Prix

Quand les marques font des prix

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 12 février 2013 - 1616 mots

La création d’un prix d’art contemporain par une entreprise revêt, entre autres avantages, celui de faire passer la marque d’un mécénat d’image à un mécénat de valeurs, bien plus porteur.

Lorsqu’en 1996 Hugo Boss, en partenariat avec la Fondation Guggenheim de New York, lance le « Hugo Boss Prize », la marque synonyme d’élégance s’est engagée un an auparavant, et pour la première fois, dans un programme de soutien à l’art, notamment à travers le sponsoring de quelques expositions de la fondation. Rapidement, le prix attribué tous les deux ans à l’un des six artistes finalistes retenus s’est hissé au rang des prix les plus prestigieux attribués en art contemporain. Son ambition : récompenser le travail d’un artiste reconnu pour son influence majeure dans l’art contemporain. Avec en dotation 100 000 dollars (env. 75 000 euros) et une exposition au Guggenheim. Matthew Barney en fut le premier lauréat, l’artiste d’origine vietnamienne Dang Vo celui de 2012. « Enrichir la puissance émotionnelle de notre marque avec des valeurs esthétiques représente l’élément clef de notre communication, notre motivation ayant été toujours d’encourager les échanges créatifs à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise, comme le cosmopolitisme », déclare-t-on chez Hugo Boss pour expliquer les raisons de cette implication culturelle désormais élargie à d’autres types de mécénat, autour d’expositions ou de festivals.

En France, ce qui a prévalu en 1999 à la création du prix de la Fondation d’entreprise Ricard répond à une logique liée plus à l’histoire d’un homme, Paul Ricard, et à l’engagement de l’entreprise bien en amont dans l’art contemporain. « Nous avions envie d’accompagner la jeune scène française en France et à l’international, lui donner une visibilité, explique Colette Barbier, directrice de la Fondation d’entreprise Ricard. Nous avons donc réfléchi en interne et avons eu des conversations avec différents curateurs, critiques et conservateurs sur la meilleure manière de le faire. Il n’y avait alors aucun prix en art contemporain en France, le prix Marcel Duchamp n’existait pas encore. Le don au Centre Pompidou de l’œuvre primée et acquise par la Fondation est intervenu un an après. Prix et fondation ont grandi ensemble. Si on avait eu un prix sans la fondation, celui-ci n’aurait pas eu la même  »contenance ». »

« Facteur d’identification »
Un prix, c’est aussi une procédure d’attribution qui cristallise le milieu de l’art et des médias. La Fondation Ricard expose au préalable les six à dix artistes retenus pour concourir quelques jours avant l’ouverture de la Fiac [Foire internationale d’art contemporain] dans les espaces parisiens de la Fondation, rue Boissy-d’Anglas. Au jury, composé de près de cent collectionneurs et curateurs invités à venir voir l’exposition, de désigner ensuite « l’heureux élu ». Et à la Fondation de dévoiler son nom le dernier jour de la foire avant de rassembler le soir, lors du dîner du Bal Jaune, organisé chaque année dans un lieu différent, la fine fleur du monde de l’art, de la culture, du cinéma et de la mode pour fêter l’événement. Depuis l’édition 2011, un léger changement est toutefois intervenu dans le protocole de remise de l’œuvre au Musée national d’art moderne, qui a été déplacé en juin, c’est-à-dire dix-huit mois après la Fiac pour faire l’objet d’une cérémonie particulière à Beaubourg. Manière pour la fondation de faire résonner une nouvelle fois et autrement l’événement ? « Pour lui donner une plus grande visibilité face à l’augmentation du nombre de prix décernés au moment de la Fiac », rectifie Colette Barbier.

Effectivement, le nombre de prix remis par des entreprises quelques jours avant la foire, comme le prix Meurice, ou lors de la foire (pour l’Audi talents awards ou le prix Lafayette) a quadruplé en six ans. « L’art contemporain, qui ne représentait pas grand-chose il y a quelques années pour les marques, est devenu un facteur d’identification, d’association d’images et de valeurs », constate Tristan Duval, président de l’agence de production d’événements Community, sollicitée par Audi pour le choix des membres du jury des Awards. C’est en 2007 que le constructeur allemand crée ce prix dans un domaine, l’art contemporain, auquel il est plus étranger qu’au design, autre catégorie des Audi talents awards à l’instar de la musique et du court-métrage. « Pour Audi, l’art contemporain évoque l’avant-garde, la modernité, la technologie, des valeurs que la marque porte en elle », défend Tristan Duval. Benoît Tiers, directeur général d’Audi France, résume de son côté l’apport pour la marque : « [Les prix], leur création, leur esprit – accompagner sur une année la réalisation du projet primé et la carrière de l’artiste – contribuent à l’image de notre marque sur le marché français comme à l’international. Ils nous permettent aussi d’apprendre des choses comme d’apporter, de trouver de véritables corrélations avec nos valeurs d’entreprise. En revanche, nous ne vendons pas une Audi de plus ni ne bénéficions de déductions fiscales. »

