Montréal : l’esprit Lambert

Le CCA tourne une page

Le Journal des Arts

Le 18 décembre 1998 - 775 mots

Le Centre canadien d’architecture (CCA) aborde un nouveau chapitre de son histoire. Phyllis Lambert, son fondateur, en abandonnera la direction au printemps à Kurt W. Forster, universitaire et muséologue suisse, mais elle conservera la présidence du conseil d’administration. Doté de moyens importants, essentiellement privés, le Centre possède aujourd’hui l’une des plus grandes collections de dessins et d’estampes, de photographies, de livres et d’archives d’architecture.

“Si l’on considère l’histoire des musées d’architecture dans le monde, celui que je concevais était à inventer, rappelle Phyllis Lambert. J’ai voulu créer un espace entièrement voué à l’architecture, qui permette en même temps d’accueillir des collections, de développer un centre d’étude international et de diffuser le fonds de recherche par des expositions. Un défi qu’aucune institution n’avait eu les moyens de relever jusqu’alors”. Après avoir passé dix ans dans des bureaux, le CCA s’est installé en 1989 dans un ensemble composé d’une ancienne demeure restaurée et d’un bâtiment signé par l’architecte montréalais Peter Rose. Empreint de classicisme, le nouveau volume, tout en pierre grise de Montréal, ne laisse rien deviner de la présence de l’ancienne maison. Celle-ci, une des rares demeures montréalaises du XIXe siècle à montrer ses pièces magnifiques, est à la fois espace de réception et pôle d’attraction. De l’autre côté du boulevard qui la borde, se déploie un vaste jardin dessiné par l’artiste-architecte Melvin Charney.

“Le musée d’architecture est d’abord un musée d’idées, estime Phyllis Lambert, le produit final se trouve à l’extérieur. Les expositions en racontent la germination. Elles permettent au public de revoir la ville avec de nouvelles connaissances”. Depuis juin 1995, “Le Siècle de l’Amérique” explore l’influence de la culture architecturale de ce continent : ces expositions réalisées par un collectif international d’artistes, d’historiens, de critiques et d’anthropologues, ont accueilli environ 65 000 visiteurs chaque année. Le premier volet abordait la réaction, dès 1890, des architectes européens face aux modèles américains. Les deux suivants – consacrés l’un à Frank Lloyd Wright, l’autre à Olmsted sur le thème du paysage – révélaient davantage les attitudes ambivalentes des Américains face à la ville et à la nature. Pour F.L. Olmsted, trois photographes avaient reçu une commande du CCA pour rassembler plus de 900 images témoignant pour la première fois de la totalité de son œuvre. Le parcours de “L’architecture du réconfort : les parcs thématiques de Disney” s’inspirait directement de Disneyland et proposait un regard critique sur ses mythes. “Surface du quotidien : la pelouse en Amérique”, qui explorait une image emblématique de la civilisation américaine, a connu un très grand succès.

La réputation internationale du musée – il est subventionné à concurrence de 11,5 % par le gouvernement, mais tire ses ressources principales de fonds privés – repose aussi sur ses trésors. La collection de dessins et d’estampes s’échelonne de la fin du XVe siècle à l’époque contemporaine. Elle comprend 42 000 pièces, dont sept études, plume et encre, exécutées par le Cronaca à la fin du XVe siècle. La collection de 800 dessins, notes et photographies relatifs à l’œuvre de Mies van der Rohe est la plus importante après celle du MoMA. La bibliothèque rassemble 176 000 volumes et compte trois éditions du XVe siècle (des incunables) du seul traité d’architecture de l’Antiquité qui nous soit parvenu, De architectura de Vitruve. Commencée en 1974, la collection de photographies réunit plus de 50 000 pièces, datant de 1839 jusqu’à notre époque. Elle privilégie aujourd’hui le contemporain et passe régulièrement des commandes afin de favoriser l’interprétation de l’architecture. Enfin, le département des Archives conserve plus d’une centaine de fonds d’architectes et d’organisations. Aboutissement de longues années de préparation et aussi important que le musée aux yeux de Phyllis Lambert, le volet “centre d’étude et de recherches” du CCA vient de lancer la troisième édition de son programme d’accueil de chercheurs. “Ce programme est la garantie de notre volonté de poursuivre un travail de fond. J’adore travailler avec des équipes composées de chercheurs issus du monde entier”, déclare-t-elle. En deux ans, dix-sept scientifiques issus de dix pays en auront bénéficié. Destiné aux chercheurs et architectes qui poursuivent des recherches au niveau post-doctoral, il est surtout orienté vers des problématiques contemporaines. La promotion de la recherche ne coupe pas le Centre du grand public. Le succès du programme de conférences et d’activités, organisé parallèlement aux expositions, atteste que la fonction publique de l’architecture reste une priorité. Kurt Forster a clairement exprimé sa volonté de maintenir les grands axes de pensée qui régissent le CCA, dans l’équilibre insufflé par son fondateur.

LA PHOTOGRAPHIE ET LES TRANSFORMATIONS DE LA VILLE CONTEMPORAINE : VENISE-MARGHERA

Jusqu’au 25 avril, Centre canadien d’architecture (CCA), 1920 rue Baile, Montréal, Québec, tél. 1 514 939 7026, www.cca.qc.ca

Notre-Dame de la Restauration

Surnommée “Notre-Dame de la Restauration�? par les francophones, “Joan of Architecture�? par les anglophones, Phyllis Lambert est devenue une figure emblématique de Montréal. Née dans cette ville en 1927, formée en histoire et en littérature dans des universités américaines, installée à Paris dès 1949, rien n’annonçait son engagement total pour l’architecture. En 1954, son père Samuel Bronfman, un self-made man arrivé à la tête d’un empire financier (les alcools Seagram), lui propose de diriger la planification de l’édifice qu’il projette de construire à New York. Quittant la France, elle accepte, étudie le projet et propose à Ludwig Mies van der Rohe d’en être l’architecte. Passionnée par sa mission, elle s’attelle à l’étude de l’histoire de l’architecture et commence à collectionner les dessins d’architectes. Elle étudie l’architecture à Chicago et travaille sous la direction de Mies van der Rohe. Après avoir décroché son diplôme, elle participe avec succès comme architecte et consultante à divers projets. En 1971, à la mort de son père, elle revient à Montréal. Héritière d’une des plus grosses fortunes du Canada, elle décide de consacrer son énergie à la préservation du patrimoine urbain de sa ville natale. Les associations qu’elle fonde deviennent des instruments d’opposition et de réflexion dont les pouvoirs publics apprennent à tenir compte. Ses ressources donnent à cette multimillionnaire anticonformiste une grande liberté d’action, qui culmine dans sa décision de financer et d’édifier à Montréal un véritable musée d’architecture abritant le CCA dès 1989. L’arrivée prochaine de Kurt W. Forster, qu’elle a invité à prendre la direction du Centre, lui permettra de se consacrer à la préparation d’une importante exposition consacrée à Mies van der Rohe – prévue pour l’an 2000 au Whitney Museum, puis à Montréal –, tout en conservant la présidence du conseil d’administration du CCA.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Montréal : l’esprit Lambert

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