Rencontre avec Patrick Bloche, président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale

Patrick Bloche : « J’ai des convictions et je les assume librement »

Une voix de la gauche au Palais-Bourbon

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 16 février 2016 - 2031 mots

En dépit de son engagement en faveur du Pacs et du mariage pour tous, le président de la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale est peu connu du grand public. Ce militant PS de la première heure, député de Paris depuis 1997, est chez lui au Palais-Bourbon. Il commente pour le JdA la navette parlementaire de la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine », et réaffirme les spécificités d’une politique culturelle de gauche.

Alors que la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine doit revenir prochainement à l’Assemblée nationale après avoir été sérieusement amendée par les sénateurs, Patrick Bloche détaille les origines du texte, le travail du Sénat, les contours d’une politique culturelle de gauche, et dessine le profil d’un bon ministre de la Culture. L’entretien a été réalisé avant la nomination d’Audrey Azoulay.

Tout en assurant la présidence de la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale, vous avez souhaité être le rapporteur de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, et déposé de nombreux amendements ; pourquoi un tel investissement dans cette loi ?

Parce que je l’attendais depuis le début du quinquennat et que je m’étais préparé à en être le rapporteur.
Il y avait au départ deux lois, une loi sur la création et une loi sur le patrimoine, de nature très différente. Une loi « création », plus déclarative, même si elle a une portée normative, et une loi de réglementation visant à conforter certaines règles concernant le patrimoine. Je souhaitais depuis longtemps y apporter ma contribution personnelle en y intégrant l’architecture – qui a beaucoup d’importance pour moi –, et donner ainsi une suite législative à un rapport sur la création architecturale qui avait été rendu public en juillet 2014 après six mois de travail parlementaire et de très nombreuses auditions. Fleur Pellerin y a été d’autant plus sensible qu’elle-même, nommée ministre de la Culture à la fin août 2014, s’était empressée de prendre en compte mon rapport et d’annoncer une stratégie nationale sur l’architecture.
Mais la volonté de tout mettre dans une seule loi a abouti à une loi comportant un nombre limité d’articles, et des dispositions qui avaient circulé dans des discussions préalables ne se sont pas retrouvées dans ce projet de loi, y compris dans le volet architectural.

Dans quelle mesure la commission a-t-elle influé sur le contenu de cette loi ?
Il y a eu une vraie coproduction législative. Nous avons fait un travail en commun avec l’exécutif, j’ai fantastiquement bien travaillé avec Fleur Pellerin, avec son cabinet et les directions du ministère pour faire gonfler ce projet de loi, non pour intégrer toutes les dispositions des avant-projets, mais pour lui donner du souffle. À l’arrivée, nous avons adopté 150 amendements en commission, 75 en séance, de sorte que le projet de loi adopté en première lecture le 6 octobre 2015 ne ressemblait déjà plus tout à fait au texte adopté par le gouvernement en Conseil des ministres. J’ai voulu sur ce texte une discussion la plus ouverte possible, avec tous les groupes parlementaires. J’ai souhaité que soient adoptés des amendements venant de tous les groupes, si bien que ce texte a été voté par le groupe socialiste, mais aussi par les radicaux, les écologistes, les communistes ; le groupe UDI s’est abstenu.
Et après le travail du Sénat, nous comptons bien profiter de la seconde lecture pour aller plus loin.

Justement, comment analysez-vous les nombreux amendements apportés par les sénateurs en commission ? (1)
Les sénateurs ont supprimé un certain nombre de rapports qui avaient pourtant leur intérêt car cela donnait un signe, permettait d’ouvrir des débats ou des négociations ; je regrette qu’ils aient été aussi définitifs. Je pense à une demande de rapport que j’ai portée, qu’ils ont supprimée et que je réintroduirai : elle vise à ce que le gouvernement examine la possibilité que, lors de tous travaux d’aménagement de l’espace public, 1 % du montant des travaux puisse être consacré à l’installation d’une œuvre ou à une expression artistique à travers un spectacle de musique ou de danse.

