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Prospérité des galeries

Par Kate Deimling (Correspondante à New York) · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2014 - 1192 mots

Avec plus de 700 marchands, New York offre la plus grande concentration de galeries, dont beaucoup sont internationales. Un développement qui remonte aux années 1950.

Au milieu du siècle dernier, presque toutes les grandes galeries de New York se trouvaient dans une seule rue, la cinquante-septième, entre la Cinquième Avenue et l’Avenue Madison, aux étages supérieurs de bâtiments élégants. Aujourd’hui, ces galeries n’existent plus, et pour saisir la scène new-yorkaise, il faut traverser Manhattan, de l’Upper East Side à Chelsea et au Lower East Side, sans oublier les nouveaux quartiers artistiques de Brooklyn. Cette extension géographique s’accompagne d’un développement à l’international pour plusieurs galeries devenues des entreprises mondiales.

De l’après-guerre à 1980
Une poignée de galeristes importants ont marqué l’époque de l’après-guerre. Betty Parsons, artiste elle-même, ouvre sa galerie de la 57e Rue en 1945 et y expose de l’expressionnisme abstrait à un moment où il est encore peu apprécié par les collectionneurs. Chez elle, une clientèle choisie vient acheter les tableaux de Willem de Kooning, Clyfford Still, Jackson Pollock, Franz Kline et Barnett Newman. Par la suite, plusieurs de ses artistes la quittent pour rejoindre l’homme d’affaires devenu galeriste Sidney Janis, qui a établi sa galerie au même étage que la sienne (un épisode relaté par Ann Fensterstok dans Art on the Block, éd. Palgrave Macmillan, 2013). Celui-ci est l’un des premiers à reconnaître l’importance du nouveau mouvement Pop, et, en 1962, il monte une exposition d’œuvres d’Andy Warhol, de Claes Oldenburg et de Roy Lichtenstein. Leo Castelli, qui ouvre en 1957 sa galerie dans la 77e Rue, fait connaître Robert Rauschenberg et Jasper Johns aux collectionneurs européens. L’intérêt qu’il porte aux formes novatrices de l’art lui permet de découvrir plusieurs artistes de mouvements naissants tels que le pop art, l’art minimal et l’art conceptuel. Il travaille avec les plus grands noms de son époque, parmi lesquels Donald Judd, Dan Flavin et Richard Serra.

Les années 1970 apportent un nouveau souffle à la scène artistique. De jeunes galeries ouvrent leurs portes dans Soho, un ancien quartier industriel délabré où des artistes se sont déjà installés. Une nouvelle génération apparaît. Paula Cooper ouvre la première galerie à Soho ➊ en 1968 et invite Sol LeWitt à y créer son premier dessin mural. Ivan Karp, l’ancien assistant de Leo Castelli, y fonde la galerie « OK Harris » en 1969, et Leo Castelli lui-même ouvre un deuxième espace dans le quartier en 1972. La jeune Mary Boone crée sa galerie en 1977 et accroche les tableaux de l’étoile montante Julian Schnabel. Janelle Reiring, anciennement de la galerie Leo Castelli, lance avec Helen Winer la galerie influente « Metro Pictures » en 1980. Lors de la première exposition de la galerie, on pouvait voir sur les cimaises des œuvres de Cindy Sherman, de Robert Longo et de Richard Prince – de jeunes artistes qui seront baptisés « The Pictures Generation » et qui interrogent la culture de consommation tout en y puisant les sujets de leurs recherches artistiques et photographiques.

L’évolution géographique des galeries s’accélère
Dans les années 1990, un quartier  peuplé d’entrepôts industriels est réhabilité et commence à attirer les galeries d’art : Chelsea ➋ (de la 14e à la 29e Rue, entre la Septième Avenue et le fleuve Hudson). C’est maintenant le quartier artistique incontournable, et on y trouve la plus grande concentration de galeries, parmi lesquelles Cheim & Read, Paula Cooper, Gagosian, Barbara Gladstone, Greene Naftali, Sean Kelly, Lehmann Maupin, Luhring Augustine, Marlborough, Matthew Marks, Metro Pictures, Pace et David Zwirner. Les grandes enseignes disposent parfois de plus d’un seul site en ville : Paula Cooper occupe deux espaces dans la même rue, Pace a quatre galeries à New York et David Zwirner a construit en 2013 un deuxième lieu d’une surface de 2 800 mètres carrés.

