Italie - Collection

Révélation

Pinault acquiert une pièce historique de Carl Andre

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 9 septembre 2005 - 682 mots

Le collectionneur pourrait installer à Venise cette œuvre importante issue de la collection suisse Crex. Elle prendrait place au Palazzo Grassi ou à la Punta della Dogana.

VENISE - François Pinault ne s’en cache pas, il aime l’art minimal. Le milliardaire a initié ce pan de sa collection en 1994, avec une pièce de Donald Judd (1963) acquise pour 176 000 dollars chez Christie’s. D’après son conseiller Philippe Ségalot, il possède depuis lors un noyau important de sculptures de Judd et de Dan Flavin. Fort de ce tropisme, il n’a pas résisté devant un tableau tout en lignes pâles d’Agnes Martin (600 000 dollars) sur Art Basel en juin. Une « bagatelle » quand on sait qu’il a profité de son intermède bâlois pour acquérir une œuvre autrement plus importante de Carl Andre, la première du sculpteur à rejoindre sa collection.

Importante, la sculpture l’est déjà par la taille. Composée de 1 296 carrés de six métaux différents (1), ce tapis modulaire mesure plus de 120 m2 ! Le patchwork a été conçu en 1969 pour la rétrospective que le Musée Guggenheim de New York devait lui consacrer l’année suivante. Cependant, une fois l’exposition close, le Guggenheim rate l’occasion d’acheter l’œuvre. Disséminées en plusieurs damiers, les plaques retournent dans l’atelier de l’artiste et atterrissent pour certaines dans des collections privées. En 1980, Urs Raussmüller, initiateur de la collection Crex en Suisse, lui propose le rêve fou de reconstituer ce « grand œuvre » avec le soutien de son marchand de Düsseldorf, Konrad Fischer. La pièce ainsi produite rejoindra l’ensemble que Raussmüller constitue pour un groupe d’investisseurs suisses (lire l’encadré). En 1985, Carl Andre rédige un premier certificat donnant à l’œuvre le titre de 37 Pieces of Work. Quatre ans plus tard, il l’annule et rebaptise la sculpture 37th Piece of Work. La nuance clôt la série, puisque la dimension des plaques changera par la suite. Jusqu’en 2000, la pièce était visible aux Hallen für neue Kunst à Schaffhouse (Suisse).

À la suite d’un différend, le groupe d’investisseurs décide voilà un an de s’en défaire. Lorsqu’il obtient le feu vert pour la négocier, Philippe Ségalot songe d’abord à la rotonde à ciel ouvert dessinée par Tadao Ando pour la Fondation Pinault prévue sur l’île Seguin. Le projet de fondation tombé aux oubliettes, l’éventualité de convaincre le milliardaire d’un tel achat semblait tout aussi enterrée, jusqu’à la visite du Palazzo Grassi en juin à l’occasion de la Biennale de Venise. La vision de l’atrium surmonté d’une verrière sert de déclic.

Vue d’en haut, l’œuvre de Carl Andre semble abstraite, limite décorative. Sa matérialité ne résonne, au sens propre du terme, que lorsqu’on l’expérimente en marchant. Les pas forment alors une musique syncopée, au gré des variations sonores entre les plaques non scellées et des différences de masse et de texture entre les particules métalliques. Un damier de l’artiste se négocie habituellement autour de 900 000 dollars (737 000 euros). L’addition de François Pinault pour les 36 damiers est moins salée que les 32 millions qu’induirait une multiplication basique. Selon nos informations, le collectionneur a déboursé environ 7 millions de dollars, à peu de choses près ce que lui a rapporté la mise en vente des Flowers d’Andy Warhol en mai chez Christie’s à New York.
Cette mer métallique devrait donc se déployer de manière permanente dans l’entrée du Palazzo Grassi, dont la réouverture est prévue au printemps 2006 avec les temps forts de la collection Pinault. Quant à l’extension dans le teatrino voisin, sa holding Artémis a bon espoir de déposer un permis de construire dès septembre pour une ouverture début 2008. Bien que les autorités vénitiennes, très tatillonnes, éconduisent de nombreux projets de construction, Artémis mise sur le poids de la municipalité, propriétaire de 20 % du bâtiment, pour décrocher le sésame. Elle étudie aussi les conditions d’une mise à disposition par la mairie d’un espace d’environ 4 000 m2 à la Punta della Dogana, emplacement que le Guggenheim avait un temps convoité. Une autre occasion manquée de la fondation dirigée par Thomas Krens !

(1) Zinc, cuivre, acier, plomb, aluminium et magnésium.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°220 du 9 septembre 2005, avec le titre suivant : Pinault acquiert une pièce historique de Carl Andre

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