Les sénateurs ont également profondément modifié les articles relatifs à l’architecture, l’archéologie préventive et aux « Cités historiques »…
Je suis très triste qu’ils aient fait leur sort à nombre de dispositions auxquelles je tiens, notamment concernant l’architecture. Au-delà de l’élévation du seuil à partir duquel il faut faire appel à un architecte – je reconnais là l’activisme de quelques lobbies bien référencés –, il y avait l’idée de libérer la création architecturale.

S’agissant de l’archéologie, on a là une vraie divergence. Il y a dix ans, alors dans l’opposition, je m’étais opposé à l’ouverture à la concurrence des fouilles, telle qu’elle avait été décidée dans un projet de loi. Une fois en responsabilité, la gauche n’a pas voulu revenir sur cette disposition, mais a souhaité rétablir un équilibre général, notamment en faveur de ceux qui exercent cette difficile profession d’archéologue à l’Inrap ou dans les services des collectivités territoriales. Les sénateurs ont rompu ce point d’équilibre.
Et puis il y a la réforme des « espaces sauvegardés ». Beaucoup y ont vu un affaiblissement de la protection. L’Assemblée nationale a voté des dispositions qui étaient autant de signes destinés à répondre aux inquiétudes. J’avais porté avant la discussion, dans les échanges avec la ministre, l’idée d’un PLU (plan local d’urbanisme) patrimonial qui aurait permis de répondre à nombre d’interrogations. Je n’ai pas obtenu l’arbitrage souhaité. L’opposition venait moins du ministère de la Culture que d’autres ministères.

Lors des débats au Sénat, David Assouline (PS) s’est adressé aux sénateurs de l’opposition en affirmant « qu’il n’y a pas de clivages politiques entre la droite et la gauche ». Partagez-vous ce point de vue ?
Je rejoins David Assouline dans l’idée qu’il n’y a pas de clivage de nature idéologique ou de clivage politique profond, d’opposition frontale entre la droite et la gauche, dans un domaine comme celui de la culture.
Tout ministre de droite ou de gauche après Malraux a fait référence à Malraux, tout ministre après Jack Lang a fait référence à André Malraux et à Jack Lang, il existe incontestablement des bases de consensus fortes. Il y a un attachement à la diversité culturelle et à la préservation de dispositifs patiemment construits au fil du temps pour financer la création dans notre pays. Il y a consensus quand il s’agit d’assurer une protection du patrimoine monumental. Nous faisons aussi front commun quand il faut mener la bataille au niveau européen à Bruxelles pour défendre l’exception culturelle.

Mais alors, quelle serait une politique culturelle de gauche ?
Il y a néanmoins des éléments de divergence. Nous venons de parler de l’archéologie préventive. Oui il y a une politique culturelle de gauche. Elle est marquée par le souci majeur de l’élargissement des publics, de l’accès de tous à la culture. Je pense qu’historiquement la gauche a dans ses fondamentaux l’éducation populaire, ce qu’a porté Jean Zay, une grande figure à ce titre, avec cette formule, « la culture pour tous, la culture par tous ». Sur l’éducation artistique, fondamentale, il y avait eu un très bon plan « Lang-Tasca » lancé en 2000, plan que la droite revenue en responsabilité en 2002 a réduit à néant.

