Musée

Fait du prince

Musée du quai Branly : J - 2 mois

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 14 avril 2006 - 749 mots

PARIS

La saga de la création du « musée du président Chirac » touche à sa fin.

PARIS - 1995-2006 : il aura fallu onze années pour que le musée consacré aux civilisations non occidentales, souhaité par le président Jacques Chirac au lendemain son élection, voit enfin le jour. Un temps de gestation que Stéphane Martin, son président-directeur, considère aujourd’hui comme relativement modeste « si l’on tient compte du fait que le projet est né des conversations entre [l’expert] Jacques Kerchache et Jacques Chirac, sans être précédé d’une réflexion antérieure ». À dix semaines de son inauguration, prévue le 20 juin, l’équipe du Musée du quai Branly a ainsi pu se réjouir, lors d’une conférence de presse le 4 avril, d’avoir su garder le cap d’un navire pourtant ballotté par les changements successifs de gouvernements et de ministres de tutelle. Sans oublier la fronde des scientifiques à laquelle le projet, né d’une volonté politique de faire fusionner les collections du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie et du Musée de l’Homme, a dû faire face, alors que le nom de l’établissement faisait, à son tour, l’objet d’âpres discussions. Le choix s’est finalement porté sur un très consensuel « Musée du quai Branly », qui offre l’avantage d’occulter le terme « arts premiers », « une formule qui, pour Stéphane Martin, relève de la boîte à outil des historiens de l’art, mais présente des ambiguïtés par rapport à l’histoire ». Enfin, pour parachever la saga des polémiques, le coût pharaonique de 232,5 millions d’euros – soit un dépassement de plus de 38 % par rapport aux 167,68 millions d’euros prévus en 1998 – a été logiquement vilipendé en des temps où de nombreux équipements voient leur dotation publique s’éroder d’année en année.

Un travail exemplaire sur les collections
C’est dans ce contexte parfois houleux que l’équipe scientifique s’est organisée pour mettre en œuvre le projet muséographique, piloté par Germain Viatte. Côté coulisses, un chantier colossal a été mené dès 2001 afin de procéder au récolement des 300 000 pièces de la collection, dont une partie a été restaurée. Sur cet ensemble, seules 3 500 œuvres seront exposées dans l’« espace de référence », divisé en aires géographiques (Afrique, Amérique, Asie, Océanie) et ponctué d’espaces thématiques transversaux. Son parcours sera fédéré par la « rivière », long serpent ondoyant entre les sections, qui offrira des installations multimédia adaptées aux déficients visuels et moteurs. Le reste des œuvres sera remisé dans les 6 000 mètres carrés de réserves accessibles aux chercheurs, le musée devant aussi assumer la mission d’un centre de recherche. La réserve des instruments de musique sera, pour sa part, logée dans une haute tour de verre permettant aux visiteurs d’en apercevoir le contenu. Les expositions internationales, dont la première est annoncée pour septembre, seront quant à elles présentées dans un espace en rez-de-jardin, lové dans une coquille de verre et d’aluminium. Le musée s’ouvrira donc avec trois expositions-dossiers montées à partir des collections : « Nous avons mangé la forêt. Georges Condominas au Vietnam », « Ciwara, chimères africaines » et « Qu’est-ce qu’un corps ? ». Enfin, à l’exemple du Centre Pompidou, le Quai Branly sera un espace culturel pluridisciplinaire, privilégiant l’ouverture et l’accessibilité au public. D’après Stéphane Martin, il devrait aussi être un « outil social et politique, permettant d’accéder à la problématique du monde non européen, par le truchement des collections ».
Pour l’heure, avant l’arrivée des premiers visiteurs, seuls les architectes, ingénieurs, ouvriers et jardiniers s’agitent autour du colosse d’acier conçu par Jean Nouvel. Désigné en juin 1999, l’architecte a souhaité faire de ce projet un musée « bâti autour de sa collection ». L’édifice a ainsi été fragmenté en quatre pôles fonctionnels : immeubles de gabarit classique abritant les ateliers de restauration, barre sur pilotis hébergeant le musée et coiffée d’une terrasse panoramique, bâtiment de verre pour le pôle de documentation, immeuble végétalisé logeant les bureaux. Mais son vœu de « dématérialisation sélective de l’architecture » semble être resté pieux face à la réalité d’un chantier contrarié par d’importantes difficultés techniques, dues notamment à la mise en étanchéité du site. Le résultat est celui d’un bâtiment qui, a contrario, affirme avec vigueur et arrogance sa présence en bord de Seine. Reste à savoir si, comme annoncé, les 18 000 mètres carrés de jardin conçus par Gilles Clément sauront adoucir les angles. « Les médecins enterrent leurs erreurs, les architectes plantent du lierre », aurait un jour déclaré, non sans acrimonie, l’architecte américain Frank Lloyd Wright.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°235 du 14 avril 2006, avec le titre suivant : Musée du quai Branly : J - 2 mois

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