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Oser l’osier

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 8 novembre 2002 - 694 mots

À Berlin, une expérience originale, baptisée « Die Imaginäre Manufaktur » (« DIM »), associe, depuis 1998, des designers en vogue européens à des artisans aveugles. Les premiers dessinent, les seconds fabriquent. Trois ans après une première série de produits imaginés sur le thème de « La brosse », DIM dévoile sa deuxième collection d’objets, centrée autour d’un matériau, l’osier.

BERLIN - C’est une histoire en forme de conte, celle de “La Manufacture imaginaire”, traduction de “Die Imaginäre Manufaktur” (“DIM”), qui se déroule à Berlin, dans le quartier du Kreuzberg. Il y a cinq ans, deux designers, Oliver Vogt et Hermann Weizenegger, respectivement âgés aujourd’hui de trente-six et trente-neuf ans, s’arrêtent, intrigués, devant la petite boutique d’un institut pour aveugles. La vitrine, plutôt kitsch, regorge de brosses, de paillassons, de balais et de paniers, faits de bois, d’osier, de crin de cheval ou d’autres fibres végétales. Accessoires du quotidien, modestes et tendrement désuets. Ils sont en fait l’œuvre de la vingtaine de pensionnaires de l’établissement, aveugles ou handicapés, qui perpétuent là des techniques traditionnelles vieilles de quelque cent vingt ans.

“Pourquoi ne pas marier ce savoir-faire ancestral à des formes plus contemporaines ?”, se demandent Vogt et Weizenegger. Les deux compères choisissent alors un thème, “La brosse”, sur lequel ils vont faire travailler une trentaine de designers, dont Matali Crasset, Konstantin Grcic, Alfredo Häberli ou Mats Theselius. Au préalable, l’exercice requiert une observation minutieuse du mode de production à l’intérieur de l’atelier : celui-ci est forcément lent et à petite échelle. Mais les produits finis sont d’une remarquable facture. “Les non-voyants ont un sens particulier des formes et une perception très fine des choses qui se trouvent devant eux”, estimait à l’époque Peter Bergmann, ancien directeur de l’institution et initiateur du projet.

En 1999, Vogt et Weizenegger présentent, à Francfort, la première collection de DIM. En tout : 39 objets modestes et drôles, vendus à l’époque de 5 à 250 marks – soit de 2,55 à 128 euros. Des objets à la fois oniriques et ironiques. Un siège est recouvert de... crin de cheval. Des tapis coco se transforment en étagères à bouteilles de vin. Une brosse se métamorphose en coquetier, d’autres prennent la forme d’une clé, d’un livre, d’une croix. La Manufacture imaginaire est cette fois bien réelle.

Lors de la 18e biennale d’Intérieur 02, qui s’est déroulée du 18 au 27 octobre à Courtrai, en Belgique, DIM a dévoilé les prototypes de sa deuxième collection, baptisée “The Wicker Games”. Cette nouvelle expérience met en valeur un matériau souvent délaissé car jugé ringard : l’osier. Au total, une trentaine de pièces, non dénuées d’humour et qui, selon DIM, “montrent comment une réflexion ludique sur un matériau naturel et banal, et une vieille tradition manuelle peuvent changer la manière de regarder les objets”. Les designers ont tressé l’osier pour cacher un autre objet, un tube fluorescent (MotorBerlin) ou une radio (“tant le design de nombreux appareils électriques est affreux”, dixit l’auteur, Sebastian Bergne), ou tout simplement pour lui-même. Ainsi, le duo allemand FremdKörper a conçu Korb an Hocker, un étrange siège, mi-seau mi-tabouret, “idéal pour éplucher les pommes de terre”. Leurs compatriotes, Adam & Harborth, ont revisité avec Hotta Rocka le cheval à bascule. Le Portugais Fernando Brizio a, lui, confectionné un panier pour ranger les rallonges électriques, dont les parois mêlent habilement osier et câble électrique. Enfin, le Néerlandais Ed Annink a imaginé trois différents contenants sans fonds, en forme de grosse dame-jeanne. Ces dernières font office de caisse à jouets, mais peuvent aussi bien servir de refuge pour un animal domestique, voire pour un enfant.

Au-delà de son aspect altruiste, c’est le côté profondément social d’une telle aventure qui séduit, en l’occurrence la réintégration dans le réseau de production et de consommation d’une catégorie de population habituellement en marge de la société dite active. Sur la planète design, les initiatives du genre ne sont pas légion.

- Sur le site Internet de l’Institut pour aveugles de Berlin, on peut voir un reportage photographique, en noir et blanc, réalisé dans l’atelier de cette institution : www.blindenanstalt.de Adresse de l’institution : Blindenanstalt, Oranienstrasse 26, 10999 Berlin, Allemagne. Tél. 49 30 25 88 66 14.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Oser l’osier

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