Photographie : l’affaire des faux Lewis Hine

Le Journal des Arts

Le 18 février 2000 - 672 mots

Corollaire de l’essor du marché, les faux en photographie se multiplient. Comme Man Ray, Lewis Hine a été la cible d’un faussaire qui a réussi à abuser musées et collectionneurs. Plus de 250 épreuves suspectes, attribuées à l’un des fondateurs de l’engagement social en photographie, ont déjà été repérées. Un photographe, élève de Hine, est suspecté et la vigilance de prestigieuses galeries américaines mise en cause.

NEW YORK (de notre correspondant) - Le nom de Lewis Hine (1874-1940) est indissociable d’images de jeunes enfants ouvriers, mineurs, travaillant au début du siècle dans les champs, les filatures… Il a abandonné son métier d’enseignant pour dénoncer, au moyen de la photographie, leur exploitation, parvenant à s’introduire souvent clandestinement dans les usines. Il a été associé au Comité national sur le travail des enfants, qui a publié ses images et obtenu une modification de la législation avant la Première Guerre mondiale. Comme le scandale Man Ray qui vient d’agiter le monde de la photographie, l’affaire Lewis Hine concerne des tirages postérieurs à la mort de l’artiste, vendus comme des vintages, ces précieuses épreuves d’époque recherchées par les collectionneurs. Elle a éclaté l’année dernière, lorsque l’un d’entre eux, Michael Mattis, a décidé de soumettre ses vintages à un conservateur de Boston. L’expertise a montré que certains des papiers utilisés dataient des années cinquante-cinq à soixante-dix. Soit les images ont été tirées à cette époque et gardées dans l’espoir d’un renchérissement, soit le faussaire a eu accès à un stock de papier ancien conservé dans une chambre froide. Dans cette hypothèse, même des tirages sur des papiers antérieurs au décès de l’artiste pourraient être suspects, car il est impossible d’établir les limites chronologiques du stock dont a disposé le tireur.

Six galeries new-yorkaises, dont trois des plus grands marchands de photographies – Howard Greenberg, Edwynn Houk et Robert Mann –, ont eu des faux entre leurs mains et ont chargé l’avocat Peter R. Stern de les défendre. “Nous sommes engagés dans de sérieuses négociations. La situation est particulièrement délicate”, a reconnu celui-ci.

Sans preuve formelle pour l’instant, les soupçons se portent sur l’ami et élève de Hine, le photographe Walter Rosenblum, né en 1919, car la provenance de presque tous les tirages suspects se rattache à lui. Celui-ci a géré les archives (correspondance, négatifs, tirages) que Hine avait léguées à l’association “Photo League”. Après la dissolution de cette dernière, en 1951, l’intégralité de la collection Photo League a été transmise à l’International Museum of Photography, à la George Eastman House. Mais les Rosenblum continuent d’entretenir la mémoire de “Photo League”, association inspirée par le travail de Hine. Naomi Rosenblum, l’épouse de Walter, est historienne de la photographie et a été commissaire d’une exposition “Photo League” présentée notamment à Madrid l’été dernier (lire le JdA n° 86, 2 juillet). La couverture du catalogue était une image de Walter Rosenblum et l’accrochage réunissait en particulier des images de Berenice Abbott, Eugene Smith, Weegee et… Lewis Hine.

Par le biais de son avocat, Walter Rosenblum déclare ne pas avoir constaté d’anomalies dans les photographies dont il s’est occupé et affirme les avoir achetées, en toute bonne foi, à l’artiste ou à son fils Corydon. Les tirages suspects portent tous au dos un fac-similé du tampon original “Lewis W. Hine, Interpretive Photography”, accompagné de la signature en un mot “Hine”. Beaucoup d’épreuves semblent avoir été artificiellement détériorées – le dos est taché et éraflé –, mais les émulsions sont restées extraordinairement intactes. Les galeries entreprennent de contacter les personnes présumées avoir acheté des faux, tandis que d’autres acheteurs, comme le musée de Houston, retournent spontanément leurs Hine. L’affaire pourrait s’éterniser, car les œuvres ont été dispersées par différents canaux et sont maintenant très éparpillées. Elle pourrait se chiffrer à des millions de francs, puisque si beaucoup d’images de Hine se négocient autour de 5 000 dollars certaines peuvent dépasser 80 000 dollars. Une enquête judiciaire pourrait débuter prochainement, mais il est probable que, comme souvent dans ce genre de cas, marchands, acheteurs et faussaire préféreront transiger à l’amiable pour atténuer l’affaire.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°99 du 18 février 2000, avec le titre suivant : Photographie : l’affaire des faux Lewis Hine

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