Soleil levant au Musée Jacquemart-André

Mis en cause par un rapport de la Cour des Comptes, ce musée de l’Institut de France a pris des mesures d’urgence.

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 856 mots

Fermé depuis deux ans, le Musée Jacquemart-André entend prendre un nouveau départ. Cet autre joyau de l’Institut de France (boulevard Haussmann, Paris) ouvre son rez-de-jardin, restauré, à des visites de groupe depuis quelques semaines, se bat pour financer la restauration du premier étage et organisera, l’automne prochain, une exposition itinérante d’une sélection de ses oeuvres au Japon.

PARIS - Lorsque L’Express (1) "révéla" des "disparitions d’œuvres", mentionnées dans un rapport de la Cour des Comptes, le Musée Jacquemart-André connut les heures les plus sombres de son histoire. En réalité, des lacunes dans l’inventaire, conjuguées au peu d’empressement des responsables du musée, Lydie et René Huygues, à coopérer, avaient accrédité cette thèse. Depuis, les pièces ont été "retrouvées". Néanmoins l’Institut a reconnu ses défaillances – dénoncées par la Cour des Comptes – en matière administrative et comptable. Ainsi, l’Assemblée Générale et la Commission Administrative Centrale de l’Institut ont adopté le 17 décembre 1991, une "instruction interne" (2) portant sur "les procédures des inventaires, la constitution des commissions de gestion des musées, (...) l’exigence d’un compte de résultat par Fondation et d’un suivi analytique par site". Et, s’agissant de Jacquemart-André, l’Institut rappelle qu’il s’est porté partie civile dans la procédure pénale et que "depuis le mois de janvier 1991, une sous-commission de la Commission Administrative Centrale gère avec soin et rigueur le musée...".

Rigueur. L’Institut décide il y a deux ans la fermeture au public, une mesure grave et rare pour un musée. Un nouveau conservateur est désigné: Nicolas Sainte Fare Garnot, auparavant en charge du Musée de l’Assistance Publique. "Le principe qui a guidé ma démarche, insiste Nicolas Sainte Fare Garnot, fut d’abord de me dire: nous ne sommes pas dans un musée, mais dans un château que l’on doit restituer dans son jus !" Cet hôtel particulier, construit par l’architecte Henri Parent en 1875, était en effet la demeure d’Édouard André -richissime héritier d’un banquier protestant – et de son épouse Nélie Jacquemart – artiste peintre – qui rassemblèrent selon l’agencement du XIXe siècle une extraordinaire collection de tableaux - notamment italiens – ("en excellent état" reconnaît le conservateur) et d’objets d’art dans leur résidence. Légué à l’Institut, le palais fut ouvert au public en 1913.

Travaux d’urgence
La fermeture a permis d’entreprendre les travaux d’urgence indispensables : équipements de sécurité mis en conformité avec les normes actuelles, première tranche d’un plan sur cinq ans de travaux d’électricité. Mais c’est le projet muséologique soumis par le conservateur, et adopté par l’Institut, qui constitue le socle d’un véritable projet de développement. Les appartements privés des Jacquemart-André ont été libérés... des bureaux de la conservation. Ils retrouveront peu à peu leur mobilier d’origine. La restauration de ces appartements privés a été engagée grâce au mécénat de la banque Neuflize Schlumberger Mallet, dont les origines croisent celles de la famille André.

L’ordonnancement intérieur d’époque sera restitué, grâce à des clichés anciens découverts il y a peu. "En 1995 seulement, je profiterai de l’aide de l’État, négociée entre l’Institut de France et la Direction du Patrimoine" soupire le conservateur. "Nous referons alors la toiture pour 8 millions de francs.". L’année 1995 devrait également voir l’ouverture de "l’étage italien", avant celle des appartements privés (1996) et celle d’un espace d’exposition temporaire (1997), dont l’usage sera en rapport avec les collections. "Des expositions temporaires qui ne seraient pas en relation avec les collections et avec le musée... c’est non !", assène Nicolas Sainte Fare Garnot, "l’expérience passée nous fut trop néfaste !"

Depuis quelques semaines, le musée s’est entrouvert aux visites de groupes : "le succès est réel, confie-t-il, il y a une liste d’attente". Les recettes ainsi dégagées s’ajoutent aux 4 millions de francs de fonds propres de la Fondation Jacquemart-André et aux recettes de location de salles. Quant à une ouverture normale au grand public, "il est trop tôt" estime-t-on au musée. Mais à la faveur de statuts moins rigoureux que ceux de Chantilly (3), peut-être inspiré par le précédent de la Fondation Barnes et dans le sillage du Louvre dont 80 œuvres célébrèrent le bicentenaire au Japon l’an passé, le conservateur règle les derniers préparatifs d’une exposition dans ce pays de quelque 80 œuvres "phares" du musée.

L’exposition sera présentée à l’automne et l’hiver prochains, durant trois mois, dans de grands musées et "non des grands magasins", assure Nicolas Sainte Fare Garnot. Les recettes de cette "tournée" contribueront au financement des travaux engagés et programmés. De retour du "pays du soleil levant", les œuvres retrouveront leur écrin du boulevard Haussmann et un public qui, parfois las des grandes machines muséales, semble de plus en plus curieux des collections intimistes.

(1) L’Express du 11 avril 1991.

(2) Instruction évoquée dans la "Réponse du Président de la Commission Administrative Centrale de l’Institut de France, du Chancelier et des Secrétaires Perpétuels" à Monsieur le Président de la Cour des Comptes en vue d’insertion au Rapport Public (pages 164 à 167), dans laquelle il est par ailleurs rappelé que "c’est à l’Institut seul que revient la tâche de rédiger les textes le concernant".

(3) Seule obligation, curieuse s’agissant des collections, et imposée par les Jacquemart-André: ne pas acheter une œuvre antérieure à 1800.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Soleil levant au Musée Jacquemart-André

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