Chine - Art ancien

MUSÉE

À Shanghaï, une exposition « al dente »

Par Michel Temman, correspondant au Japon · Le Journal des Arts

Le 2 novembre 2021 - 1040 mots

SHANGHAÏ / CHINE

La peinture italienne de la Renaissance au XIXe siècle remplit actuellement les salles du Bund One Art Museum de Shanghaï le temps d’une exposition. Un art qu’apprécie le public chinois qui se presse devant les toiles.

Vue de l'exposition « De la Renaissance au XIXe siècle ». © Bund One Art Museum
Vue de l'exposition « De la Renaissance au XIXe siècle ».
© Bund One Art Museum

Shanghaï. Un fin crachin d’automne a enveloppé le fameux « Bund » [promenade en bordure du fleuve], longue bande horizontale de 52 bâtiments néoclassiques serrés en enfilade, faisant face aux gratte-ciel de Lujiazui, le quartier d’affaires de Pudong, de l’autre côté du fleuve Huangpu. Il flotte dans l’air, ces temps-ci, au numéro 1 de ce boulevard de carte postale, un parfum d’Italie.

Le « 1, on the Bund », c’est en effet l’adresse, convoitée, du Bund One Art Museum, un musée privé d’arts classique et moderne lancé fin 2019 par deux entreprises chinoises, Tix-Media et Xinhua Distribution Group, au sein de l’Asiatic Building, un édifice en pierre de 10 000 m2 érigé en 1916, au temps des concessions étrangères.

Bund One Art Museum de Shanghai. © Bund One Art Museum
Bund One Art Museum de Shanghaï.
© Bund One Art Museum

À l’entrée, au niveau zéro, des Chinoises de tous âges, très habillées, se pressent en direction du troisième étage, où commence, à peine les parois en acier des ascenseurs entrouvertes, la découverte de l’exposition « De la Renaissance au XIXe siècle » : cinquante-quatre pièces maîtresses de la collection de l’Académie Carrare de Bergame, en Lombardie. Des trésors présentés par période et par salle qui, très vite, au gré d’un parcours agencé par la scénographe française Margo Renisio, attirent les regards. Une nuée de portables, surveillés par des gardes de sécurité sur le qui-vive, s’immobilise devant la toile-star San Sebastiano de Rafaello Sanzio (1501-1502), dont le nom francisé, Raphaël, a été retenu pour la promotion publicitaire, et comme tête d’affiche des quarante-cinq maîtres italiens ici réunis sur 1 000 m2 parmi lesquels Bellini, Carpaccio, Moroni, Hayez, Titien ou Rubens. Une première en Chine. Le commissaire de l’exposition, Giovanni Valagussa, n’a pas hésité à faire le voyage jusqu’à Shanghaï pour être de l’inauguration et braver l’épreuve des trois semaines de quarantaine obligatoires dont deux barricadé dans un hôtel sanitaire.

Saints et madones, nobles et comtesses, scènes de vie et vie de palais, bastions de province, paysages, fleurs et chrysalides, l’exposition, en plein Bund, de ces toiles centenaires – la première initiative culturelle post-pandémique lancée par l’Italie à l’étranger –, fait presque figure de pied de nez à une scène shanghaïenne électrifiée, parfois jusqu’à la frénésie, par l’art contemporain. « Les Chinois ont une fascination inconsciente suscitée par la peinture italienne, explique Francesco D’Arelli, directeur de l’Institut culturel italien à Shanghaï. Déjà vers la fin du XVIIe siècle, Matteo Ricci [un missionnaire jésuite italien qui fut l’un des premiers à entrer en Chine], écrivait dans ses lettres que la peinture italienne étonnait les érudits chinois, qui admiraient la vivacité des couleurs et la profondeur de l’espace. Pour les Chinois de l’époque, la peinture italienne était une véritable représentation de la vie. »

Une fascination pour les arts de l’Italie – voire pour un certain « rêve italien » – qui perdure. Comme en témoigne la pléthore de restaurants en ville, tel l’étoilé Da Vittorio, ouvert en 2019 à deux pas de la Fondation d’art Fosun.

