Belgique - Musée

ENTRETIEN

Michel Draguet : « J'ai été meurtri par ce déluge d’attaques violentes »

Ancien directeur général des Musées royaux des beaux-arts de Belgique

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 30 mai 2023 - 1176 mots

Le conservateur et universitaire (59 ans) a décidé de ne pas demander son renouvellement à la direction des Musées royaux des beaux-arts (MRBA) de Belgique qu’il occupait depuis 2005. Il s’en explique au Journal des Arts et expose les enjeux de ses nouvelles missions.

Michel Draguet. © Anaïs Jeanneret
Michel Draguet.
© Anaïs Jeanneret
Revenons sur la chronologie des événements qui ont provoqué votre départ…

Tout part d’une lettre envoyée fin novembre 2022, par trente-deux agents du service des publics du musée (mais de manière anonyme) au secrétaire d’État en charge de la politique scientifique qui est le ministère de tutelle des musées, faisant état d’un climat jugé anxiogène aux musées royaux, et d’une charge et des conditions de travail qui sont insupportables. Il est également reproché à la direction, composée de trois femmes et de moi-même, d’entretenir – je cite – « un climat de terreur ». Une deuxième lettre, qui n’est pas tout à fait la même, est envoyée quelques jours plus tard à la presse qui se saisit de l’information.

Les informations qui circulent parallèlement sur les réseaux sociaux sont-elles de même nature ?

Il s’agit plutôt d’une campagne délibérée orchestrée contre ma personne, une campagne diffamatoire visant à mon départ du musée. Les commentaires qui accompagnaient les articles de presse, le plus souvent anonymes ou rapportant des témoignages anonymes, prétendaient que je tenais des propos homophobes, racistes, sexistes, antiféministes et même anti-allemands !

Pourquoi dites-vous que cette campagne visait à vous écarter du musée ?

Parce que j’arrivais à la fin de mon troisième mandat et que se posait la question de mon renouvellement. Le président (c’est son titre en Belgique) de l’administration qui dirige la politique scientifique a alors ajouté un volet personnel à l’évaluation de mon bilan professionnel, procédant à plusieurs auditions d’agents du musée. Il m’a demandé de répondre à une liste de vingt-deux questions auxquelles j’ai répondu en mettant détails, citations, extraits de correspondance, agenda… J’ai aussi été auditionné par le président. Son rapport a conclu sur le plan professionnel que « j’avais satisfait aux attentes » et qu’au plan personnel rien ne m’était reproché. J’étais donc en droit d’être candidat à ma propre succession, ce que je n’ai pas fait, car je n’avais pas envie de poursuivre cette aventure commencée il y a dix-huit ans dans un tel climat. Je dois dire que j’ai été profondément meurtri par ce déluge d’attaques violentes.

Justement que répondez-vous à vos détracteurs ?

Je reconnais que la charge de travail au musée est très lourde, car nous avons dû composer avec une réduction de quasiment la moitié de nos effectifs qui sont passés en dix-huit ans de 397 personnes à 210, alors que dans le même temps nous avons multiplié le nombre d’expositions afin d’augmenter nos recettes. D’ailleurs, dès que nous avons pris connaissance de la lettre, nous avons lancé une enquête sur le bien-être de nos agents via un service de l’État.

Qu’en est-il des accusations d’homophobie ou de sexisme ?

En aucun cas et en aucune manière, je ne me livrerais à des actes ou des propos tant homophobes que sexistes ! Ces accusations sont diffamatoires et les différentes enquêtes menées n’ont, à aucun moment, permis d’en vérifier la véracité. Une fois encore, il m’est difficile de ne pas y voir une tentative de déstabilisation entreprise à quelques semaines de mon évaluation pouvant ouvrir la voie à un nouveau mandat… Pour autant, je n’entends pas épiloguer sur des éléments proférés de manière anonyme et qu’aucun fait ne vient appuyer. Si ces accusations ont rendu ces derniers mois particulièrement difficiles à vivre, j’ai continué à jouer mon rôle de directeur général jusqu’au dernier jour et ce, vis-à-vis de l’ensemble des membres du personnel. Je veillerai à ce qu’il en aille ainsi même si ma mission est désormais achevée.

