Patrimoine religieux, état des lieux

Les églises, une richesse et un fardeau

Le Journal des Arts

Le 23 octobre 1998 - 1365 mots

La préservation des cathédrales, églises et chapelles constitue un souci permanent et une lourde charge pour leurs propriétaires, l’État et les communes. Ce dossier, réalisé à l’occasion du quatrième Salon du Patrimoine dont le thème est cette année l’art sacré, fait le point sur la conservation de ce vaste et fragile patrimoine, dans sa dimension à la fois architecturale et mobilière. Il est complété par la présentation des dernières méthodes scientifiques mises au point pour restaurer les sculptures des cathédrales, et par une étude des commandes publiques passées à des artistes contemporains.

Vandalisme à Notre-Dame-de-Paris, pose d’un filet de sécurité sur la tour nord de Saint-Sulpice, ces quelques exemples récents ne sont que la partie émergée des maux qui accablent le patrimoine religieux français. De la cathédrale à la chapelle rurale, les vastes travaux de restauration qui seraient nécessaires sont bien souvent le résultat d’un entretien défaillant, lui-même fruit de la négligence et du manque de moyens.

Façades lézardées, toitures endommagées, vitraux brisés, chenaux bouchés, voûtes fissurées, fresques ravagées par l’humidité, chutes de pierre… on n’en finirait pas d’énumérer toutes les plaies des églises de France. Le recul du sentiment religieux, conjugué à la faible culture esthétique des Français, explique en partie l’état alarmant de bien des édifices cultuels. Dans les campagnes en voie de désertification, nombre d’églises sont tout simplement désaffectées ou n’ont plus de curé à temps plein. Il est difficile, dans des communes faiblement dotées, de faire de l’entretien du patrimoine religieux une priorité budgétaire. Car depuis la fameuse loi de séparation de l’Église et de l’État, en 1905, la charge des églises incombe aux municipalités, tandis que les cathédrales sont confiées à l’État. À l’époque, Pie X avait interdit aux catholiques de constituer les associations cultuelles prévues par la loi pour gérer les édifices du culte, laissant toute latitude aux municipalités. Ainsi, “leur garde est tombée aux mains de ceux qui les détestent, pour qu’ils en fassent leur bon plaisir”, écrivit Maurice Barrès. Depuis, l’anticléricalisme a faibli, concurremment à l’objet de son animosité. Certains réflexes ou traditions semblent pourtant toujours bien ancrés dans les comportements. Sinon, comment expliquer que des communes de l’Yonne, au cœur d’une région viticole, prospère mais peu religieuse, manquent à leur devoir d’entretien ? Que ce soit à Irancy, dans la patrie de l’architecte Soufflot, ou encore à Coulanges-la-Vineuse, dont l’église est l’œuvre de Servandoni, le bâtisseur de Saint-Sulpice, l’intérêt des élus et des citoyens ne semble guère éveillé par ces richesses menacées. Ailleurs, à Toul, à Lisieux… une ancienne cathédrale ou une vaste église de pèlerinage constituent une charge excessive pour des communes pleines de bonne volonté, mais de taille modeste. Et plus les indispensables interventions tardent, comme le débouchage des chenaux, plus les édifices périclitent, renchérissant d’autant le coût d’une inévitable restauration. Car le problème se situe le plus souvent en amont, dans la gestion quotidienne du bâtiment : chauffage inadéquat, installation électrique vétuste, infiltrations... Le cumul de ces maux nuit non seulement à la sécurité du bâtiment mais aussi à la préservation des œuvres d’art conservées à l’intérieur.

Coûteuses cathédrales
À l’État incombe la plus lourde charge, celle des cathédrales : Amiens, Reims, Strasbourg... sont des chantiers permanents pour lesquels les investissements se chiffrent en dizaines de millions (à Notre-Dame-de-Paris, 20 millions en deux ans pour la tranche de travaux actuelle). Dans un contexte budgétaire délicat, le ministère de la Culture peut compter à l’occasion sur une participation financière significative des communes concernées. La Ville d’Amiens a ainsi contribué à hauteur de 30 % à la restauration de la façade de sa cathédrale. À Reims, la municipalité a déboursé un million de francs pour sa cathédrale, qui a également reçu des fonds des producteurs de champagne et de diverses entreprises publiques. En dehors de ces édifices, dont il est propriétaire, l’État assure 50 % du budget des travaux dans les quelque 5 000 églises classées, tandis que la ville et le département se partagent à égalité l’autre moitié. Pour les 5 800 églises inscrites, l’État ne finance que 10 % des opérations de restauration. Pour l’exercice 1997, l’État a déboursé 615 millions de francs pour des travaux sur le patrimoine religieux, et les collectivités territoriales 545 millions (chiffres partiels portant sur 19 régions seulement).

