Spoliation

Orloff, affaire classée

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 31 mars 2006 - 884 mots

L’argenterie vendue chez Christie’s en décembre 2004 ne faisait pas partie des biens spoliés aux Helft.

PARIS - Une partie du service d’argenterie Orloff commandé en 1770 par Catherine II de Russie, dispersée par Christie’s à Paris le 14 décembre 2004 pour 787 000 euros, est au cœur d’une polémique qui a éclaté au grand jour au début de l’année. Un document vient pourtant de clore le débat.
Parmi les soixante-deux pièces Orloff mises aux enchères par la maison de ventes, deux cloches et soixante assiettes du service impérial russe avaient été repérées sur catalogue par Georges Helft. Son père, Jacques Helft, qui fut antiquaire à Paris, avait été spolié de plusieurs caisses d’argenterie pendant l’Occupation, peu de temps après la fuite en 1940 de la famille Helft aux États-Unis. Jacques Helft n’avait eu de cesse après la guerre de rechercher ses biens, une quête ensuite reprise par son fils. Ce dernier a d’ailleurs déposé en 2002 une demande d’indemnisation auprès de la CIVS (Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations), organisme d’État institué en 1999. Lorsque Georges Helft fait des démarches auprès de Christie’s pour en savoir plus sur l’origine de cette collection, il n’a pas beaucoup d’espoir. Il sait que ces objets ont été réalisés en grande quantité (au moins cinq cents assiettes et quatre-vingts cloches). Ils ne sont pas spécifiquement identifiables, d’autant plus que lui ne dispose pas de beaucoup d’éléments sur les pièces qu’il recherche : une liste d’objets accompagnée de photos sans précision de dimensions, de poids, de numéros d’inventaire. Mais l’histoire bascule rapidement après une série de maladresses et d’incompréhensions.

Christie’s indignée
Georges Helft est reçu à Paris par François Curiel, le président de Christie’s. Ce dernier tente de le rassurer sur la légitime propriété du vendeur, un client de confiance possédant des documents nécessaires si besoin mais dont il ne peut donner le nom, confidentialité oblige. Il lui précise que les assiettes et les cloches Orloff qui portent la marque de la maison Helft ont été achetées en cadeau de mariage chez l’antiquaire en 1932 et que le père du vendeur est parti aux États-Unis en 1938. Il n’y a donc pas lieu de suspendre la vente. Georges Helft, qui n’est pas convaincu tant qu’il n’a pas de preuve, fait intervenir la CIVS, dont les tentatives pour connaître le nom du vendeur auprès de Christie’s restent infructueuses pour les mêmes raisons de confidentialité. Il laisse cependant passer la vente sans tenter de l’arrêter, avant de saisir la justice. Sur la base de son témoignage, qui précise que la maison de ventes lui aurait promis de lui fournir un document d’exportation datant de 1938, il obtient le nom du vendeur. Il s’agit des enfants d’Édouard Le Roux, « un financier qui a fait fortune dans les années 1930 », peut-on lire dans un quotidien national prévenu par Georges Helft. Début mars, Gérard Le Roux, fils d’Édouard, découvre une lettre datée de 1946 de Jacques Helft à Édouard Le Roux mentionnant l’achat Orloff dans sa boutique, pièce qui s’était malencontreusement glissée dans un album photo parmi les affaires de sa mère.
Cette lettre, dont nous avons pu obtenir une copie, clôt le dossier mais pas tout à fait la polémique. Car tous les protagonistes estiment avoir été mal traités dans cette affaire qui touche à un terrain sensible, celui des spoliations de guerre, du nazisme et de l’antisémitisme. Gérard Le Roux laisse éclater sa colère : « Avec Christie’s, nous avons épluché des mètres cubes de factures et trouvé un document d’importation de pièces d’argenterie de New York à Genève en 1958, moment où mon père est rentré en Europe. Mais préoccupé par les démarches agressives de Monsieur Georges Helft, j’ai entrepris des recherches plus approfondies. Comme je l’ai toujours indiqué à François Curiel, mon père avait acquis ces pièces de collection dans des conditions irréprochables. Cette lettre réduit à néant la mauvaise querelle dans laquelle Monsieur Georges Helft s’est engagé sans preuves irréfutables et sans aucun égard pour la mémoire de mes parents et aggravée depuis quelques semaines par une campagne de publicité dont je me réserve de lui demander compte. » Dans une correspondance conservée par la famille, on apprend qu’Édouard Le Roux avait, depuis les États-Unis, aidé des civils à quitter l’Europe, envoyé des milliers de paquets aux prisonniers, soldats et civils, puis, à la Libération,  des médicaments en Normandie. La place du marché d’Agon-Coutainville, dans la Manche, porte le nom de ce « bienfaiteur de la commune ».

Question des biens juifs
Christie’s est également soulagée et indignée. La maison de ventes a très mal pris d’avoir été soupçonnée, au nom de la raison commerciale, de fermer les yeux sur la vente d’objets qui pourraient avoir été spoliés. Son équipe dirigeante est pourtant particulièrement sensible à la question des biens juifs. « La seule victime est la personne spoliée, soutient de son côté Me Corinne Hershkovitch, avocate spécialisée dans les dossiers internationaux de spoliation. Et je maintiens que Christie’s s’est mal comportée dans cette affaire. Lorsque l’on met un objet sur le marché des ventes publiques, on doit en justifier la provenance, et il n’y a rien de honteux à cela. » Elle plaidera le 4 avril devant la CIVS le montant de l’indemnisation que recevra Georges Helft pour l’ensemble des biens spoliés à sa famille.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : Orloff, affaire classée

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque