Musée

Quand les musées se livrent

La difficile rentabilité de leurs librairies

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 16 mai 2003 - 1161 mots

Structures militantes ou inféodées, les librairies de musées affichent des tessitures distinctes d’une institution à l’autre. L’adossement au musée permet un rythme régulier de propositions et de transactions. Tributaires d’une politique d’exposition, ces établissements aux marges réduites restent éminemment fragiles.

Caisses de résonance des musées, l’identité des librairies se confond souvent avec celle des institutions dont elles dépendent. “Nous sommes situés dans un lieu qui comporte la fois un musée, une bibliothèque et un lieu de spectacle. On doit se faire l’écho de ce qui se passe dans le Centre”, explique Jean-Marie Marcelin, responsable de la librairie Flammarion du Centre Pompidou, une des dernières concessions que la maison d’édition a conservée après avoir fermé celles de la Bibliothèque nationale de France et du Musée des arts décoratifs, à Paris. Cette librairie jouit d’un passage important, comptant un millier de visiteurs par jour. Son public se compose pour 40 % de touristes férus de souvenirs, pour 40 % d’amateurs d’art et pour 20 % de spécialistes en quête d’ouvrages particuliers. Elle laisse pourtant une sensation d’inconfort par le choix du mobilier, proche d’une esthétique “Maxi-Livres”, et par un aménagement peu pratique. La très réputée librairie du Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP) est née en 1982 à l’initiative de la Société des amis du musée, qui en est l’actionnaire. “L’institution nous force à nous remettre en question en permanence. Nous avons un renouvellement régulier des thématiques en épousant la programmation. Notre souci permanent est d’être exhaustif sur un sujet. Pour cela, nous essayons de rassembler tout ce qui est disponible sur le marché en France et à l’étranger”, explique Pierre Durieu, responsable conjointement de la librairie du MAMVP et de celle du Palais de Tokyo. La librairie de la Galerie nationale du Jeu de paume s’est construite une clientèle selon un rythme plus traditionnel. “On pense qu’une librairie de musée a une clientèle captive. Il a fallu cinq ans pour qu’on trouve la nôtre”, reconnaît Christophe Jouanlanne, responsable de la librairie. Les lois de marché public, imposant aux bibliothèques universitaires de lancer des appels d’offre, ont réduit la clientèle institutionnelle de ces librairies au profit d’enseignes plus généralistes.
Les ouvrages de vulgarisation sont les plus prisés. “Le lectorat cherche des ouvrages de synthèse globale. À l’exception de celles d’Annette Messager ou de Sophie Calle, les monographies d’artistes contemporains restent, en règle générale, difficiles à vendre”, concède Pierre Durieu. À la librairie Flammarion de Beaubourg, les hors-série des magazines constituent 20 % des ventes, les catalogues d’expositions autour de 30 %. Le reste correspond au fonds, mais avec un bémol, car au-delà de 50 euros les bourses des visiteurs peinent à se délier. À l’image des livres d’art, dont les prix ont baissé de 25 % par rapport aux années 1990, les catalogues d’exposition sont devenus en quelques mois plus abordables. Le catalogue de l’exposition “Picabia”, proposé pour 50 euros, s’est vendu à un millier d’exemplaires à la librairie du MAMVP. Un mois seulement après l’ouverture de l’exposition “Malévitch”, le catalogue présenté cette fois pour 24 euros faisait déjà le plein. Ces chiffres pourraient être nettement supérieurs sans la concurrence sourde existant depuis quatre ou cinq ans entre la librairie et le comptoir Paris-Musées au rez-de-chaussée de l’établissement.

La manne des produits dérivés
La librairie du MAMVP a opté dès le début pour un contenu intellectuel fort, épargné des contingences mercantiles. “Jusqu’à présent, la librairie a toujours été rentable car le public est fidélisé. Une exposition génère des ventes rapides et une trésorerie qui permet de maintenir des livres à faible rotation. Au lieu de développer une librairie de type ‘comptoir’, nous affirmons une politique de fonds. Si un ouvrage est de référence, même si la rotation est très lente, nous le maintenons en stock. Mais on épure sans arrêt. Ma politique est d’affiner les choix par rapport à la pléthorique proposition éditoriale”, déclare Pierre Durieu. La même démarche prévaut au Jeu de paume. Ces bastions de la culture ont aussi refusé d’abdiquer devant les produits dérivés. Plus nombreuses sont celles à céder à l’appât du gain facile. “La marge de la librairie est faible. On serait juste rentable avec les titres. Les produits dérivés représentent 20 % du chiffre”, justifie Jean-Marie Marcelin. Gestionnaire de cinquante-deux espaces commerciaux, dont une trentaine de librairies-boutiques, la Réunion des musées nationaux (RMN) ne peut faire l’impasse sur les produits dérivés. Même si dans ces espaces les ventes de livres ont augmenté de 14 % par rapport à l’année sinistrée que fut 2001, les produits dérivés et les affiches/cartes postales représentent toujours 42 % des ventes.

Les expositions qui dopent les ventes
La rentabilité des librairies se mesure à l’aune des expositions. Bien que la librairie Flammarion reste elliptique sur ses chiffres, La Révolution surréaliste en 2002 et Nicolas de Staël cette année ont dopé les ventes. Au Jeu de paume, le chiffre d’affaires par semaine durant l’exposition “Magritte” tourne entre 100 000 et 150 000 euros. L’exposition “Picasso érotique” avait représenté 70 % des ventes annuelles de la librairie. À l’exception de quelques grandes institutions parisiennes et de province, les espaces commerciaux de la RMN connaissent un déficit chronique en raison de la faible fréquentation des musées. Plusieurs contrats de concessions arrivant à échéance à la fin de l’année, certaines librairies pourraient être supprimées. C’est déjà le cas de la librairie du Musée d’Aquitaine, à Bordeaux. Cela vaut probablement aussi pour la librairie du château de Nantes, handicapée par l’extension des travaux, ou celle du château de Villeneuve à Vence. D’autres, comme la librairie du capcMusée d’art contemporain de Bordeaux, sont observées à la loupe. “Nous allons assainir la situation et réétudier les concessions. Notre objectif est d’analyser chaque librairie. Dans la plupart des cas, nous pourrions être proches d’un équilibre. Il faudrait pour cela renégocier les taux de redevance versés par la RMN aux collectivités”, explique Anne Etchegoyen, responsable des espaces commerciaux à la RMN.
La soumission au fonctionnement d’un musée a son revers. La librairie du MAMVP risque de pâtir de la fermeture prochaine de l’institution pour une durée d’au moins un an. Comment tenir sans le rythme des expositions ? “Le bon sens serait de déstocker, de mettre en avant les nouveautés, mais de peu réassortir. C’est toutefois une arme à double tranchant”, observe Pierre Durieu. La librairie du Jeu de paume devra sans doute accorder davantage d’espace aux ouvrages consacrés à la photographie ou aux images numériques, dans l’optique d’une redéfinition de l’institution. L’exiguïté conduira à de probables sacrifices.

- Librairie Flammarion du Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 43 22 - Librairie du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75016 Paris, tél. 01 53 67 40 45 - Librairie du Palais de Tokyo, 13 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 49 52 02 04 - Librairie de la Galerie nationale du Jeu de paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 36

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°171 du 16 mai 2003, avec le titre suivant : Quand les musées se livrent

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