Mais la plus grande part du patrimoine religieux est constituée d’églises rurales non protégées, entièrement à la charge des municipalités. Même s’il existe au ministère de la Culture une ligne budgétaire permettant de financer différentes opérations à hauteur de 10-15 %, celle-ci n’a guère été revalorisée depuis sa création, à la demande du Sénat, en 1980-1981. En revanche, il faut saluer l’action de l’association Sauvegarde de l’art français, fondée en 1921. Son objet a été précisément défini dans le testament de la marquise de Maillé, dont le legs permet d’apporter d’importantes aides financières à la restauration d’édifices antérieurs à 1800, de préférence des églises non classées, et uniquement pour les travaux de gros œuvre. Depuis 1975, 1 500 édifices ont bénéficié de son concours, et, en 1997, une centaine se sont partagés près de sept millions de francs. Grâce à son mode de fonctionnement, cette association peut agir avec beaucoup plus de souplesse et de rapidité que les administrations, soumises à des procédures assez lourdes.

Que faire des églises désaffectées ?
La Fondation du Patrimoine bénéficie d’une même facilité d’action et, plus qu’à ses qualités artistiques, elle est attentive à la destination de l’édifice restauré. À Bordeaux, elle a récemment apporté 40 000 francs pour consolider la voûte de l’ancienne église des Cordeliers, où un maître-verrier souhaitait installer ses ateliers. Par ailleurs, M. Puech-Morel, délégué adjoint de la Fondation en Aquitaine, observe que “l’intervention sur le patrimoine est souvent le dernier espoir d’un village pour survivre”. Et il voit dans cet effort désespéré une chance pour les églises rurales, auxquelles on cherche une nouvelle affectation. Sinon, à quoi bon rénover un lieu fermé au public ? Leur inclusion dans un circuit touristique – Chemins du Baroque en Savoie, Enclos paroissiaux dans le Finistère, ou Route des abbayes en Normandie – a également permis à de nombreux bâtiments de retrouver un peu de lustre, notamment grâce aux subventions des conseils généraux. Mais l’arbre cache peut-être la forêt, car les Chemins du Baroque concernent une trentaine d’églises et de chapelles dans un département qui en compte 1 600.

La faiblesse des moyens ne concerne pas seulement les communes rurales, mais également les associations diocésaines, propriétaires des églises bâties après 1905, car les plus récentes ne sont pas celles qui posent le moins de problèmes. En effet, les matériaux utilisés au XXe siècle (ciment armé, béton...) vieillissent souvent mal, a fortiori quand les techniques employées étaient encore mal maîtrisées. Si une restauration complète a pu être menée sur l’église du Raincy des frères Perret entre 1988 et 1996, d’autres chantiers restent en suspens, comme à Saint-Christophe-de-Javel à Paris, où le ciment moulé s’effrite irrémédiablement. De même, à Épinay-sur-Seine, Notre-Dame-des-Missions (1929-1931) attend que l’association diocésaine qui en est propriétaire apporte sa part du budget de restauration.

Le cas parisien
À Paris, riche de près d’une centaine d’édifices cultuels, la Mairie avait mis en place en 1991 un “plan églises” prévoyant l’investissement d’un milliard de francs en douze ans pour la restauration d’une vingtaine d’églises. Ces bonnes intentions n’ont pas résisté à la crise économique, et, en 1993, des coupes sombres ont réduit les 80 à 100 millions annuels à 50 millions à peine. Au cours d’un récent conseil municipal, le budget 1998 a bien été augmenté de 50 millions, grâce à des rentrées fiscales plus importantes que prévu, mais, dès l’année prochaine, il devrait retomber à son niveau précédent. Pourtant, les chantiers urgents restent légion : Saint-Eustache, Saint-Sulpice... mais leur nombre, ainsi que les exigences politiques, incitent au saupoudrage des crédits et empêchent le lancement d’opérations d’envergure. Bientôt, les églises devraient en outre souffrir indirectement des affaires qui ont éclaboussé la Mairie de Paris. Désormais, un appel d’offres devra obligatoirement être lancé si le montant total des travaux envisagés dans une seule église dépasse le seuil de 700 000 francs, quand bien même les opérations seraient de nature différente (vitraux, toiture, maçonnerie...). Une exigence qui ne devrait pas accélérer des procédures déjà longues et complexes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°69 du 23 octobre 1998, avec le titre suivant : Patrimoine religieux, état des lieux

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