Dans la deuxième moitié du XXe siècle déjà, le quartier aisé de l’Upper East Side ➌ était connu pour ses galeries d’art. C’est toujours le cas, mais elles sont un peu plus sages que celles de Chelsea. Par exemple, Larry Gagosian, qui a trois espaces à New York, expose actuellement des estampes et des photographies d’Ed Ruscha sur Madison Avenue, mais à Chelsea, il montre les tableaux de Dan Colen, un artiste connu pour s’être servi du chewing-gum comme de la peinture, et les sculptures gigantesques de Nancy Rubins, faites de déchets métaux.

Depuis quelques années, d’autres quartiers de la ville accueillent une scène artistique en plein essor. Le Lower East Side ➍, où le New Museum a construit un nouveau bâtiment en 2007 pour ses expositions d’art contemporain, attire plusieurs jeunes galeries, et Lehmann Maupin y a ouvert un deuxième espace en 2007. Depuis une vingtaine d’années, le quartier de Williamsburg ➎, Brooklyn, connaît un afflux d’artistes. Parmi ses galeries, la plus importante est Pierogi, qui fête cette année ses 20 ans. Le prix de l’immobilier, qui continue à grimper en flèche, pousse aujourd’hui les artistes et les galeristes dans le quartier branché de Bushwick. Les galeries de Brooklyn sont tournées vers l’art conceptuel et l’art expérimental, mais on y trouve des recherches artistiques très variées. En 2012, Luhring Augustine a été la première enseigne de Manhattan à ouvrir une deuxième galerie à Bushwick, un espace qui sert à exposer des installations à grande échelle et des projets à long terme.

Petites galeries, grandes galeries et méga-galeries
Depuis plus de deux décennies, le marché de l’art s’internationalise toujours plus, et toutes les grandes galeries se doivent d’avoir une présence mondiale, soit de façon éphémère dans les grandes foires (Art Basel à Bâle, Hongkong ou Miami ; Frieze à Londres et New York ; Fiac [Foire internationale d’art contemporain] à Paris), soit de façon permanente en ouvrant des galeries à l’international. Pace s’est installée à Pékin en 2008, David Zwirner à Londres en 2012 et Lehmann Maupin à Hongkong en 2014. Larry Gagosian, qui a développé un empire de galeries à travers le monde, en compte douze.

New York est incontestablement la capitale des galeries d’art. Un indice ? Dans les vingt premières places de la « Power 100 List » [qui recense les cent personnalités du monde de l’art les plus influentes de l’année] publiée par le mensuel anglais Art Review en 2013, se trouvent cinq galeristes – David Zwirner, Iwan Wirth de Hauser & Wirth, Larry Gagosian, Marian Goodman et Marc et Arne Glimcher de Pace. Tous détiennent une ou plusieurs galeries à New York. Les méga-galeries affichent des chiffres d’affaires impressionnants : on estime les revenus annuels de Larry Gagosian à un milliard de dollars et le magazine économique américain Forbes évalue ceux de David Zwirner à 225 millions de dollars (un chiffre que celui-ci a déclaré trop bas dans un entretien accordé à The New Yorker).

Le nombre de galeries à New York est tout aussi impressionnant : selon le département des affaires culturelles de la Ville, il y en aurait plus de 700. En même temps qu’elle héberge des très grosses galeries aux succursales internationales, la ville accueille de petites galeries qui servent un public tout autre, comme la jeune Auxiliary Projects de Brooklyn, où toutes les œuvres sont des multiples qui se vendent moins de 300 dollars pièce.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : Prospérité des galeries

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