Un rapport de la Fondation Jean-Jaurès dont le « Journal des Arts » s’est fait largement l’écho (no 449, 22 janv. 2016) pointe pourtant le faible taux de fréquentation des institutions culturelles par les ouvriers et employés…
C’est juste de dire que les politiques de démocratisation culturelle s’adressent prioritairement aux publics les plus jeunes et scolarisés, de la maternelle à l’Université. Ces politiques sont indispensables. Le problème numéro un, c’est de créer le désir. Une fois qu’on a donné envie, il y a un acquis définitif. C’est peut-être cela qui manque dans les catégories socioprofessionnelles que vous citez. Il faut aussi casser cette idée que cette offre ne leur est pas destinée.
Il y a deux accès possibles pour créer cette envie, même lorsque les années de formation initiale sont loin derrière soi. Il faut d’abord prendre en compte les potentialités offertes par la révolution numérique. Dans le même temps, il faut apporter la culture, notamment s’agissant des ouvriers et employés, sous tous ses modes d’expression au plus près de la vie quotidienne de nos concitoyens, c’est-à-dire dans l’espace public et sur les lieux de travail. On peut susciter chez quelqu’un l’intérêt de fréquenter les salles de concert ou les musées par la rencontre de l’art dans son environnement habituel. J’ai en tête les manifestations « Lille 3000 » organisées par mon amie Martine Aubry, il s’y passe vraiment quelque chose. Je pense aussi à ces concerts d’une demi-heure programmés pendant la pause déjeuner dans une entreprise : cela marche, les gens achètent leur sandwich et écoutent de la musique. J’ai visité récemment à Montpellier l’exposition de JonOne dans un lieu institutionnel, au Carré Sainte-Anne. En amenant les publics vers une offre accessible, on peut tirer un fil et les conduire ensuite vers des offres plus exigeantes.
Mais j’ai aussi un autre enjeu en tête, c’est l’égalité entre les territoires. Que vous viviez dans une grande métropole ou dans une petite ville au sein d’un environnement rural, les inégalités fondamentales croisent souvent les inégalités sociales.

N’y a-t-il pas un élitisme culturel qu’il faudrait combattre ?

C’est connu, il existe dans le milieu culturel un certain élitisme, un entre-soi. Mais je n’ai pas envie de me payer de mots, j’ai plus envie de faire que de dire. Plutôt que de lutter contre des forteresses qui seront toujours en place alors que je ne serai plus parlementaire, je préfère agir.

Quelles sont les qualités d’un bon ministre de la Culture ?
C’est le seul ministère que je connaisse où pèsent sur tout ministre depuis cinquante ans des figures tutélaires, en l’occurrence André Malraux et Jack Lang. Je ne veux pas dire qu’ils ont tué la fonction et que tout successeur perd inévitablement au jeu de la comparaison, mais dans une certaine mesure je le crois. Par ailleurs, Malraux n’aurait pas été Malraux sans de Gaulle, ni Lang sans Mitterrand. Pour être un bon ministre de la Culture, il faut un président de la République sensibilisé aux enjeux culturels et qui en fait une priorité de l’action publique. Donc un bon ministre de la Culture, ce n’est pas lié seulement à sa personnalité, mais aussi à des conditions politiques et institutionnelles.

Votre nom apparaît parfois dans la liste des possibles « ministrables » ; la fonction vous tenterait-elle ?

Compte tenu de mes fonctions à l’Assemblée, je suis un « papabile » facile sur le papier. Mais la vérité est que je n’ai jamais été amené à me poser cette question car on ne me l’a jamais posée. Certains font croire qu’on leur a demandé alors que ce n’est pas le cas. Si cela devait arriver, je me demanderais si je suis plus utile à la présidence de la commission ou Rue de Valois. La fonction ministérielle est une fonction dure qui demande beaucoup de sacrifices et d’abnégation, y compris dans sa vie personnelle. En plus je suis un caractère libre. J’ai des convictions et je les assume librement. Le Parlement est pour moi un terrain d’action idéal, même si je suis naturellement lié par une discipline de groupe.

Malgré vos engagements en faveur du Pacs ou du mariage pour tous, votre notoriété est peu établie auprès du grand public ; comment l’expliquez-vous ?
Je cherche moins à être connu pour ma personne que pour ce que je suis amené à faire dans l’exercice de mon mandat parlementaire. Je ne suis pas quelqu’un qui peuple les créneaux un peu vides des chaînes d’information en continu. La notoriété est toujours éphémère. Je ne veux pas jouer la fausse modestie, je suis bien sûr un homme public mais j’ai une certaine pudeur de caractère. Et puisqu’on arrive sur le terrain des confidences, je dois vous dire que je n’ai aucun talent créatif, d’où sans doute mon immense admiration pour les artistes, tous les artistes. Mon investissement dans la culture s’est fait largement par amour des artistes.

Note

(1) Depuis cet entretien les sénateurs ont aussi amendé le texte en séance.

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Patrick Bloche © Photo Sophie Léron

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Patrick Bloche : « J’ai des convictions et je les assume librement »

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