Mécénat

L’ACTUALITÉ VUE PAR

Olivier Brault, « Les métiers d’art ont encore besoin d’être aidés »

Directeur général de la Fondation Bettencourt Schueller

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 22 avril 2014 - 1313 mots

Directeur général de la Fondation Bettencourt Schueller depuis 2012, Olivier Brault multiplie les actions en faveur de la culture.

Diplômé d’histoire et de Sciences Po Paris, ancien élève de la rue d’Ulm et de l’ENA, Olivier Brault a dirigé de 2005 à octobre 2012 la Croix-Rouge jusqu’à sa nomination à la direction de la Fondation Bettencourt Schueller, créée il y a quinze ans par André et Liliane Bettencourt et leur fille Françoise Bettencourt Meyers. Sous sa conduite, la Fondation multiplie depuis quelques mois de nouvelles actions envers les métiers d’arts.

Depuis 2012, les actions de la Fondation Bettencourt Schueller se sont amplifiées : accompagnement des lauréats du Prix pour l’intelligence de la main, nouvelle récompense « Parcours », soutien à la numérisation d’œuvres et documents aux Arts décoratifs. Faut-il voir dans ces développements la marque de votre nomination à la direction de la fondation ?
La vie de cette maison n’a pas commencé avec mon arrivée, ni avec celle de Françoise Bettencourt Meyers à la présidence de la Fondation en 2012. Après elle, je m’inscris dans la continuité de ses parents qui ont construit en France la plus importante fondation familiale d’utilité publique. Pour autant, c’est bien à la demande de Françoise Bettencourt Meyers que les actions de la Fondation se sont amplifiées en même temps que recentrées pour mieux trouver leur juste sens d’utilité sociale, le « la », pour reprendre son expression.

Comment se traduisent en chiffres ces nouveaux programmess ?
La Fondation a les moyens de conduire une action d’utilité sociale importante. En trois ans, le volume de ses engagements a plus que doublé, passant de 14 millions en 2011 à 21 millions en 2012 et 31 millions en 2013. En 2014, il devrait être de 35-36 millions d’euros. Mais les chiffres sont des repères, pas des fins en soi.

Comment cette augmentation des dons se distribue-t-elle dans les différents secteurs, notamment par rapport à la culture qui représentait, jusqu’à une période récente, 20 % des dons ?
Depuis 2012, chaque secteur (culture, science de la vie, social) représente un tiers du tout. Cette répartition est due à l’amplification du secteur social et du secteur culturel décidée depuis quelques années. Elle peut se modifier. Encore une fois, nous n’avons pas de fascination pour les chiffres ou les équilibres apparents. L’exigence de qualité des programmes et la passion du sens priment. L’utilité d’une fondation familiale reconnue d’utilité publique se mesure à l’utilité sociale de ses projets et à ses engagements dans la durée. C’est ce qu’illustre notre engagement de quinze ans pour la valorisation des métiers d’art, pour lesquels nous avons multiplié par sept notre dotation avec une enveloppe atteignant en 2014 3,23 millions d’euros.

Le soutien à la sauvegarde et à la valorisation des métiers d’art est au cœur de vos programmes de dons et du Prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main. Pour quelles raisons vos nouvelles actions tendent-elles à développer les liens avec la création contemporaine ?
Plusieurs leviers peuvent être utilisés pour valoriser et transmettre les savoir-faire extraordinaires des artisans d’art. La restauration et l’entretien du patrimoine ont mobilisé la Fondation dans ses premières années : André Bettencourt était l’un des fondateurs de la Fondation du patrimoine avec laquelle nous avons un partenariat depuis des années. En revanche, les liens entre les métiers d’art et l’art contemporain ou le design restent à développer. S’ils viennent du passé, les métiers d’art ont un présent et un avenir. Leur force peut s’appliquer aux objets du passé, mais aussi dans beaucoup d’autres domaines du monde d’aujourd’hui.

