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ENTRETIEN

Max Hollein : « Au Met, tout est possible »

Max Hollein explique les enjeux et stratégies du Met de New York

Par Capucine Moulas, correspondante à New York · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2018 - 1777 mots

NEW YORK / ETATS-UNIS

Deux mois après sa prise de fonction à la direction du Metropolitan Museum of Art, Max Hollein se confie sur la situation économique du musée, les projets d’agrandissement et la place de l’art moderne et contemporain.

Max Hollein, directeur du Metropolitan Museum
Max Hollein, directeur du Metropolitan Museum
© photo Eileen Travell / Met Museum

New York. Le 10e directeur du Met a quitté cet été la Côte ouest, où il supervisait le Musée des beaux-arts de San Francisco depuis 2016. Connu et salué par ses pairs pour son management intransigeant, il a piloté un vaste programme de restructuration à San Francisco et encouragé l’introduction de l’art contemporain, après avoir conçu des programmations ambitieuses dans trois institutions de Francfort : la Schirn Kunsthalle, le Städel Museum et le Liebieghaus Skulpturensammlung. L’Autrichien âgé de 49 ans a reçu le JdA dans son bureau au cœur du bâtiment historique de la 5e Avenue.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris en arrivant à la direction du Met ?

Ma plus grande surprise, qui est très plaisante mais peut aussi être écrasante si vous ne la gérez pas correctement : chaque conversation que je peux avoir, que ce soit à l’intérieur de l’institution avec le personnel, avec les trustees, ou avec quelqu’un de l’extérieur, ouvre de nouvelles perspectives pour le Met. C’est un endroit extrêmement énergisant et vivifiant. Dans ces conversations, il faut presque se refréner pour rester concentré sur la mission et rechercher les opportunités les plus bénéfiques pour l’institution et nos publics. C’est une sensation plus forte dans cette institution que dans toutes celles pour lesquelles j’ai travaillé jusqu’ici : dans une certaine mesure, au Met, tout est possible et nous sommes connectés au monde de multiples façons. C’est une immense opportunité. Mais comme toute opportunité, c’est aussi un challenge.

Vous avez succédé à Thomas P. Campbell, qui a été critiqué pour avoir engagé des projets coûteux à un moment où les finances du Met déclinaient. Quel est votre diagnostic sur la situation actuelle du musée ?

Je tiens tout d’abord à dire que ces problèmes ont été pris en compte par Daniel Weiss, le président-directeur général, depuis près de deux ans maintenant. Cette institution a traversé un processus de remaniement budgétaire. Cela étant dit, il faut prendre ces défis financiers avec sérieux – c’est ce que nous faisons –, mais il faut aussi les mettre en perspective. Je pense qu’il y a beaucoup de musées qui aimeraient connaître ce genre de défis. C’est-à-dire que notre déficit total est actuellement de 10,4 millions de dollars pour un budget opérationnel qui s’élève tout de même à plus de 300 millions de dollars. Donc si vous regardez les proportions, c’est un problème qu’il est possible de régler. Le Met fonctionne et rayonne. D’un point de vue extérieur, je n’ai jamais perçu de crise d’aucune sorte. Si vous considérez n’importe quel indicateur, que ce soit la fréquentation, la programmation, les projets à l’extérieur, le Met est une institution à part. Très peu d’institutions financent et dirigent des sites de fouilles dans des pays étrangers, par exemple. Le Met réalise aussi actuellement plusieurs vastes projets d’investissement. Nous venons de rénover toutes les verrières pour un budget total de 170 millions ; nous refaisons nos galeries britanniques, ce qui représente également un budget considérable. Ce n’est pas comme si le musée se limitait. Il s’agit d’une institution en pleine activité qu’il faut parfois gérer pour que tout s’aligne. En raison de l’ampleur de ces projets, il se produit parfois des dérapages. Nous sommes en ce moment dans une période de réorganisation, ce qui signifie que l’on regarde toutes les opérations pour identifier ce qui est réellement important pour l’institution, ce que l’on veut développer, faire avancer, et la bonne façon d’y arriver.

Au mois de septembre, vous avez annoncé que le Met envisageait de quitter le bâtiment du Breuer en 2020, en faveur de la Frick Collection. Qu’est-ce qui a motivé ces négociations ?

Il y a eu un premier plan pour agrandir l’aile sud-ouest du Met, associé à un certain budget, que l’institution a finalement abandonné car ce n’était pas prudent de développer un projet de cette ampleur. Il ne s’agit pas seulement de la construction de l’aile sud-ouest, mais aussi de nombreuses rénovations, améliorations des infrastructures, etc. Au cours de ces deux derniers mois, nous avons réévalué ce projet en particulier et ce que nous voulions en tirer. Créer davantage de galeries pour l’art moderne et contemporain est une priorité, mais ce plan ambitieux doit rentrer dans un budget juste et prudent.

Le quotidien « The New York Times » a évoqué un budget de 500 millions de dollars pour les travaux de l’aile sud-ouest. Confirmez-vous ce chiffre ?

Nous ne sommes pas encore en mesure de mettre un prix sur ce projet ou même d’en dire davantage. Je suis là depuis seulement deux mois et nous commençons à peine à revoir les plans avec David Chipperfield [l’architecte désigné par le Met en 2015 pour dessiner les plans d’extension, NDLR]. Je confirme que nous avons lancé une analyse de la valeur et nous allons certainement faire avancer le projet, mais cette première phase devrait durer encore deux ou trois mois.

