À New York, l’art dans la tourmente

Le Journal des Arts

Le 28 septembre 2001 - 1484 mots

Les attentats qui ont notamment frappé les deux tours du World Trade Center, à New York, le 11 septembre, et la tragédie humaine qui en a résulté, ont été suivis de multiples élans de solidarité et de soutien provenant de tous les milieux, et en particulier du monde de l’art. Au-delà des artistes directement touchés par la catastrophe et des œuvres d’art détruites avec les tours, c’est le marché de l’art dans son ensemble qui risque d’être affecté par le drame.

NEW YORK (de nos correspondants) - L’équivalent de 10 millions de dollars (70,9 millions de francs) d’œuvres d’art public auraient été détruites par la catastrophe, notamment la peinture monumentale d’un colibri de Ross Bleckner et la tapisserie World Trade Center (1974) de Miró, qui surplombait la mezzanine de la tour n° 2. Une autre peinture murale de Lichtenstein ainsi qu’une sculpture de Calder, qui appartenait aux Autorités portuaires de New York et du New Jersey – l’agence qui a fait construire et gérait le World Trade Center –, sont détruites, tout comme les collections d’estampes et d’art américain qui étaient conservées dans les locaux des compagnies d’assurances et de courtage situés dans les étages supérieurs du World Trade Center. Parmi celles concernées figurent Salomon Smith Barney, Morgan Stanley, Dean Witter, Goldman Sachs, Deutsche Bank, et Cantor Fitzgerald.

Chez Axa Nordstern, premier assureur au monde d’œuvres d’art, Dietrich von Frank, président-directeur général, estime que les pertes pour les deux buildings se chiffrent à plus de 100 millions de dollars. L’œuvre la plus chère détruite dans l’effondrement du building est la sculpture d’Alexander Calder, qu’Axa n’avait pas assurée. Axa, qui doit faire face à la plus grande perte d’œuvres d’art jamais enregistrée de son histoire, a déjà débloqué 20 millions de dollars pour couvrir les pertes de ses clients, dont le courtier Cantor Fitzgerald. Dietrich von Frank avait peu d’espoir de retrouver les œuvres stockées dans les tours, dont les bronzes de Rodin qui appartiennent à Cantor Fitzgerald.

Le Bureau des douanes américaines, situé à la pointe nord du parvis du World Trade Center, est en ruine et, selon nos informations, de nombreux registres sont perdus.

Les enquêteurs chargés de la circulation des œuvres d’art (et dont les rangs avaient été renforcés récemment) sont à présent installés dans des bureaux de l’aéroport John F. Kennedy. Les quelques œuvres conservées sur le site sont détruites, toujours selon nos sources qui ajoutent cependant qu’aucune œuvre majeure n’était stockée sur place. “Si vous voulez entrer des œuvres d’art en fraude à New York, c’est le moment”, ironise un employé des douanes.

Le site Internet “Artnet.com” affecté par les attentats
Après une semaine au cours de laquelle pratiquement aucun délit n’a été enregistré à New York, des malfaiteurs ont profité des événements pour subtiliser un dessin de Picasso de 1923, Jeune homme au miroir, jouant de la flûte de Pan, avec enfant, estimé 320 000 dollars, à la galerie Richard Gray, sur Madison Avenue.

Suite aux attentats de New York et de Washington, l’angoisse est telle que les prêts d’œuvres d’art en direction des États-Unis sont pratiquement gelés, selon Dietrich von Frank, même si avec un trafic aérien réduit et des mesures de sécurité accrues, le transport par avion est plus sûr, en terme d’assurance, qu’il ne l’était avant. “C’est psychologique, explique-t-il, mais les gens ont peur de se séparer de leurs tableaux ou de tout autre objet pour des périodes de trois mois consécutifs.” Au Musée Guggenheim, un porte-parole a déclaré que les œuvres qui auraient dû être prêtées pour l’exposition d’art brésilien “Body and Soul” n’étaient toujours pas arrivées. En Europe aussi, et en France en particulier, des expositions pourraient également être annulées ou reportées. Ainsi, l’exposition “Made in USA”, à Bordeaux, pourrait être retardée.

Avec la chute de la Bourse et le risque de recul des valeurs boursières dû à la perte de confiance des industries qui voient venir des temps difficiles, il n’est pas exclu que le marché de l’art chute également. Une baisse du tourisme à New York est également à envisager. Elle pourrait avoir de graves répercussions sur les musées et le marché de l’art. Nombreux sont ceux qui estiment que les collectionneurs d’art vont modifier leurs habitudes. La fréquentation des vols intérieurs aux États-Unis a déjà chuté de 50 %, et la tendance ne risque pas de s’inverser puisque des compagnies aériennes proches de la faillite annulent des vols, suppriment des milliers de postes et interrompent la vente de billets sur Internet. Le marché de l’art, en expansion depuis plusieurs années, pourrait ne pas être insensible à cette onde de choc.

