Septembre noir

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2008 - 736 mots

Avec des accrochages rigoureux et une belle cohérence d’ensemble, 2008 est pour le Printemps de Septembre un excellent millésime.

Des enfants jouent avec l’épave d’un avion militaire (In transit, 2008), la caméra tournoie dans un bâtiment éventré, suivant en cela les mouvements d’un garçonnet qui la contemple (Dôme, 2005) ; dans le désert, des enfants en file indienne vendent à un homme des briques récupérées dans des ruines (Bricksellers of Kabul, 2006)… Sur des écrans géants, les quatre films de l’artiste afghane Lida Abdul habitent littéralement le peu commode Espace EDF Bazacle avec leurs morceaux de vie intenses et touchants. Le déroulé temporel y est par moments étiré, rendant parfois leur réception presque hypnotique, insistant sur les déplacements dans l’espace. Avec une poésie portée par la précarité, par une économie de la ruine et une réinvention de l’espoir avec les attributs et les résidus de la perte, cette exposition s’impose comme l’un des moments forts de la huitième édition du « Printemps de Septembre à Toulouse ».

Des lieux en crue
L’inflation du nombre de lieux d’expositions, passant cette année de huit à vingt, n’a pas pour autant dilué le propos de Christian Bernard, commissaire invité pour les éditions 2008 et 2009. L’ensemble dégage une belle impression de cohérence avec des propositions qui pour la plupart prennent appui sur le réel, sur des contextes spécifiques très marqués, jamais anodins et souvent inconfortables, qui servent de point de départ à des digressions mentales, à un renforcement de l’imaginaire, à des translations de l’expérience dans le temps et dans l’espace. À l’instar des Turinois Botto e Bruno, qui dans la promenade circulaire du Château d’Eau ont collé sur le mur un immense diorama figurant un paysage de banlieue urbaine pour le moins désolé ; une exploration des marges qui permet de cerner l’essence des questionnements propres à la vie contemporaine. Ou bien encore avec Mark Lewis, dont les cinq films donnés à voir au Théâtre Garonne flirtent avec la frontière, spatiale et perceptive, comme en un divorce forcé d’avec l’ici et le maintenant, diffusant une sensation d’être nulle part, alors que les contextes paraissent clairement définis.
Claude Lévêque s’empare lui de la Maison éclusière avec son Rendez-vous d’automne (2008) : de la terre au sol, des panneaux de signalisation en suspension vidés de leur signification, dont on a gardé seulement la forme et la couleur, un vieil autocar immobile et, entêtante, la reprise par une chorale de retraités de la chanson du même nom de Françoise Hardy. À la clef, une forte dose de mélancolie puis des regrets… et des rendez-vous manqués qui remontent à la surface. Avec Éric Hattan, le voyage n’en est pas moins mental. L’œil saute entre huit vidéos tournées en Islande (All the While, 2008). Les images sont suspendues à l’attente de l’infime qui parfois se produit, comme l’imperceptible déplacement d’un bateau au loin.
Le vrai voyage n’a plus besoin d’être corporel : « Là où je vais, je suis déjà », titre donné à l’ensemble de la manifestation, se pose ainsi comme un état d’esprit plus que comme un thème générique, qui confère des relents poétiques aux mouvements enclenchés par l’imagination. Une poésie de l’immédiat, forte, à la langue affûtée, sombre parfois, mais toujours ultra-précise. Comme dans ces deux projections du Suisse Alex Hanimann où l’artiste s’intéresse à la proximité de la menace, lorsque le jeu avec une vague risque de mal tourner (Heavy Seas, 2004) ou que l’attitude d’un pitbull agressif change radicalement à mesure qu’il s’adapte à la présence de la caméra (Shifting, 2004).
Au registre des décalages et du bouleversement des perceptions, John M. Armleder se montre magistral aux Abattoirs. Prenant possession des salles latérales du musée, qu’il rhabille de ses peintures de couleurs ou de motifs spécifiquement pensés, il compose un accrochage éclectique basé sur des collections publiques – les Musées des Augustins et d’Histoire naturelle de Toulouse en particulier. Ne s’interdisant rien, il convoque un accrochage intelligent et percutant où un système racinaire de peuplier voisine notamment avec deux toiles de Georges Mathieu,  La Haye vue du Nord (1655) d’Anthony Janz van der Cross et une Grenouille (1983) de Rebeyrolle. Du grand art, que de triturer ainsi celui des autres pour le faire quelque part redécouvrir, convoquant presque une nouvelle « histoire de l’œil » !

Le Printemps de Septembre

- Commissaire : Christian Bernard, directeur du Mamco, Genève
- Nombre d’artistes : 47
- Nombre de lieux : 20

LE PRINTEMPS DE SEPTEMBRE A TOULOUSE — LÀ OÙ JE VAIS, JE SUIS DÉJÀ, jusqu’au 19 octobre, divers lieux, Toulouse, tél. 05 61 21 17 01, www.printempsdeseptembre.com, du lundi à vendredi 12h-19h, samedi et dimanche 11h-19h. Catalogue, éd. Printemps de Septembre, 32 p., 5 euros

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Septembre noir

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