La fermeture programmée du musée ajoute-t-elle de la tension ?

Oui, bien sûr, car nous devons, en plus de nos activités habituelles, préparer le déménagement des collections vers le Musée fin de siècle ; ce déménagement durera un an et va commencer l’an prochain.
Ces travaux indispensables (isolation thermique de la toiture, étanchéité des façades, mise aux normes…) ont été décidés au sortir du Covid-19 dans le cadre d’un vaste plan de rénovation des musées fédéraux et seront réalisés, si tout se passe bien, entre 2025 et 2028. Le Musée des beaux-arts sera donc fermé pendant trois ans. Le budget global initial est de 45 millions d’euros, découpés en trois phases. Le Musée Magritte, qui dépend des Musées royaux, est actuellement en travaux avant de devenir le point d’entrée de l’institution pour plusieurs années.

Vous avez donc quitté la direction des Musées royaux d’art et d’histoire (MRAH), quelles sont vos nouvelles missions ?

À la suite d’une procédure de recrutement au terme de laquelle j’ai été choisi, j’ai été chargé de coordonner la recherche de provenance dans les musées royaux, de repenser la localisation des collections et de préparer le bicentenaire de la naissance de la Belgique en 2030 – ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu des sensibilités politiques et linguistiques du pays. Je dépends directement du président auprès duquel j’exerce une fonction d’expert pour toute matière traitant du patrimoine culturel.

Où en est justement la recherche de provenance des biens culturels issus de la période coloniale dans les musées royaux ?

Aujourd’hui, chaque musée concerné organise ses propres recherches dans ses collections, à commencer par le Musée royal de l’Afrique central (Africa Museum à Tervuren). L’objectif de ma nouvelle mission est d’aider les musées dans la méthodologie, la démarche. Il ne s’agit pas de se substituer à eux, mais de les accompagner, sauf pour les musées qui n’ont pas les équipes pour le faire. Le cadre légal a été défini en septembre dernier par une loi-cadre – avant la France ! – qui définit le processus de restitution. Celui-ci démarre par une demande d’un État – à ce jour, la Belgique n’a reçu aucune demande formelle – qui déclenche une commission bilatérale chargée d’apporter un avis sur la « restituabilité » des œuvres. Sur la base de cet avis, le ministre compétent décide ou non de la restitution qui fait l’objet d’un arrêté royal.

Et s’agissant des spoliations par les nazis ?

Les MRBA ont restitué en avril un tableau de Lovis Corinth aux héritiers d’une famille juive. Il y a encore beaucoup de travail, par exemple pour les instruments de musique et pour les biens que leurs propriétaires ont été obligés de vendre entre 1933 et la fin de la guerre. Nous allons constituer une équipe de quatre chercheurs qui va étudier les demandes de restitution en appui des musées concernés. Contrairement à la France nous avons moins d’archives pour effectuer ce travail, notamment s’agissant des salles de ventes.

Qu’entendez-vous par « repenser les collections » ?

Je vais vous donner un exemple. La collection fédérale d’art australien et océanien a été coupée en deux dans les années 1960 à l’issue d’un troc – une moitié au Musée du Cinquantenaire et l’autre à Tervuren –, ce qui fait qu’elle n’est plus visible. Je vais donc m’attacher à proposer des redéploiements des collections lorsque cela a un sens entre les institutions muséales au sein des dix établissements scientifiques fédéraux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°612 du 26 mai 2023, avec le titre suivant : Michel Draguet, ancien directeur général des Musées royaux des beaux-arts de Belgique : « J‘ai été meurtri par ce déluge d’attaques violentes »

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