Collectionneurs

Orient express

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 août 2007 - 995 mots

Les nouveaux acheteurs de Russie, d’Inde et de Chine dopent le marché international.

D'après l’étude World Wealth Report 2006, le nombre des grandes fortunes a doublé en dix ans et devrait progresser de 6 % par an d’ici à 2010. Cette augmentation se perçoit surtout dans les économies émergentes, en Asie ( 7 %), au Moyen-Orient ( 9,8 %), en Inde ( 19,3 millions) et en Russie ( 17,4 %). Ces sphères constituent le cœur de cible pour des foires comme ShContemporary (Shanghaï, Chine), Gulf Art Fair (Dubaï, Émirats arabes unis), Art Paris Abu Dhabi (Émirats arabes unis [lire p. 26]), mais aussi pour Christie’s, qui organise des ventes à Dubaï et Pékin.

Pour un grand nombre de ces nouveaux venus, le marché de l’art est non seulement une voie possible de plus-value, mais aussi un terrain de reconnaissance symbolique. « Pourquoi les étrangers seraient-ils les patrons et nous les ouvriers ? », s’interrogeait le promoteur immobilier et collectionneur chinois Dai Zhikang lors d’un colloque organisé à Shanghaï en septembre 2006. « La culture chinoise nous permettra de vaincre les occidentaux sur le marché international. » Selon la spécialiste d’Artcurial Pia Cooper, le dépassement du million de dollars pour une œuvre d’un artiste chinois est une affaire de fierté nationale. Actifs dans les ventes d’art contemporain chinois, les amateurs de l’empire du Milieu misent aussi sur les objets impériaux. « Les acheteurs asiatiques sont portés sur les porcelaines marquées, précise Géraldine Lenain, spécialiste chez Sotheby’s. Mais, tous les huit à neuf mois, ils changent de goût. Depuis un an, ils s’orientent sur les cornes de rhinocéros et les cloisonnés. On sent aussi une tendance récente sur les ivoires Ming. » De manière marginale, les pays asiatiques avancent dans des domaines plus surprenants comme les arts primitifs. Trois enchérisseurs de Hongkong, Taïwan et de Chine continentale intervinrent lors de la vente Vérité en 2006. Un Chinois de Taïwan avait déjà acheté pour 617 142 euros un masque Punu chez Calmels-Cohen en 2004.

Fort de six expositions d’arts primitifs organisées en Chine depuis 2003, le marchand belge Marc Félix recense une douzaine de collectionneurs. « Au début, les Chinois étaient surpris que l’art africain ne coûte pas cher, alors que je leur disais que c’était rare et beau, indique Marc Felix. Depuis la vente Vérité, ils ont vu que cela pouvait valoir de l’argent. Un Chinois n’achètera jamais quelque chose qui ne vaut pas cher. » L’envol des échanges commerciaux entre la Chine et le continent africain, dont le volume s’élevait à 40 milliards de dollars (34 milliards d’euros) en 2005, éperonnera-t-il un nouveau « collectionnisme » ? « Culturellement, les Chinois sont très éloignés des peuples africains, nuance l’expert Pierre Amrouche. L’œuvre africaine a une forte charge symbolique et, jusque-là, le regard des Asiatiques était limité. »

Les Russes plus nombreux
Avec une croissante économique d’environ 8 % en 2006, l’Inde est un « tigre » asiatique qu’il ne faut pas négliger. Les Indiens de la diaspora, et depuis deux ans du sous-continent, soutiennent fébrilement leurs artistes modernes, issus du groupe Progressive Artists. La flambée des prix se répercute seulement sur une poignée d’artistes contemporains, comme Subodh Gupta. Voilà deux ans, ses tarifs plafonnaient à 20 000 dollars à la galerie Bose Pacia, à New York. En mai 2006, une huile sur toile a décroché 185 567 dollars chez Christie’s à Hongkong. En matière d’art contemporain, les Indiens butent encore sur des prix plafonds. C’est donc un Allemand qui a acheté en juin 2006 à la Foire de Bâle la grande installation de Gupta pour laquelle le galeriste suisse Pierre Huber exigeait 800 000 euros. « Il y a beaucoup d’acheteurs mais peu d’amateurs sérieux, souligne la collectionneuse indienne Lekha Poddar. Ils acquièrent la plupart du temps une ou deux pièces sans vraiment suivre ou se concentrer. » Il semble par ailleurs peu probable que les artistes indiens voient leurs prix progresser au même rythme que leurs homologues chinois, faute d’infrastructures dédiées à l’art contemporain dans leur pays. « Le pays n’a que 50 ans, observe le galeriste Arani Bose. Il y a encore des routes ou des hôpitaux à construire. Un musée d’art contemporain n’est pas une priorité pour l’État et les privés ne sont pas engagés. » Hormis les achats opérés par le roi de l’acier Lakshmi Mittal en matière de mobilier XVIIIe, les Indiens ne sont pas encore visibles sur d’autres secteurs du marché.

Les Russes quant à eux continuent à briguer leur patrimoine. Alexis de Tiesenhausen, spécialiste chez Christie’s, relève 20 % de nouveaux acheteurs chaque année dans les ventes d’art russe. Dans ce domaine, Christie’s a enregistré son total le plus élevé le 29 novembre 2006 avec 28,2 millions de livres sterling (41,6 millions d’euros). Le comportement des acheteurs russes a sensiblement évolué. « Ils assistent eux-mêmes à la vente alors qu’autrefois ils fonctionnaient par téléphone, indique Alexis de Tiesenhausen. Ils sont de plus en plus confiants dans le système des ventes publiques. Mais il ne faut pas se leurrer en prétendant qu’ils achètent à n’importe quel prix. Dans une certaine mesure, les tableaux que nous avions présentés dans des estimations bien tapées ne se sont pas vendus. » De plus en plus de Russes lorgnent aussi vers l’art moderne. C’est un Russe qui aurait raflé pour 95,2 millions de dollars le Portrait de Dora Maar par Picasso chez Sotheby’s en mai. D’autres acheteurs venus du froid ont emporté en février pour 7,8 millions de livres (11,4 millions d’euros) le Bœuf écorché de Chaïm Soutine chez Christie’s et Le Séducteur de Magritte pour 702 400 livres (1 029 900 euros) chez Sotheby’s. « Au lieu d’acquérir vingt tableaux moyens, les Russes peuvent aujourd’hui commencer à faire des achats à hauteur de 20 millions de dollars, se concentrer sur quatre ou cinq toiles de très grande qualité, souligne le spécialiste de Christie’s Thomas Seydoux. Pourquoi les Européens seraient-ils les seuls à être capables de voir ce qu’est un beau tableau ? »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°251 du 19 janvier 2007, avec le titre suivant : Orient express

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