Musée

Entretien

Régis Durand, directeur du Jeu de paume, à Paris

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 25 juin 2004 - 1483 mots

PARIS

Nouvelle institution nationale consacrée à la photographie et à l’image, le Jeu de paume a ouvert ses portes le 24 juin avec deux expositions, l’une consacrée à Guy Bourdin, l’autre thématique, « Éblouissement ». Née de la fusion du Centre national de la photographie (CNP), du Patrimoine photographique et des Galeries nationales du Jeu de paume, cette structure – qui prendra à terme la forme juridique de l’ établissement public – répond à la volonté de lisibilité et de visibilité de l’action du ministère de la Culture dans le domaine de la photographie. Profitant des espaces parisiens de la galerie du Jeu de paume (8e arr.) et des salles d’exposition de l’hôtel de Sully (4e arr.), l’institution se veut ouverte, avec une programmation fédératrice des différentes recherches artistiques et scientifiques liées à la photographie. Nommé à la tête de l’établissement après avoir assuré depuis 1996 la direction du CNP, Régis Durand décrit les enjeux de ce nouveau Jeu de paume dédié à la photographie et à l’image.

Le Jeu de paume ouvre ses portes avec deux expositions. Pouvez-vous revenir sur la nature de ces expositions et la façon dont elles symbolisent le programme de la nouvelle institution ?
Sous une forme thématique, « Éblouissement » couvre la période allant de 1880 à nos jours et comprend des œuvres photographiques, des vidéos et des installations. L’exposition « Guy Bourdin » est, elle, une monographie. Les deux montrent la double nature des expositions que nous allons organiser ici : expositions de groupe, monographiques, thématiques et historiques. Surtout, elles indiquent un parti pris de transversalité, tant sur le plan chronologique que sur celui des supports. La photographie sera régulièrement présentée en rapport avec d’autres formes d’images. Le Jeu de paume comporte une salle de cinéma et nous avons installé une salle pour la vidéo. « Éblouissement » contient ainsi un volet vidéo séparé, confié à Caroline Bourgeois.

En France, la photographie a désormais droit de cité dans les grands musées. Une galerie lui est consacrée au Musée d’Orsay, elle figure dans les accrochages du Musée national d’art moderne. Comment le Jeu de paume s’intégrera dans ce panorama national ?
Les choses évoluent ; la photographie a effectivement sa place dans les grandes institutions, mais, très souvent, les expositions de ces dernières restent liées à leurs collections. L’action du Jeu de paume est à situer entre ce que faisait le CNP et ce que les institutions actuelles ne font pas vraiment. Nous avons la liberté de donner un grand espace à la photographie sans être liés à des collections ou à des limites chronologiques.

Des exemples ont-ils retenu votre attention à l’étranger ?
Ponctuellement oui, concernant des expositions, mais je n’ai pas de modèle et je ne suis pas sûr qu’il en existe. Je suis davantage guidé par une réflexion sur l’image photographique, les relations qu’elle établit avec sa propre histoire et celle des autres formes d’images. Il faut maintenant s’y confronter en pratique, interroger la place de la photographie dans le monde de l’art et dans celui des images, la façon de la montrer, savoir à quel stade de son histoire elle est arrivée. Ces questions sont abordées par les théoriciens, mais elles le sont rarement sur le mode de l’exposition.
« Éblouissement » tente cela en prenant un thème central pour la question de l’image photographique, mais aussi pour le regard. Quel est le regard du spectateur imaginé par le photographe ? Trop souvent, les expositions sont des blocs monographiques ou thématiques fermés. Ici, nous avons la possibilité de faire vivre la photographie dans un champ ouvert. La photographie est à un moment crucial de son histoire. Non pas à la fin mais à un tournant, notamment grâce à la révolution numérique. Du coup, nous pouvons revenir sur son histoire, nous interroger sur ce qu’il en reste, sur la façon dont elle continue à interroger les autres images. Il faut le faire sans tabou, sans avoir peur de s’attaquer à des réputations, et ne pas craindre de la sortir du « monde photographique ». Je veux travailler sur ces questions en accompagnant les expositions par un travail théorique sous forme de conférences et de soutien à des activités de recherches. Sortons de cette répétition de l’image photographique, du « ça a été », du document, et reprenons les problématiques à la lumière du contexte actuel des images. Comme l’histoire de l’art, celle de la photographie doit être reprise en permanence. Que peut la photographie aujourd’hui ? Que fait-elle ? Quelle existence a-t-elle dans notre regard ? Quel type de regard fabrique-t-elle ? Ces interrogations sont proches de celles posées par Jean-Louis Comolli sur le cinéma dans son dernier ouvrage Voir et pouvoir (1).

