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Olivier Gabet, « J’aimerais revenir à une notion de densité »

Directeur des musées des Arts décoratifs à Paris

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 8 avril 2014 - 1639 mots

PARIS

Le nouveau directeur des musées des Arts décoratifs, Olivier Gabet, dévoile ses ambitions pour l’institution parisienne.

Olivier Gabet. © Photo Capucine Requillart
Olivier Gabet
© Photo Capucine Requillart

Âgé de 37 ans, Olivier Gabet a pris la succession de Béatrice Salmon à la tête des musées des Arts décoratifs de Paris en septembre 2013. Conservateur du patrimoine spécialisé en arts décoratifs du XIXe siècle, il a fait ses armes au Musée d’art moderne de la Ville de Paris puis au Musée d’Orsay. En 2008, il rejoint l’Agence France-Muséums, en qualité de conservateur des arts décoratifs, puis de directeur scientifique adjoint du projet du Louvre-Abou Dhabi – une expérience qui l’a profondément marqué. Il nous dévoile sa vision pour le futur des Arts décoratifs.

Quels ont été vos arguments pour accéder à la succession de Béatrice Salmon ?
L’annonce du départ de Béatrice Salmon a coïncidé avec celui d’Henri Loyrette du Musée du Louvre, et l’idée d’une reconfiguration du projet du Louvre-Abou Dhabi. Je pensais rester jusqu’à l’ouverture de ce dernier, mais l’opportunité de diriger le Musée des arts décoratifs – dans lequel j’ai, en tant que spécialiste des arts décoratifs et du XIXe siècle, toujours eu envie de travailler – s’est présentée.
J’ai arpenté les salles, mené une analyse aussi lucide que possible du lieu, de ses collections, de sa politique d’expositions, et réfléchi à ce que sont Les Arts décoratifs aujourd’hui. J’ai également mis en avant mes connaissances du marché de l’art et du monde des collectionneurs. L’histoire de l’institution – celle d’un musée privé créé par des collectionneurs, des manufacturiers, des artistes –, et sa complicité avec le monde de l’entreprise sont uniques. Le Musée des arts décoratifs n’a pas à présenter ses collections comme le fait le Louvre. Sa capacité à exposer des ensembles, à défaut d’une succession de chefs-d’œuvre, permet une autre lecture de l’histoire de l’art et du goût. Les visiteurs doivent comprendre qu’ils sont dans un lieu particulier, fait par les créateurs pour les créateurs.

Quels en sont les points à valoriser ?
L’espace du musée est un véritable enjeu sur lequel j’ai déjà beaucoup discuté avec Bruno Roger, président des Arts décoratifs. Un travail collectif autour des collections est lancé pour une nouvelle proposition d’accrochage à l’automne 2016. Je reste très respectueux de ce qui a été fait (le chantier de réouverture a été très complexe et financièrement très lourd). Les « period rooms » constituent par exemple un élément très fort – mais j’aimerais revenir à une notion de densité. Quel est l’intérêt de montrer une tisanière isolée, sur les cent cinquante qui nous ont été données ? La mise en valeur d’ensembles permet de témoigner d’un esprit de collection. Respecter cet esprit implique de ne renier aucun pan de notre histoire. Il faut faire avec l’existant : les chefs-d’œuvre de l’art décoratif comme les séries, les objets d’origine provinciale ou kitsch, les collections chinoises, japonaises, islamiques… Nous avons par exemple la possibilité unique de faire dialoguer nos collections japonisantes avec nos collections d’art japonais. L’extrême diversité de ces fonds doit être un atout pour reconstituer notre propre histoire des arts décoratifs, en prenant tout en compte, même ses scories.

Comment allez-vous revoir les grands axes de la programmation ?
Il y a déjà de grands axes dans cette programmation : les arts décoratifs, le design et le design graphique, et la mode. Pour le premier axe, je tiens à une forme de pluralité. La programmation, dominée par les XXe et XXIe siècles, devra être rééquilibrée avec des sujets plus anciens sans forcément tomber dans un traitement classique. Cette programmation va s’ouvrir à de grandes figures moins connues qu’il n’y paraît, comme Piero Fornasetti (prévu pour le printemps 2015) ou Roger Tallon, ou encore de grands domaines : le verre chinois ou les styles dans les châteaux anglais…
En matière de mode, notre politique a pu être éreintée ces dernières années par la critique dénonçant les rapports entre mode, industrie du luxe, argent et musées. Or ce grand brouillage a atteint tout le monde, à l’instar du Grand Palais [« Cartier », 2013-2014] ou du Palais de Tokyo [« N° 5 Culture Chanel », 2013]. On peut tirer les leçons de dossiers qui ont pu embarrasser la vie de l’institution, comme l’exposition « Louis Vuitton » [2012]. Les sujets que l’on peut aborder autour d’une maison ou d’un créateur sont innombrables, comme le démontre « Dries Van Noten. Inspirations » [jusqu’au 31 août]. Les très grands fonds en notre possession (Lanvin, Worth, Doucet, Poiret, les sœurs Callot) offrent une mine de sujets monographiques jamais abordés. « La mécanique des dessous » [2013] évoquait le savoir-faire, les techniques et l’évolution du style, sans s’emprisonner dans des noms. Les expositions peuvent aujourd’hui être plus transversales, comme « Déboutonnez la mode » [fin 2014] qui revisite l’histoire de la mode et celle des arts décoratifs à partir de ce petit détail qu’est le bouton. Je suis très attaché à ce que tous ces pôles se rencontrent car leur terrain commun reste inexploré. Nous travaillons actuellement avec le Musée Galliera (une première !) sur « Jeanne Lanvin et les arts » pour le printemps 2015. Chaque musée développera son approche – plus couture à Galliera, plus historiciste aux Arts décoratifs dont les collections se prêtent parfaitement à ce dialogue original entre une grande créatrice et les artistes de son temps. Les musées spécialisés doivent s’unir sur des projets ambitieux.

