Bibliophilie

Monument surréaliste chez Sotheby’s

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 30 janvier 2008 - 554 mots

La maison de ventes proposera le 20 mai le manuscrit du Manifeste du surréalisme
d’André Breton, estimé de 300 000 à 500 000 euros.

PARIS - C’est un grand coup que vient de faire Sotheby’s en décrochant, via Cyrille Cohen, vice-président de la maison, la vente du manuscrit original du Manifeste du surréalisme. Un coup d’autant plus fort que ce document fondateur, écrit par André Breton en 1924, est inédit sur le marché. Cédé le 20 mai par les héritiers de la première épouse du poète, Simone Collinet, née Kahn, il est estimé de 300 000 à 500 000 euros.
Écriture lisible, ratures maîtrisées, lecture aisée grâce au format in-folio. Ce chantre de l’automatisme garde la tête froide et fait preuve d’un grand sens de la synthèse. Initialement, le texte devait servir de préface à Poisson soluble, la grande expérience d’écriture automatique de Breton. En jouant sur un avant-propos théorique, le poète voulait éviter l’indifférence qui avait accompagné la publication des Champs Magnétiques. Mais au fil de la rédaction, la préface se mue en manifeste. Car Breton devait contrer les rivaux, Yvan Goll réclamant la paternité du mot surréaliste. Picabia lui disputait la direction du mouvement. Son ami Aragon avait, quant à lui, publié une sorte de manifeste avec Une Vague de rêve.
Pour gagner en sérieux, Breton utilise une présentation du type dictionnaire pour donner « une fois pour toute », la définition du surréalisme car « il est clair qu’avant nous, ce mot n’avait pas fait fortune ». Dans le texte, il salue ses amis, comme Paul Éluard ou Benjamin Péret, accueille même en son sein Chateaubriand, « surréaliste dans l’exotisme », ou Saint-John Perse, « surréaliste à distance ». On l’aura compris, Breton marque son territoire. Mais il fait mieux que cela. « Le Manifeste fait de l’histoire littéraire, comme avant lui Boileau avec l’Art Poétique, Hugo avec la Préface de Cromwell ou Proust avec Contre Sainte-Beuve », précise Thomas Bompard, spécialiste de Sotheby’s. Le poète dynamite le genre romanesque, otage selon lui de la description, et se paye de l’omniscience du narrateur. Le Manifeste est tout autant un manuel de méthodologie littéraire, où il exhorte à l’écriture automatique, qu’un projet de vie où « s’esquisse la vision d’un univers libéré de l’argent, de la compétition, de la résignation et de la crainte », comme l’écrit Marguerite Bonnet dans André Breton, naissance de l’aventure surréaliste. La vente comporte aussi le manuscrit de Poisson soluble, estimé 200 000 à 300 000 euros, ainsi que sept cahiers d’écriture automatique ou de poèmes collages. « Si l’on admet que le surréalisme est un mouvement collectif qui a dominé cinquante ans d’histoire artistique et littéraire, il est évident que ce premier manuscrit fondateur a une importance historique colossale », confie le collectionneur Paul Destribats. Ce fin connaisseur du surréalisme possède d’ailleurs trois feuilles manuscrites complémentaires, s’intégrant à l’édition originale d’octobre 1924 du Manifeste, deux collages, dont un inédit, ainsi que deux feuillets manuscrits additifs à Poisson soluble.
Sotheby’s n’a demandé qu’un passeport de sortie temporaire pour envoyer le manuscrit en exposition à Londres pendant les ventes de février. « Les acheteurs pour ce manuscrit sont Français », affirme Guillaume Cerutti, président de Sotheby’s France. La Bibliothèque nationale de France (BNF) pourrait sans doute se mettre sur les rangs, si tant est qu’elle trouve un mécène.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Monument surréaliste chez Sotheby’s

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