Déjà 60 000 visiteurs

Les chefs-d’œuvre de la collection Carrare ont attiré pour l’heure un peu plus de 60 000 visiteurs à Shanghaï. « Fait étonnant, c’est aussi à la France que l’on doit l’événement, confie le consul général d’Italie à Shanghaï, Michele Cecchi. Le Musée Marmottan Monet a en effet contribué à tisser le lien entre l’Académie Carrare et le Bund One Art Museum. » Entre fin 2020 et mi-2021, ce dernier a ainsi accueilli deux expositions consacrées à Monet et aux impressionnistes.

Au fil du dédale des salles accueillant la collection Carrare, une huile sur canevas, Ricordo di un dolore [Mémoire d’une douleur, 1889], signée Giuseppe Pelizza, porte bien son nom : fin 2020, la petite ville industrielle de Bergame, d’où est issue la collection, et ses 120 000 habitants furent les premiers touchés par l’épidémie de Covid-19. « Cela a été un choc, ajoute le consul Michele Cecchi. Le maire de Bergame et les entrepreneurs gérant la fondation se sont sentis obligés de réagir. Pour eux, c’était vital. Ils ont voulu transcender le deuil en projetant très loin, jusqu’en Chine, elle-même touchée, ce qu’ils avaient de mieux : la culture, l’art et leur prodigieuse collection. »

Un modèle économique très classique  


Budget. « Amener en Chine la collection de l’Académie Carrare, d’une valeur inestimable, se comptant en centaines de millions d’euros, c’est bien sûr un vaste défi, à tous les niveaux, en matière à la fois de logistique, de services, d’assurance, de sécurité, de transport, de scénographie et d’installation », concède Dingwei Xie [lire entretien page 7], directeur du Bund One Art Museum, qui précise que la production de l’exposition a nécessité un budget compris entre 25 millions et 30 millions de yuans [3,5 à 4 millions d’euros], car s’ajoutent à ces coûts ceux du plan média et de communication en ligne, devenue cruciale en Chine avec l’explosion des plateformes. Pour rassembler un tel budget et équilibrer les dépenses, Tix-Media, société gérante du musée, soutenue par des investisseurs et prenant tous les risques, compte – à chaque fois – sur trois sources de financement : la vente en ligne de ses tickets, celle des produits dérivés et les dons issus du mécénat. D’ici fin décembre, d’après ses calculs, et malgré la persistance en Chine des restrictions sanitaires, le Bund One Art Museum espère avoir atteint le seuil des 100 000 tickets vendus (au prix, pour un adulte, de 188 yuans, soit 25 euros). Quant aux innombrables produits dérivés (catalogues, carnets, foulards, éventails…), conçus pour séduire un public féminin et parfaitement chamarrés dans la boutique à laquelle on accède au terme du parcours, ils représentent un tiers des revenus. Enfin, concernant le mécénat, le Bund One Art Museum a bénéficié avec cette exposition « Raphaël et les maîtres italiens » – autre nom promotionnel de l’événement –, coproduite côté italien par la société Arthemisia, d’un large support, à la fois institutionnel et privé – de quinze partenaires au total –, et en particulier de la part d’un puissant producteur de produits laitiers établi à Shanghaï, le groupe Bright Dairy & Food, coté en Bourse, déjà sponsor par le passé d’autres expositions montées au Bund One Art Museum avec des partenaires français.

 

Michel Temman, correspondant à Shanghaï

De la Renaissance au XIXe siècle,
jusqu’au 3 janvier 2022, Bund One Art Museum, 3F, Jiushi Art Center. No 1 Zhongshan No 1 Road East, Huangpu district, Shanghaï, Chine.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°576 du 29 octobre 2021, avec le titre suivant : À Shanghaï, une exposition « al dente »

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