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Picrochole au musée

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 21 octobre 2019 - 571 mots

KYOTO / JAPON

Avec 40 000 adhérents, structurés en comités nationaux reflétant 141 pays, le Conseil international des musées (Icom), créé après la Seconde Guerre mondiale, peut se targuer d’être la seule instance professionnelle à l‘échelle mondiale dans ce domaine. Mais, à l’instar d’autres organisations internationales, qu’elles soient non gouvernementales – ce qui est son cas – ou qu’elles dépendent directement des États, comme l’Unesco, nous pouvons nous interroger sur son efficacité réelle.

Albert Robida (1848-1926), La harangue faicte par Ulric Gallet à Picrochole, illustration du chapitre 31 de Gargantua (c.1534), 2e roman écrit par François Rabelais (c.1490-1553)
Albert Robida (1848-1926), La harangue faicte par Ulric Gallet à Picrochole, illustration du chapitre 31 de Gargantua (c.1534), 2e roman écrit par François Rabelais (c.1490-1553)

L’Icom met en avant sa lutte contre le trafic illicite en ayant dressé des « listes rouges » qui ne répertorient pas des objets volés, mais ceux susceptibles de l’être. Le bilan de cette prévention est difficile à dresser. De même, il se félicite de son code de déontologie « document de référence qui définit les normes de pratique à l’attention des professionnels des musées ». Celui-ci offre peu d’articles sur les règles de financement, sujet devenu majeur pour les institutions. Il encourage seulement « l’autorité de tutelle à se doter d’une charte écrite concernant les sources de revenus qu’elle peut générer par ses activités ou accepter de sources extérieures ». Cette invitation n’a pas empêché nombre d’entre elles de profiter pendant des années du généreux mécénat de la famille Sackler, dont le groupe pharmaceutique s’est enrichi en produisant un opiacé devenu un fléau mortel par addiction, ou de celui de British Petroleum. Ce sont les actions répétées de militants aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France qui ont contraint les musées à refuser récemment cet argent controversé et non le vœu pieu de l’Icom.

Ce décalage révèle l’ambiguïté et la faiblesse d’une association qui n’a aucun pouvoir décisionnaire et n’est qu’un forum de discussion. Ne jetons pourtant pas le bébé avec l’eau du bain. Dans une période où États-Unis, Chine, Russie, Inde s’écartent de la coopération internationale, où le repli sur soi séduit tant d’États, il vaut mieux que les professionnels des musées des Amériques, d’Asie, d’Europe et d’Afrique se rencontrent régulièrement pour échanger sur leurs pratiques et discuter de coopération.

Cependant, la dernière Assemblée générale extraordinaire de l’Icom, début septembre à Kyoto, a offert malheureusement la caricature d’une association agitée par une guerre aux allures picrocholines. Après une semaine de palabres au Japon, succédant à des semaines de discussion sur Internet, largement ésotériques, elle a été incapable d’accepter ou de refuser une nouvelle définition du musée, mise à l’ordre du jour. Par un vote de 70,41 % de ses membres, elle n’a pu que reporter la décision, sans doute à la prochaine Assemblée dans trois ans.

La question en jeu, qui est non des moindres, oppose Anciens et Modernes. Ces derniers veulent que le musée parle le langage du XXIe siècle et remettent en cause une définition datant de douze ans. Une obsolescence rapide qui montre à quel point les débats dans cette confrérie ont évolué en une décennie. Mais les réformateurs poussent le bouchon trop loin, provoquant les premiers à se retrancher dans une forteresse. Les seconds se drapent dans une rhétorique actuelle, les musées devenant, par définition, « des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques (…) participatifs et transparents, travaillant en collaboration active et pour diverses communautés (…) pour contribuer à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire ». À l’inverse, ils minimisent les fonctions traditionnelles, ne parlent ni d’objets ou œuvres d’art, mais « d’artefacts et de spécimens », ni d’acquisition mais de « collecte ». De quoi s’embourber. À la clôture de l’Assemblée de Kyoto, l’Icom s’est autocongratulé « d’un débat approfondi et sain entre ses membres ». Reculer pour mieux sauter ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°530 du 4 octobre 2019, avec le titre suivant : Picrochole au musée

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