compositeur

Pierre Henry, l’homme-studio

Par Anaïd Demir · L'ŒIL

Le 1 avril 2002 - 826 mots

A peine se trouve-t-on face à la demeure de Pierre Henry que le simple geste d’actionner la sonnette devient une initiative onirique. En lieu et place de l’habituel « prière de sonner », il est indiqué « Son/ré »... et d’une simple note, on passe de l’autre côté, dans le monde des hallucinations spirituelles et auditives. « Son/ré » est, depuis 1992, le nom du studio personnel du génial compositeur de musique électroacoustique Pierre Henry. Sans lui et quelques autres précurseurs dont Pierre Scheaffer avec qui il fonde le futur « Groupe de recherche musicale » dans les années 50 en France, le destin des Daft Punk ou Air n’aurait sans doute pas eu tout à fait le même impact. Les deux artistes font leur miel de tout ce que les machines peuvent produire en guise de son, mais surtout tout ce qu’une simple bande magnétique peut capter, enregistrer et enfin diffuser. Des ellipses, une structure, des agencements, des découpages savants. Des sons glanés offrant de nouvelles possibilités sonores. Le monde de la musique électroacoustique pratique le collage et les bricolages ludiques, mais certains ironisent grassement sur ces juxtapositions sonores qui relèvent pour eux d’un simple grincement de porte. Pierre Henry crée alors Variations pour une porte et un soupir (1963) : une envolée plus que sensuelle qui révèle les nobles volutes instrumentales d’une vulgaire porte. Au fil du temps, nos oreilles contemporaines se sont laissées éduquer et apprivoiser au point que ces mélodies électro-bruitistes nous sont devenues familières. Messe pour un temps présent (P. Henry et M. Colombier), devenu un classique branché, n’est pourtant que le code d’accès d’une œuvre bien plus vaste où se mêlent les avant-gardes et la pop culture des cinquante dernières années. On l’a connu auprès des chorégraphes Maurice Béjart, Maguy Marin, Balanchine... mais aussi des écrivains Henri Michaux ou Weyergans. Ses œuvres prennent pour source d’inspiration des sujets mythologiques ou des auteurs comme Baudelaire, mais n’hésitent pas non plus à intégrer le rock avec par exemple le groupe Violent Femmes. Ses multiples collaborations, actuelles ou passées, sa reconnaissance auprès des jeunes générations viennent d’ailleurs sans cesse certifier de son inextinguible curiosité et de cette manière particulière qu’il a de distordre le temps. Passé, présent et avenir sont des temps conjugués. Récemment, un jour de l’été 2001, c’est en maître de cérémonie que Pierre Henry a régné sur un dancefloor géant – le Parvis Beaubourg – où vibraient et dansaient intensément une foule de jeunots de tous âges. Alors, l’appeler le « papy de la techno », ce serait vulgairement le ranger auprès des artistes calcifiés à la passion éteinte. Il est plutôt l’incarnation du pionnier, un perpétuel chercheur, toujours en quête d’une nouvelle pépite sonore dans laquelle se reflèterait des éclats de ludique et de mystique. Et si la mort plane dans la plupart de ses œuvres, c’est comme une flamme d’outre-tombe qui s’offre aux auditeurs pour mieux leur rappeler leur condition de vivants. Arrivé là, Pierre Henry aurait pu s’enfermer dans sa tour sonore pour ne jamais en sortir, continuer à bricoler jalousement ses sons pour en faire des symphonies dans sa maison-studio-caverne d’Ali Baba. Ici même où il y a plusieurs années, il a commencé à intégrer le numérique dans son travail. Dans quelques semaines, la maison deviendra le lieu privilégié de quelques concerts. Dans un imbroglio de fils, installé sur une table de mixage, on s’imagine dans un lieu gracieusement hanté dans lequel les haut-parleurs prennent des airs humains. Pierre Henry, sans être un grand parleur, estime d’ailleurs faire partie de cette humanité-là. Le regard étincelant et habité, il décrit tout un univers que l’on ne pouvait soupçonner sans avoir passé le pas de sa bâtisse : ce qu’il appelle sa pratique de « peintre ». La version visuelle de ses compositions musicales tapisse les entrailles de cette machine sonore en guise de maison. Oniriques, silencieuses mais intrinsèquement sonores, ces œuvres mêlent avec harmonie chacune des composantes du monde électronique. Ni des accumulations, ni des superpositions, ce sont des compositions aux accents « Nouveaux Réalistes » qui laissent penser que l’artiste aurait aussi pu mener une double carrière s’il l’avait voulu. Commencée parallèlement à la musique, cette pratique de collages et bricolages dans le sens le plus noble du terme ajoute une dimension supplémentaire à la magie de Pierre Henry. Et comme en 1996, il invite à nouveau le public à investir sa maison pour vivre et ressentir la musique en 3D, la partager. En toute générosité et convivialité, il a trouvé l’une des meilleures manières de spatialiser le son. A l’heure où les installations sonores sont légion dans les expositions, on se pince en se disant qu’une fois de plus, Pierre Henry a des longueurs d’ondes d’avance sur le monde qui l’entoure.

- « Pierre Henry chez lui 2 », réservations Fnac ou Centre Pompidou, tél. 01 44 78 47 47, 13-27 avril, 20h. Coffret CD de l’intégrale des œuvres de Pierre Henry, MIX 04, Universal.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°535 du 1 avril 2002, avec le titre suivant : Pierre Henry, l’homme-studio

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