Sur le plan patrimonial, le Jeu de paume a en charge les fonds du Patrimoine photographique. De quelle nature sont ces fonds, et comment entendez-vous les exploiter, scientifiquement et commercialement ?
La fusion du CNP, du Patrimoine photographique et de la Galerie nationale du Jeu de paume a fait entrer dans le périmètre du Jeu de paume ces fonds patrimoniaux, acquis majoritairement par donation. Il y en a une quinzaine, dont les fonds Sam Levin, Roger Corbeau, René-Jacques ou Marcel Bovis.
Essentiellement constitués de négatifs, ils sont conservés par la médiathèque du Patrimoine au fort de Saint-Cyr (Saint-Quentin-en-Yvelines). Le futur établissement public aura en charge leur valorisation scientifique et commerciale. Sur ce volet, il y a actuellement débat. Il serait sans doute souhaitable que les droits soient gérés par une agence indépendante mais dans le giron de l’État, du type de la Réunion des musées nationaux. Concernant la valorisation artistique et scientifique, le travail d’exploration de ces fonds a été entrepris, mais il faut le mener à bien pour en déterminer le potentiel. Il faut pour chacun trouver la manière adéquate de les mettre en valeur. L’exposition « Photographie et cinéma » que nous préparons pour l’automne à l’hôtel de Sully s’appuiera sur ces fonds pour sa partie historique. Mais cela peut aussi passer par l’édition. J’envisage de lancer une collection de monographies.

Alain Dominique Perrin, connu pour ses actions de mécénat, assure la présidence de l’association de préfiguration du Jeu de paume. Ce choix laisse penser que la nouvelle institution entend afficher son dynamisme dans la recherche de fonds privés. Quel est le budget alloué par l’État et la part de fonds propres que le futur établissement public devra dégager ?
Comme toutes les institutions relevant de l’État, le Jeu de paume va devoir fonctionner avec du mécénat. Grossièrement, la subvention de l’État couvrira les charges fixes, et les activités et expositions seront  financées en grande partie par du mécénat et des ressources propres. Nous bénéficions déjà d’un appui important avec Neuflize Vie et d’autres mécènes comme Olympus et la Fondation nationale des arts graphiques et plastiques. Estimé à 4,5 millions d’euros, le montant de la subvention de l’État est encore une hypothèse. La politique sociale du ministère de la Culture a été raisonnable, puisque nous gardons l’ensemble des personnels des trois associations jusqu’à ce que des solutions de reclassement soient trouvées. Nous sommes dans une période budgétaire atypique, nous avons à charge la totalité des personnels des trois associations fusionnées et la totalité des charges fixes des bâtiments. Mais, dans les mois à venir, nous arriverons à un organigramme d’une quarantaine de personnes. À ce moment-là, nous verrons plus clair.

À la rentrée, le grand rendez-vous du Jeu de paume est « L’ombre du temps ». Cette exposition est en partie une réponse à « Cruel and Tender », l’importante exposition photographique organisée par la Tate Modern à Londres en 2003. Quels en sont les enjeux ?
« Éblouissement » est une exposition thématique, elle est la traduction visuelle de la dialectique du regard, l’apparition, la disparition, l’aveuglement et la révélation. Occupant la totalité du bâtiment,
« L’ombre du temps » montrera en effet une autre histoire de la photographie au XXe siècle que celle présentée l’an passé à Londres. Tout le monde sait qu’il n’y avait pas un photographe français dans l’exposition de la Tate, mais ce n’est pas tant la question de la France qui importe que celle d’un creuset international avec Atget, Man Ray, Moholy-Nagy, tous acteurs d’un champ d’expérimentation qui n’était pas pris en compte à Londres. « L’ombre du temps » est l’esquisse d’une autre histoire, celle du versant expérimental, poétique de la photographie, là où celle-ci dialogue avec la littérature et le cinéma.

(1) paru aux éditions Verdier.

- ÉBLOUISSEMENT ; GUY BOURDIN, jusqu’au 12 septembre, Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 52, tlj sauf lundi, 12h-19h, samedi et dimanche 10h-19h, mardi 12h-21h30. Cat., Bourdin, éd. Gallimard, 168 p. 39,90 euros ; Éblouissement, 127 p., 25 euros. - L’INSURRECTION DE VARSOVIE, du 26 juin au 10 septembre, hôtel de Sully, 62, rue Saint-Antoine, 75004 Paris, tél. 01 42 74 30 60, tlj sauf lundi, 10h-18h30.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : Régis Durand, directeur du Jeu de paume, à Paris

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