Certaines sociétés sont actuellement dans l’impossibilité de poursuivre leur activité, comme le site Internet Artnet.com. Les cinquante-quatre employés de l’entreprise sont sains et saufs, mais après l’attentat terroriste à New York, le site est resté inaccessible pendant plus d’une semaine. L’avenir de la base de données et du magazine en ligne, dont les locaux sont situés à quelques blocs du World Trade Center, reste incertain. “Rien n’a été endommagé, mais comme il n’y a plus d’électricité dans notre immeuble depuis des jours, nous n’avons pas pu rouvrir le site, nous a déclaré le directeur général de la société, Hans Neundorf. Nous devrions reprendre nos activités dès que l’électricité sera rétablie, sans perte de données.” Pourtant, Hans Neundorf avoue : “Je ne sais pas à combien se chiffrent les pertes de notre société pour chaque jour d’inactivité.” Dès l’instant où les avions ont percuté les tours jumelles, Hans Neundorf a ordonné à son personnel d’évacuer le bâtiment, tandis qu’il restait sur place pour sauver ce qui pouvait l’être. Soudain, a-t-il déclaré, le World Trade Center s’est effondré, plongeant le siège social d’Artnet dans un épais nuage de fumée noire. “Je me suis précipité pour fermer les fenêtres, puis je me suis jeté sur le téléphone pour prévenir tout le monde”, se souvient-il. Il est resté dans le bâtiment jusqu’au début de l’après-midi, avant d’être sommé par les autorités municipales de quitter les lieux.

Le World Trade Center abritait aussi des ateliers d’artiste
Depuis quelques années, le Lower Manhattan Cultural Council (Comité culturel du sud Manhattan) louait des ateliers à des artistes dans les tours du World Trade Center. Parmi ceux qui occupaient ces espaces figurait Michael Richards, jeune artiste de Miami. Son atelier se trouvait au 92e étage de la tour n° 1. Souvent, plutôt que de rentrer chez lui dans Queens, il passait la nuit sur place. Le soir qui a précédé l’attentat, il a organisé une fête et la soirée s’est prolongée jusqu’à 3 ou 4 heures du matin. Il est resté dans son atelier après le départ de ses invités et tout porte à croire qu’il dormait toujours lorsque l’avion a percuté la tour, exactement au niveau de son étage, à 8h45. Peter Fend, artiste dont le travail traite justement de politique internationale, de frontières géographiques et de systèmes de surveillance des services secrets, était également installé dans la tour. Les sculptures cartographiques produites par sa société, Ocean Earth, sont le résultat de mois d’analyse d’informations et de données provenant de satellites d’observation. Fort heureusement, au moment de l’attentat, Peter Fend était en Grande-Bretagne où il préparait son exposition “Sea Change” à la galerie Spacex d’Exeter.

Les Musées de New York ouvrent gratuitement
De nombreux artistes vivent et travaillent dans le périmètre immédiat du World Trade Center, parmi lesquels Lydia Dona. Elle a immédiatement compris qu’il s’agissait d’un attentat terroriste et a fui son atelier situé au pied des tours. Elle n’a pas pu y retourner depuis. Un peu plus loin, le peintre Jacqueline Humphries et le vidéaste Tony Oursler s’apprêtaient à partir pour Paris où est organisée actuellement une exposition de ce dernier à la galerie Ghislaine Hussenot. Ils ont découvert leurs ateliers uniformément couverts de poussière. Étant donné l’ampleur de l’onde de choc, il est surprenant que si peu d’artistes aient été directement touchés, même si John Miller est resté bloqué à l’entrée de son domicile de Battery Park. Se retrouvant par hasard au Caffe Dante de Greenwich Village, Alex Katz et Francesco Clemente se sont même enlacés, heureux de constater qu’ils avaient tous deux survécu à la catastrophe.

De leur côté, les musées, qui avaient fermé leurs portes le jour de l’attentat, ont rouvert conformément à la demande de Schuyler Chapin, commissaire à la Direction des affaires culturelles de la mairie de New York. La plupart d’entre eux étaient même accessibles gratuitement. Cependant, les jours qui ont suivi l’attentat, les musées ont reçu nettement moins de visiteurs que d’habitude, la fréquentation chutant même de 50 % en ce qui concerne le Metropolitan Museum of Art. Au Brooklyn Museum, seuls 300 visiteurs sont venus le mercredi 12 septembre. La perturbation des transports en commun n’y est pas non plus étrangère. À Paris, le Louvre a également connu une nette baisse, ne comptabilisant que 3 000 entrées payantes le dimanche 16 septembre contre 13 000 en 2000 à la même date.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°133 du 28 septembre 2001, avec le titre suivant : À New York, l’art dans la tourmente

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