en France. En revanche, nous avons des chiffres sur le taux d’emploi des personnes handicapées. Les musées nationaux sont, en général comme toutes les entreprises publiques, de « bons élèves » avec un taux d’emploi proche des 6 % inscrits dans la loi « travail ». Dans les lieux privés, le taux est plus bas (3,8 %), à l’image des entreprises. Mais l’envie de faire mieux est là. Je le constate à chacun de mes déplacements.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°561 du 19 février 2021, avec le titre suivant : Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées : « L’accessibilité dans les lieux patrimoniaux, c’est au bénéfice de tous ! »

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