Cette aile sera destinée à l’art moderne et contemporain. Pourquoi cela vous semble-t-il important de faire entrer ces collections au Met ?

Premièrement, les artistes modernes et contemporains ont toujours fait partie du Met et de sa logique. Il n’a jamais été question, comme pour le Louvre, de déterminer une date à partir de laquelle nous arrêterions de collectionner les œuvres. Deuxièmement, si vous regardez la définition de l’art moderne selon un point de vue européen ou occidental, on peut dire pour simplifier qu’il s’agit d’œuvres d’art créées après 1850. Maintenant, si vous vous rendez dans nos galeries africaines ou asiatiques, vous serez surpris de voir la quantité d’objets qui datent de 1880, 1910, 1920, 1930 et plus encore. Nous avons déjà de l’art moderne et contemporain partout à travers le musée, mais on ne le voit pas toujours. Je pense que la question clé, surtout si l’on crée ou rénove des infrastructures, serait : quelle nouvelle approche le Met peut-il apporter dans une ville qui est déjà très riche en institutions culturelles consacrées à l’art moderne et contemporain ? Je dirais que nous avons déjà répondu en partie à cette question avec la programmation du Met Breuer. Le Met a la capacité de créer des correspondances et des dialogues entre l’art contemporain et l’art du passé, d’une façon qui se distingue des autres structures ici. J’ai toujours fait partie d’institutions qui ont une relation très forte à l’art moderne et contemporain. Ce que je trouve très intéressant sur le plan de la programmation comme de la collection, c’est justement de créer un contexte et de raconter une histoire différente de la logique habituelle des institutions centrées seulement sur l’art moderne et contemporain. Ces histoires sont souvent plus intéressantes, plus audacieuses et parfois même plus ludiques.

Plus largement, quels sont les principaux challenges d’un musée de cette envergure aujourd’hui ?

Ce qui est vrai d’une manière générale pour les musées, et l’est probablement encore plus pour le Met, c’est qu’il faudra fournir un effort continuel. Les musées sont des institutions particulièrement complexes. La grande différence entre un musée et, par exemple, une salle de concert ou un opéra, c’est que le musée – particulièrement lorsqu’il est encyclopédique comme le Met – est par définition une institution grandissante. J’aime rappeler que le Met a été fondé en même temps que le Carnegie Hall, une salle de concert qui est toujours restée dans le même périmètre physique et qui assure sa programmation plus ou moins de la même façon. Pour rester pertinent, le Met doit continuer de grandir, au travers de ses collections et d’autres projets. Les musées portent en eux une sorte de gène de croissance qui se traduit par un défi opérationnel constant. J’ai toujours été fasciné par ces aspects programmatique et managérial. C’est en prenant les deux en considération que l’institution sera bien gérée. Un autre challenge spécifique au Met : pour beaucoup de gens, cette institution représente un idéal de musée. Quand j’ai été nommé directeur du Met [en avril 2018, NDLR], j’ai reçu de nombreux e-mails de félicitations. Une partie de ces messages venaient d’Autriche dont je suis originaire et d’Allemagne où j’ai travaillé. Beaucoup de gens m’ont écrit que le Met était leur musée préféré alors que je savais que certains d’entre eux ne sont venus à New York que deux fois dans leur vie et qu’ils n’ont probablement visité le musée qu’une fois. Ils considèrent pourtant que ce musée représente leurs valeurs, leurs idées, leurs cultures. Le Met joue un rôle pour la communauté internationale et notre challenge est non seulement d’être à son service, mais aussi d’interagir avec elle. Nous pouvons être fiers d’avoir probablement les meilleures collections en provenance de beaucoup de régions et de cultures différentes. Cela représente aussi une grande responsabilité.

Avez-vous l’impression que les prêts d’œuvres importantes sont de plus en plus réservés à une poignée de grands musées dans le monde ?

Je ne pense pas. Au début de ma carrière, j’ai été le directeur de très petites institutions et nous avons mené un programme très ambitieux. Je pense en particulier au Musée Städel [à Francfort-sur-le-Main]. Nous étions loin d’être la plus grande institution d’Allemagne, mais nous avons été capables de maintenir l’une des programmations les plus actives, et certainement l’une des plus reconnues. J’ai découvert que si vous avez des idées intéressantes et une programmation authentique, c’est-à-dire qui apporte quelque chose à la communauté artistique, qui est surprenante mais aussi substantielle, l’institution qu’elle soit grande ou petite, vous soutiendra avec des prêts. Le Met l’a toujours fait et nous ne faisons pas la différence entre une très grande, grande ou petite institution. Ce ne sera certainement pas le cas sous ma direction.

En 2013, vous aviez été retenu parmi les personnalités pressenties au poste de directeur du Musée national d’art moderne à Paris. Vous avez finalement décidé de renoncer à cette proposition. Ce poste à la direction du Met est-il une revanche ?

J’ai été sincèrement reconnaissant au Centre Pompidou pour l’intérêt qu’il m’a porté et je pense que l’institution est désormais très bien dirigée. Je ne veux pas rentrer dans les détails, mais cette nomination n’a finalement rien donné. Il faut parfois que toutes les planètes s’alignent pour que quelque chose se produise. Cela a été le cas ici, au Met, et cela n’a pas été le cas à l’époque, sans que ce soit la faute de qui que ce soit. Je suis quelqu’un qui structure clairement la direction que doit prendre, à mon sens, une institution et il faut que mon idée soit en accord avec cette institution.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°509 du 19 octobre 2018, avec le titre suivant : Max Hollein « Au Met, tout est possible »

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