Quand vous passez un accord avec le Palais de Tokyo ou l’Institut français pour la Villa Kujoyama, ne faut-il pas y voir aussi une volonté de moderniser l’image de la Fondation et de donner une meilleure visibilité à ses actions auprès des métiers d’art ?
Nous changeons aujourd’hui d’échelle mais nous poursuivons les mêmes objectifs. Il y a dans ces partenariats la volonté d’apporter un autre éclairage sur ces artisans d’art qui ont fait des choix peu communs. L’affirmation de la modernité des savoir-faire des métiers d’art n’est pas nouvelle pour la Fondation, mais aller chercher le grand public dans la programmation d’un établissement culturel atypique de la scène parisienne est nouveau, car nous pensons qu’il faut considérer l’univers des métiers d’art comme une source d’inspiration qui doit trouver sa place à Paris dans une programmation culturelle d’aujourd’hui. La première exposition préparée par Gallien Dejean, recruté au Palais de Tokyo pour conduire ce programme triennal, devrait être programmée en décembre.

Comment percevez-vous, l’intérêt récent de ces institutions pour les métiers d’art ?
C’est une question pour Jean de Loisy. Il me semble que dans l’art contemporain en France, on assiste à un mouvement qui revient aux métiers d’arts et à ses valeurs : le temps long, la matière, la maîtrise du geste… Il est évident par ailleurs que les restrictions budgétaires rendent les responsables de ces structures plus attentifs au mécénat, qui, s’il est bien fait, respecte vraiment les rôles de chacun. Une fondation d’utilité publique est une fondation qui sert l’intérêt général. Quand on l’incarne concrètement comme dans le soutien aux métiers d’art, des terrains d’accord se trouvent facilement avec les responsables du Musée des Arts décoratifs, de la Manufacture de Sèvres, de l’École nationale supérieur des Arts décoratifs, de l’école Boulle ou de la Villa Kujoyama à Kyoto.

Comment intervient Françoise Bettencourt Meyers dans la Fondation ?
Elle préside la Fondation depuis 2012 et suit ses actions de très près. Elle prend toute sa part aux décisions en sachant que, si les idées peuvent venir de partout et sous toutes formes avec une grande liberté, les étapes d’instruction sont collectives, motivées, de façon qu’in fine tous les dons sont décidés par le conseil d’administration bien éclairé.

Comment réagissez-vous à la baisse du nombre d’entreprises mécènes annoncée par l’Admical pour 2014 ?
Ma première réaction est de m’inquiéter pour les causes que soutiennent les mécènes. Le mécénat n’est pas fait pour les mécènes, mais pour les personnes qu’ils soutiennent. Moins de ressources pour la santé, l’éducation, l’aide sociale et la culture, c’est plus de difficultés pour les gens. Il est nécessaire que nous réinventions nos modèles et nos façons de travailler. Si nous amplifions nos actions, c’est aussi parce que les métiers d’art ont encore besoin d’être aidés. Ce secteur compte 40 000 entreprises, 100 000 personnes. Les structures sont petites et, sauf quelques exceptions, les chiffres d’affaires souvent de l’ordre de 20 000 à 30 000 euros par an. Il est difficile pour elles d’investir, de produire, nous le voyons dans les demandes qui nous sont adressées.

La défiscalisation du mécénat n’est-elle pas trop importante ? Les entreprises ne pourraient-elles pas payer leur mécénat sur leur budget de communication ?
Parce que la Fondation Bettencourt Schueller vit de la générosité d’une seule famille, je ne répondrai à cette question qu’à titre personnel. Nul doute que le pays doit redresser ses comptes. Mais je ne trouverais pas juste qu’un État qui, pendant longtemps a revendiqué une place première et presque exclusive dans le champ de l’intérêt général, freinant ainsi la contribution privée au bien commun, la pénalise aujourd’hui au nom de la chasse aux niches fiscales. Il suffit de regarder outre-Manche, outre-Atlantique : le lien est direct entre la place de l’État et le développement de la générosité privée (qu’on appelle publique) ou la philanthropie. La défiscalisation du don est un encouragement aux alliances pour l’intérêt général. Si l’on prend l’exemple du patrimoine, c’est cause perdue de penser que la dépense fiscale entretiendra tous ces merveilleux monuments hérités du passé. On ne s’en tirera que si notre pays considère qu’il s’agit de son patrimoine et s’il se mobilise pour le valoriser. C’est parce qu’elles portent cette vision que nous soutenons la Fondation du patrimoine ou Le plus grand musée de France, ce programme remarquable de la Junior entreprise de l’École du Louvre.

Légende photo

Olivier Brault. © Photo : C.Doutre-CAPA Pictures pour la Fondation Bettencourt Schueller.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : Olivier Brault, « Les métiers d’art ont encore besoin d’être aidés »

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