Architecture - Musée

Quand le Louvre va au charbon

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2012 - 833 mots

Le Louvre-Lens réinvente librement muséographie et architecture, quatre rectangles blancs et un grand carré sur le carreau, imaginés par l’agence japonaise Sanaa.

Louvre-Lens… Voilà un attelage de noms qui éveille des connotations particulièrement antagonistes. Le Louvre, célèbre institution muséale parisienne, et Lens, ancienne ville houillère, paradigme parfait d’une région devenue le repoussoir des aspirations à un cadre de vie idéal tel que le caricaturait avec ironie le film Bienvenue chez les Ch’tis. Lens fait partie de ces grands sites miniers dont l’inexorable déclin jusqu’à la fin du XXe siècle a été vécu comme un traumatisme.

Aujourd’hui en voie de classement patrimonial à l’Unesco, le bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais reverdit et il est en passe de devenir un musée territoire de 2 000 km2. Le Louvre-Lens dont la réalisation a été confiée à l’agence japonaise Sanaa, lauréate du prestigieux Pritzker 2010, est l’un des leviers susceptibles d’exorciser cette image de terre labourée par les guerres et creusée jusqu’en ses veines les plus noires, pour laisser enfin l’herbe repousser et une nouvelle économie s’implanter.
Le parallèle avec le Musée Guggenheim de Bilbao est inévitable et dans un monde dominé par le branding [pouvoir de la marque] , les deux institutions ont pour premier atout leurs noms devenus images de marque. La comparaison est sans suite : ici, le jury n’a pas succombé à la tentation d’un geste architectural trop ostentatoire, bien que réussi à Bilbao, et Lens a évité le pire avec la proposition « d’architecture tectonique » signée Zaha Hadid dont les récentes réalisations françaises à Marseille et à Montpellier ne sont, pour le moins, pas convaincantes.

Un pari audacieux
Le choix de Sanaa était une gageure : au moment du concours, l’agence fondée en 1995 était encore peu connue et le savoir-faire étranger ne s’exporte pas si facilement. Kayuzo Sejima et Riyue Nishizawa comptent à leur actif quelques belles réussites muséales comme le Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa et le Musée d’art de Teshima au Japon, greffés chacun à leur manière dans leur environnement. À Lens, cet aspect de leur travail est poussé à son paroxysme. Le projet se sert de l’ampleur de ce plateau légèrement proéminent pour fondre ses 28 000 m2 dans un parc de 20 ha. Le regard n’est pas arrêté par des clôtures et glisse sur la transparence des bâtiments bas pour s’accrocher au loin aux noirs terrils jumeaux du 11/19, les numéros des anciens puits de mine.

Kazuyo Sejima, fondatrice avec Riyue Nishizawa de l’agence Sanaa en 1995, l’affirme : « Le plus important était la beauté du site et ce qui m’a frappé, c’est la qualité de la lumière de la région ». La conception de ce Louvre contemporain relie l’histoire d’hier et d’avant-hier. Il redessine librement le déroulé des ailes du palais parisien avec ses cinq pavillons aux courbes à peine perceptibles. Leur implantation signale aussi, avec simplicité, l’histoire industrielle du site en reprenant le tracé des cavaliers, ces anciennes voies ferrées de transport du charbon. Ne dépassant pas les 6,50 m de hauteur, leurs angles se touchent pour assurer la circulation entre les différentes salles. Ponctué de volumes ronds abritant librairie, cafétéria, sanitaires, le grand quadrilatère d’accueil tout en verre articule les bâtiments d’exposition dont la galerie du Temps est l’espace majeur de l’équipement culturel.

Confiée au muséographe Adrien Gardère, la présentation des œuvres ne comprend aucun cloisonnement, mais un ensemble de mobiliers présentant les œuvres. Pour abriter ce nouveau type de musée –  dont par ailleurs une partie des réserves est visible –, les architectes ont conçu de grandes halles dont l’apparente simplicité n’a d’égal que la complexité constructive. Aussi purs que des volumes de Donald Judd, minimalistes, les bâtiments sont dénués de tout point porteur et recouverts de plaques d’aluminium sur toute la hauteur, réfléchissant à la fois les œuvres et les visiteurs. La toiture de verre baigne le tout d’une belle lumière naturelle qu’un système de claustras régule. « C’est un musée qui reflète le Louvre à tout point de vue », souligne Henri Loyrette, le président-directeur du Grand Louvre.

Les répercussions à l’échelle de la ville sont déjà visibles avec les aménagements du projet urbain de Michel Desvignes et Christian de Portzamparc. Maintenant, il reste à attendre que le greffon culturel et architectural prenne dans toutes ses dimensions et missions : quel en sera le retentissement sur la population, sur les publics attendus — y compris depuis l’étranger –, sur les territoires proches ou plus éloignés ?

Quoi qu’il en soit, le Louvre-Lens est déjà une invitation à goûter à la sensibilité japonaise que Sanaa a su acclimater ici sans l’abâtardir. Et il a la vertu de bousculer nos valeurs patrimoniales en les affrontant au territoire réel et à une histoire plus soucieuse de questions sociales et d’équilibres écologiques.

Le Louvre-Lens

Maître d’ouvrage : Région Nord-Pas-de-Calais

Maîtres d’œuvre : Kazuo Sejima et Riyue Nishizawa

Muséographe : Adrien Gardère

Paysagiste : Catherine Mosbach

Superficie : 28 000 m2 et 20 ha pour le parc

Coût : 150 m €

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Légende Photo :
Le bâtiment du Louvre-Lens. © Kazuyo Sejima Ryue Nishizawa / SANAA, Tim Culbert Celia Imrey / IMREY CULBERT, Catherine Mosbach. Photo : Iwan Baan

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°380 du 30 novembre 2012, avec le titre suivant : Quand le Louvre va au charbon

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