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Reims, le fiasco de l’ex-futur Grand Musée

Par David Robert · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2014 - 1148 mots

REIMS

Voté à l’unanimité en 2012, le projet de David Chipperfield pour le Grand Musée de Reims vient d’être annulé par le nouveau maire qui le juge trop coûteux. Sa priorité est le réaménagement d’un complexe sportif fermé en urgence pour raison de sécurité. Si près de 5 millions d’euros ont été gaspillés selon l'opposition, les collections du musée restent les premières victimes de ces errements.

Musée des beaux-arts de Reims - © Photo Gérald Garitan - 2010 - Licence CC BY-SA 3.0
Le Musée des beaux-arts de Reims.
Photo Gérald Garitan, 2010

REIMS - L’histoire pourrait être celle d’un envoûtement du musée par saint Denis souhaitant garder la collection rémoise dans les murs de son ancienne abbaye, à deux pas de la cathédrale. Mais le dernier rebondissement de cette histoire qui dure depuis près de dix ans est davantage emblématique des arlésiennes comme la vie locale en propose, au gré des alternances politiques, des querelles d’ego et des intérêts particuliers. Au début des années 2000, la mairie alors dirigée par Jean-Louis Schneiter (UMP), envisage d’offrir un nouveau bâtiment au Musée des beaux-arts de Reims, dont David Liot a pris la tête en 1999. On pense au quartier du Boulingrin, que la ville entreprend de revitaliser, et à ses halles classées (Freyssinet), un temps pressenties pour accueillir le musée. En 2005, l’idée d’un bâtiment nouveau mais voisin est retenue, l’urgence n’étant pas démentie. Alors directrice des Musées de France, Francine Mariani-Ducray évoque en petit comité à la Drac Champagne-Ardenne : « le renouveau du musée de Reims est une priorité nationale ».

Ce n’est qu’en 2008, à la faveur de la campagne municipale, que le projet de Grand Musée s’impose à l’agenda municipal. Les trois candidats principaux sont invités à se positionner, l’enjeu devient réel. La maire nouvellement élue, Adeline Hazan (PS), clôt un long (deux ans) tour de table avec un concours architectural de 148 équipes. En 2012, l’agence de David Chipperfield l’emporte avec un projet évalué à près de 55 millions d’euros, prévu face aux Halles, et voté à l’unanimité lors du conseil municipal. Les fouilles sont lancées, l’instruction du permis de construire aussi, et le plan de financement se met en place : 7,95 millions d’euros de la Drac et la même somme de la région, au titre du contrat de projet état-région (CPER) pour les grands investissements. Restent quelque 36 millions à trouver, dont une large partie sur le budget municipal de la culture. La mairie compte également sur le projet Agora, un complexe immobilier – financé par une filiale de Vinci – comprenant des bureaux, des commerces et un grand hôtel à proximité du futur musée : pour commencer, 4,5 millions d’euros sont prévus pour la vente du terrain (municipal).

La campagne de 2014 approchant, la vie locale se fige et les acteurs du projet sont à l’écoute du pouls municipal. Le musée devient enjeu politique, les positions se tendent et le candidat de l’opposition, Arnaud Robinet (UMP), dénonce un projet trop coûteux. L’existence du nouveau musée est alors directement suspendue au résultat de l’élection. L’argument budgétaire est d’autant plus avancé par le candidat que le Nautilud, complexe sportif alliant piscine et patinoire, connaît des problèmes de charpente et devra fermer puis être reconstruit en urgence. La victoire surprise d’Arnaud Robinet au second tour et la priorité donnée au Nautilud annoncent des temps difficiles pour le musée de Chipperfield. S’ensuit un silence de trois mois sur la question. L’association Grand Musée Boulingrin (GMB) et la nouvelle opposition interpellent Arnaud Robinet en juillet, pour qu’il rencontre les acteurs du projet. Après un rapide tour d’horizon des parties prenantes (ne comprenant cependant pas l’architecte titulaire du projet cependant), Arnaud Robinet annonce au journal L’Union, le 16 septembre dernier, son intention d’annuler définitivement le projet prévu au Boulingrin.

Des millions d’euros gaspillés
Pour justifier l’abandon du projet, l’adjoint à la culture Pascal Labelle résume en trois temps : « Le plan de financement du musée était encore largement incomplet, pour un projet très coûteux. Ensuite, le Nautilud nous impose une urgence et des dépenses incompatibles avec l’engagement du projet prévu de Grand Musée. Enfin, nous pensons que le site du Boulingrin n’est finalement pas pertinent, suite à de nouvelles études réalisées. » Les nouvelles études consistent en « une série d’entretiens avec les sachants », selon les termes de l’adjoint. Avisé de manière informelle, mais tenu au silence jusqu’à la publication officielle de l’annulation par la mairie, le cabinet de David Chipperfield n’a pas souhaité réagir, mais il précise avoir reçu sa notification d’annulation le 20 octobre.

L’annulation du projet du Boulingrin peut être vu comme un gâchis certain, en premier lieu financier : si l’actuelle municipalité parle d’un million d’euros dépensés, l’ancienne majorité, factures à l’appui, en compte près de cinq, détail fourni lors d’un conseil municipal de février. 5 millions qu’il convient de mettre en regard des 6,4 prévus pour toute la phase d’études de maîtrise d’œuvre, afin d’évaluer le degré d’avancement du projet. « Aux 750 000 euros des fouilles préparatoires s’ajoutent plus de 4 millions d’euros versés à l’architecte depuis deux ans, puisque l’avant-projet définitif (APD) était presque terminé, muséographie incluse », explique Serge Pugeault, ancien adjoint à la culture et aux grands projets, à ce titre doublement chargé du projet de Grand Musée.

Au-delà des 35 millions d’euros restant à financer, l’autre débat porte sur le manque à gagner, plus difficilement chiffrable. L’association Grand Musée Boulingrin (GMB) l’estime à près de 30 millions d’euros, entre la voilure réduite du projet Agora et les donations prévues (les legs du fonds Fujita et de la collection Pommery, estimés autour de 7 millions d’euros, sont conditionnés à l’existence de salles dédiées dans le nouveau musée). Le manque à gagner total est sans doute moindre : le projet Agora est, dans son cahier des charges, indépendant du musée, nous a confirmé un des architectes concernés. Mais l’on voit mal le projet hôtelier et commercial maintenu à l’identique si le voisinage d’un musée à 200 000 visiteurs par an est remplacé par celui d’une piscine municipale, même olympique. Quant aux donations, la mairie dispose d’encore quatre ans (2018) pour proposer une solution. Face aux nouvelles directions, l’opposition déplore le manque de concertation et de vision : « le Nautilud est une priorité, c’est vrai. Mais si un équipement touristique comme le musée est logique dans l’hyper-centre, la piscine aurait été plus légitime en proche périphérie avec un transport en commun dédié. Et le problème reste entier pour le musée », explique le conseiller municipal Frédéric Bardoux (PRG). La nouvelle équipe semble ne pas réussir à rassurer les parties prenantes. Pour le musée, dix ans de revirements successifs ont pénalisé les personnels avec des conditions de travail dégradées, tandis que la collection a rencontré des problèmes de conservation. On estime à 7 % du total le fonds exposé. Les expositions temporaires ne sont permises que par le décrochage régulier de la collection permanente. Pour un musée censé abriter l’une des plus riches collections de France, la situation est difficile. Comme il y a dix ans.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Reims, le fiasco de l’ex-futur Grand Musée

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