Histoire - Collection

Raz-de-marée, ras des pâquerettes

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 29 juin 2018 - 804 mots

Raz-de-marée 
Commentant le programme des expositions de l’été, Le Figaro titrait en 2013 : « De Cannes à Monaco, la déferlante Picasso ». Le quotidien remarquait qu’à l’occasion du 40e anniversaire de la disparition de l’artiste « plusieurs collections exceptionnelles [sortaient] des coffres ». Le journaliste avait raison de souligner que le Grimaldi Forum à Monaco présentait cet été-là « le meilleur de la partie picassienne de la fabuleuse collection [Nahmad] ». À Cannes, La Malmaison présentait de son côté la collection de Marina Picasso, petite-fille de l’artiste et épine dans le pied de l’hagiographie du peintre-Minotaure. Dans le Sud, toujours, Aubagne levait le voile sur la production céramique du maître. En France, d’autres expositions Picasso étaient également programmées à Antibes, à Châtellerault, à Dijon et à Mougins. Alors que dire, cinq ans plus tard, en 2018, en assistant non plus à une « déferlante », mais à un raz-de-marée Picasso ? Que s’est-il passé entre 2013 et aujourd’hui ? Le Musée national Picasso Paris a tout simplement rouvert ses portes après de longues années de fermeture pour travaux. Et sa nouvelle direction, plus généreuse – mais aussi plus ambitieuse –, a décidé d’ouvrir grand son coffre au trésor et de faire circuler ses plus de 5 000 œuvres reçues par dations dans des musées désireux d’accueillir le maître. Le Musée Picasso est même à l’origine de « Picasso-Méditerranée », une manifestation culturelle qui consiste à programmer près d’une quarantaine d’expositions destinées à valoriser les liens unissant l’artiste à la Méditerranée, et qui atteint sa vitesse de croisière cette année. Autant donc vous prévenir, chers lecteurs, qu’il vous sera difficile d’échapper, cet été en France, à Picasso : « Picasso-Picabia » à Aix-en-Provence, « Picasso, donner à voir » à Montpellier, « Matisse et Picasso » à Nice, « Picasso, l’atelier du Minotaure » à Évian, « Picasso et la danse » à l’Opéra de Paris, sans oublier les propositions d’Antibes, Alès, Mouans-Sartoux, Nîmes, Vallauris, Vence, Biarritz et Arles, laquelle annonce un inattendu « Godard-Picasso ». Il faut dire que l’extraordinaire longévité de l’artiste (91 ans) et sa vitalité créative et productive (près de 65 000 œuvres inventoriées lors de sa succession) permettent une telle profusion d’événements sans risquer la répétition. Pour ceux qui ne goûteraient guère Picasso – il y en a –, on leur conseillera d’attendre la rentrée. Que verront-ils cet automne ? « Picasso, chefs-d’œuvre ! » au Musée Picasso, « Picasso, bleu et rose » à Orsay, « Picasso, le temps des conflits » à Nîmes, « Picasso, l’homme au mouton », à Roubaix…

Ras des pâquerettes 
Léonard de Vinci connaissait-il la musique de Josquin Des Prés ? Tout le laisse penser. Exacts contemporains, les deux hommes se seront certainement croisés à la cour des Sforza, à Milan, où ils officiaient dans les années 1480. D’ailleurs, si l’on s’accorde à reconnaître dans le Portrait de musicien de Vinci, aujourd’hui conservé à Milan, les traits de Franchini Gaffurio, maître de chapelle du Dôme de Milan, certains aimeraient bien y voir le portrait du compositeur franco-flamand, plus illustre. Nous savons que Léonard était lui aussi musicien, un virtuose de la lyre, paraît-il. Ce que personne ne peut confirmer, aucune partition signée de sa main n’étant parvenue jusqu’à nos oreilles, à la différence de Josquin Des Prés, dont les divins motets sont joués encore aujourd’hui. Pour expliquer cela, certains disent que Léonard était plus intéressé par la musique populaire, non transcrite, que par la musique savante… Est-ce pour rendre hommage à l’amateur de musique populaire que Beyoncé et Jay-Z ont choisi d’ouvrir leur dernier clip avec La Joconde ? On eût aimé le croire. Mais la vérité est moins glorieuse. En prenant pour décor de leur clip le Musée du Louvre, la star et le rappeur américains se sont payé une publicité planétaire pour annoncer la sortie de leur prochain album. Que voit-on dans ce clip ? Le couple se pavanant dans un Louvre désert transformé pour l’occasion en boîte de nuit. Collectionneur d’art contemporain, Jay-Z ne commet pas son premier coup d’éclat dans le monde de l’art. En 2013, il avait performé un « Picasso Baby » avec Marina Abramovic à la Pace Gallery. Cette fois, Jay-Z et Beyoncé montent en gamme en s’offrant les salles du plus beau musée du monde et les services de ses grands chefs-d’œuvre : Mona Lisa donc, la Victoire de Samothrace, Le Couronnement de Napoléon de David, Le Radeau de la Méduse de Géricault, le grand sphinx de Tanis… On peut y déceler, comme certains, un message politique : la revanche des Noirs américains sur une histoire de l’art qui les relègue au second plan. On peut aussi y voir l’acte mégalo-marketing d’un couple multimillionnaire qui s’offre le luxe de privatiser le Louvre et de rester seul avec La Joconde, quand des millions de quidams se bousculent devant chaque année. Le titre du clip ? Apeshit, qui signifie « folie furieuse ». De quoi parle-t-il ? De la réussite insolente de Jay-Z et Beyoncé : « Je ne peux pas croire que nous l’avons fait », chante cette dernière. À dire vrai, nous non plus.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°714 du 1 juillet 2018, avec le titre suivant : Raz-de-marée, ras des pâquerettes

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