À la MAIF, la question de ce que peut rapporter à la mutuelle la création du Prix MAIF pour la sculpture (dont J.-C. Castelain a été membre du jury en 2011 et 2012) – que la mutuelle décerne depuis 2007 à un jeune artiste porteur d’un projet de sculpture en bronze – relève davantage de la cohérence avec son histoire, sa clientèle (elle est le premier assureur des associations socioculturelles) et sa pratique d’achat d’œuvres d’art depuis des années, en particulier de sculptures. La collection s’enrichit désormais par l’acquisition des pièces des lauréats primés. C’est d’ailleurs lors de la rencontre du président-directeur général de la MAIF, Roger Belot, avec Richard Texier à l’occasion de l’inauguration de sa sculpture Les Guetteurs de sens que l’idée a germé de donner la possibilité à un jeune artiste de travailler le bronze et de soutenir en même temps un métier d’art, un savoir-faire en train de disparaître.

« Tisser un maillage »
« Décerner un prix, c’est en effet s’intéresser autant à l’art qu’aux gens de l’art », note Florence Bost, directrice d’Art Marketing Company, société de conseil en stratégie culturelle. C’est par ailleurs construire ou consolider selon le profil un réseau, « tisser un maillage qui permet de rencontrer d’autres mécènes, artistes, galeristes… », reconnaît Michel Adé. Le directeur général de Montblanc France réfléchit ainsi à la création d’un club des anciens candidats et lauréats du prix qui récompenserait annuellement, à l’instar des autres filiales de la marque à l’étranger, une personnalité des arts et de la culture pour son implication dans l’art contemporain. Un club qui serait un prolongement du déjeuner organisé chaque année par Montblanc avec le lauréat du prix – au nom alors tenu secret — et un aréopage de figures de la culture. Et ce, dans la plus grande discrétion, à la différence de la remise du prix, au contraire célébrée et médiatisée. Car l’autre atout du prix réside dans cette « « événementialisation » d’une année sur l’autre de la présence de l’entreprise dans le monde artistique et culturel, de son engagement, relève Florence Bost. Chaque année le prix est attribué, cela crée une actualité qui se renouvelle et dont elle peut maîtriser, à l’inverse d’un mécénat d’exposition, le message tout en étant plus visible ». Un avantage particulièrement précieux quand il s’agit de repositionner en termes d’image une entreprise ou un établissement à la recherche d’un nouveau souffle.

Effet d’entraînement
Le prix Meurice est justement né de ce désir porté par la directrice de l’hôtel, Franka Holtmann, appelée en 2006 à redonner au palace parisien son aura d’antan. « Nous cherchions à repositionner le Meurice sur une légitimité culturelle et artistique au regard de son histoire avec des artistes comme Dalí », relate la directrice de la communication, Anne Vogt-Bordure, arrivée de la Fondation Cartier pour l’art contemporain peu de temps après la nomination de Franka Holtmann. « L’idée de la création d’un prix qui récompenserait un projet plastique ou visuel proposé par un artiste et sa galerie a émergé. Elle fut soumise au galeriste Bernard Zürcher pour avis, conseils, mais aussi à l’ensemble du personnel qui s’est pris au jeu dès le montage au sein de l’établissement de la première exposition des projets sélectionnés. » Depuis l’exposition fait partie du tour VIP de la Fiac et le Meurice a commencé une collection d’œuvres – celles des lauréats et de certains candidats du prix –, collection qui pourrait s’ouvrir à d’autres acquisitions en dehors du prix.

La création d’un prix peut engendrer en effet des actions initialement non prévues. Quand en 2000 la filiale d’Hermès en Corée du Sud crée le prix Missulsang, qu’elle octroye à l’un des trois artistes coréens sélectionnés par un jury international puis exposés dans ses locaux à Séoul, elle est loin d’imaginer que la construction d’un nouveau bâtiment quelques années plus tard conduirait à dédier tout un étage à l’art contemporain et à sa collection.
 
Guillaume Houzé, directeur du mécénat des Galeries Lafayette, confie pour sa part que des réflexions sont en cours pour faire évoluer le prix Lafayette attribué à l’œuvre d’un artiste du « secteur Lafayette ». Aménagée en 2009 au sein de la Fiac, la section rassemble, finance et accompagne dans leurs premiers pas dans la foire dix jeunes galeries françaises et internationales sélectionnées par un jury. « Nous souhaiterions faire évoluer le prix vers plus de collaborations à l’international, le faire rayonner davantage. » Car il est une chose que chaque entreprise créatrice de prix d’art contemporain reconnaît : c’est le bonheur d’avoir été au début de la visibilité d’un artiste promis à un bel avenir, du moins d’y avoir participé.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : Quand les marques font des prix

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