Architecture

Roche enfin fondé

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 22 mars 2002 - 716 mots

Voilà dix ans que, de déclarations intempestives en manifestes engagés, François Roche agite le landerneau architectural français et même international. Architecte de parole et de papier, on l’attendait au tournant du passage à l’acte. C’est chose faite. Sans rien abandonner de l’idéologique ni du polémique, le voici qui aborde la pratique. Avec une réalisation à la mesure de ses engagements, et trois projets qui ne le sont pas moins.

D’abord, une maison particulière à Sommières dans l’Hérault. Celle commandée par Ami Barak, directeur du Frac Languedoc-Roussillon. Une très curieuse chose, organique et vaguement végétale, qu’Ami Barak lui-même qualifie “d’objet visuel non identifié”, et que François Roche et Stéphanie Lavaux, son associée, comparent en souriant à un avion furtif.
Destinée à accueillir une famille de quatre personnes, la maison occupe 168 mètres carrés, pour sept pièces, d’un terrain de 1 500 mètres carrés en assez forte déclivité, pour un prix de 170 000 euros. Soit, apparemment, une maison banale, d’un prix plus que convenable.
Mais voilà, l’objet visuel non identifié tient les promesses de son auteur. Déjà surnommée à Sommières “la volière”, sa forme indéterminée est tendue d’une matière soyeuse verdâtre, en textile synthétique, utilisée généralement pour les serres à orchidées. Rien de sa forme extérieure ne laisse présager que son découpage intérieur correspond parfaitement aux besoins d’une famille. Contextuelle, elle affirme son intégration au paysage ; hétérogène, elle témoigne de son étrangeté.
Et surtout, elle affirme une rupture avec l’idéologie dominante et s’ancre dans un low tech assumé et péremptoire.
Avec cette maison, François Roche, dans la lignée des projets qu’il avait esquissés pour Soweto, la banlieue de Rotterdam, la Réunion ou encore la Corse, confirme ses choix et utilise une “écriture architecturale” tout à fait spécifique et singulière.
Une écriture que l’on retrouve dans son projet de musée d’art contemporain de Bangkok. Et où apparaissent également les préoccupations déjà exprimées à Sommières : la mécanique relationnelle au territoire, le principe de furtivité, une géographie architecturale faite de pliages, dépliages et cisaillements, la végétation considérée comme élément architectonique à part entière. Bangkok donc. Un petit musée d’art contemporain privé (3 000 mètres carrés), commandé par un collectionneur, Petch Osathanugrah, ancien chanteur de rock devenu un tycoon du cosmétique dans son pays.
Là encore, François Roche et Stéphanie Lavaux s’amusent à jouer d’un exercice schizophrénique entre extérieur et intérieur. À l’intérieur, un entrelacs de rhizomes et de cubes en béton, une simplicité extrême pour laisser tout l’espace à l’exposition. À l’extérieur, une sorte de diamant dont la peau est constituée d’un grillage plus ou moins ouvert dans des tonalités de blanc, de noir et de gris à la manière d’une pixelisation. Et toute latitude laissée à la colonisation végétale (des lichens) et à la pollution propre à Bangkok pour pervertir le bâtiment très justement nommé “Silverelief”. Le musée, situé en plein cœur de Bangkok, ouvrira ses portes au public en 2003.
Toujours en Thaïlande, un autre projet se dessine. Cette fois-ci au nord, à Chiang Maï. Là, l’artiste contemporain Rirkrit Tiravanija a imaginé, sur un vaste terrain qu’il possède, un village d’artistes. Outre lui-même, il a invité ses amis, parmi lesquels Pierre Huyghe, Dominique Gonzalez-Foerster, Liam Gillick, Paul McCarthy, à concevoir chacun une architecture. Associés à Philippe Parreno, François Roche et Stéphanie Lavaux ont imaginé une “Elephant Power Station” de 150 mètres carrés, particulièrement utile en ce lieu sans électricité. Couverte de fragiles feuilles de bananier, leur station produira l’électricité nécessaire par l’action d’un éléphant agissant sur des contrepoids alimentant une dynamo. Le projet verra le jour, lui aussi, en 2003.
Enfin, une quatrième commande est en cours pour une autre maison individuelle. Celle de Marcel Tavé, ancien directeur du Frac de la Réunion, et actuellement en poste à Anaba (Algérie). Elle prendra corps dès qu’un terrain sera trouvé.
Dix ans d’attente pour François Roche avant de voir enfin quatre projets prendre corps et réalité. Assez curieusement, ces quatre projets lui ont été commandés par deux agents culturels, un collectionneur et un artiste. Soit quatre acteurs du monde de l’art.
Comme s’il fallait en passer par ce circuit pour qu’enfin prennent forme le goût de l’aléatoire, la revendication à l’ambiguïté, le refus du standard, la singularité revendiquée du créateur. L’architecture, ici, ne se limite pas à l’art de bâtir, mais se positionne également comme un mode d’expression.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Roche enfin fondé

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