Les expositions monographiques sur les grands couturiers ont-elles fait leur temps ?
En termes économiques et intellectuels, ce type d’expositions me paraît en effet être à repenser, mais Les Arts décoratifs ne cesseront jamais de travailler en bonne intelligence avec les maisons de luxe. Les grands créateurs auront toujours leur place. Martin Margiella, par exemple, mériterait une rétrospective, un travail de fond. La prospection de très jeunes créateurs et des expositions de groupe pourraient apporter une réponse plus originale et subtile. Pour ma part, je rêve d’une exposition dans la nef rendant hommage à l’histoire de la mode depuis Worth et mêlant robes, photos, revues de nos collections. Ce musée a été créé pour exposer et défendre les industries d’art. Aujourd’hui, alors que ces maisons se défendent très bien seules, nous devons en parler différemment. Pour un musée, chaque exposition, même de mode, est une prise de risque, on doit renouveler les sujets. Je suis peut-être d’une extrême naïveté, mais selon moi il y a des cycles, et celui-ci touche à sa fin.

Avez-vous de nouvelles pistes pour le mécénat ?
L’année 2013 s’est achevée sur l’offre généreuse de la Fondation Bettencourt Schueller (1,5 million d’euros sur trois ans) pour la numérisation des collections. Les nouvelles pistes de mécénat sont aussi liées à la programmation – je suis très frappé par la richesse des idées du personnel scientifique et sa force de conviction pour décrocher des financements. Le mécénat, sous la houlette du directeur général, est le sujet crucial des Arts décoratifs. À ce titre je me réjouis de l’arrivée de David Caméo [à la direction générale des Arts décoratifs]. Christofle, dont l’histoire est intimement liée à celle du musée par la famille Bouilhet, a fait l’objet de discussions très poussées sur un projet d’exposition originale, et d’une discussion financière apaisée, signe d’une évolution. La prospection à l’étranger est accentuée à l’occasion de projets d’expositions majeures en Corée du Sud. Aujourd’hui certains de nos fonds parmi les plus exceptionnels ont besoin des mécènes qui leur redonneront vie et les offriront à nos publics ici et à l’étranger, de manière moins monographique et plus décloisonnée.

La sélection des œuvres prêtées par les Arts décoratifs au Louvre-Abou Dhabi a-t-elle évolué depuis votre arrivée ?
En tant que musée privé, les Arts décoratifs ne faisaient pas partie de ce projet réservé aux établissements publics. Comme directeur scientifique adjoint de France-Muséums, aux côtés de Laurence des Cars, je me suis battu pour qu’ils le soient, car j’ai toujours considéré ce musée comme un ambassadeur du goût à la française. La première sélection, effectuée en accord avec Béatrice Salmon et les conservateurs, était très généreuse avec des chefs-d’œuvre allant de la Renaissance à nos jours. Entre-temps, l’équipe a changé et la muséographie a été reprise à la demande de Jean-Luc Martinez [président-directeur du Louvre]. Le rééquilibrage avec d’autres collections fait que nous prêtons moins que prévu. Si la quantité est moindre, la qualité des œuvres sera spectaculaire, avec l’accent mis sur les objets anciens et les textiles islamiques. Dans un second temps, Les Arts décoratifs devraient être appelés à participer aux expositions temporaires, dont une soixantaine est prévue sur quinze ans.

Parmi les acquisitions du Louvre-Abou Dhabi, certains objets auraient-ils pu trouver leur place aux Arts décoratifs ?
Malgré tous les fantasmes qui circulent sur cette politique d’acquisition, il n’y a pas un achat que je n’ai effectué sans en prévenir l’institution. Les objets décoratifs européens acquis par la commission des acquisitions sur mes propositions n’avaient pas leur place aux Arts décoratifs ; il n’y a jamais eu de conflits d’intérêt. On a pu me critiquer lors de l’achat d’un décor non classé de Ruhlmann, passé en ventes publiques à Paris auparavant, qui ne rentrait dans aucun espace des Arts décoratifs. Au lieu de dilapider le budget du Louvre-Abou Dhabi en achetant plusieurs pièces Art déco, ce décor m’a paru l’écrin parfait pour des prêts des musées français ou de futures acquisitions. Comme d’autres collectionneurs privés, le Louvre convoitait la fibule de Damagnano sans en avoir jamais eu les moyens. Aujourd’hui ce chef-d’œuvre est au Louvre-Abou Dhabi, un musée public et universel. Les grands musées occidentaux auraient bien du mal à empêcher d’autres parties du monde de s’inscrire dans cette démarche d’universalisme qu’ils revendiquent pour eux-mêmes. Je ne regrette aucune acquisition pour aucune institution française que ce soit. Le Louvre-Abou Dhabi est né dans la polémique. J’espère que les gens feront preuve d’impartialité pour le juger sereinement et sans a-priori à son ouverture.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : Olivier Gabet, « J’aimerais revenir à une notion de densité »

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