Martine Aballéa, Lætitia Benat, Gianni Motti, Claude Lévêque, Emmanuelle Mafille, Xavier Veilhan : Mais quels sont les musées préférés des artistes ?

Six créateurs nous parlent de leur institution de prédilection

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 29 juin 2001 - 1785 mots

Quel est votre musée de prédilection ? Nous avons posé cette question à six artistes qui nous détaillent leurs institutions préférées, celles qui les passionnent, les étonnent ou les émeuvent. Ils nous parlent ensuite des influences que ces musées et les œuvres qu’ils conservent peuvent avoir sur leur propre production plastique.

Martine Aballéa
Quel est votre musée de prédilection et pourquoi ?
C’est la collection Blaschka de fleurs en verre, au Musée botanique de l’université de Harvard, à Cambridge, aux États-Unis.
Ce musée est assez inattendu. On y trouve des milliers d’espèces végétales différentes, réalistes jusque dans les moindres détails. Elles ont été réalisées par un maître verrier en Bohème pour fournir une documentation impérissable sur la flore. Ce travail s’est poursuivi sur une période d’une quarantaine d’années. En les voyant, il est difficile de croire que ces fleurs ne sont pas réelles. Elles sont magnifiques. C’est fascinant.

Est-ce que ce musée est une source d’inspiration dans votre travail ?
C’est vrai que j’ai réalisé des végétaux en verre, mais les miens ne constituent pas une documentation sur la flore. Ce sont de véritables mutants.
- Martine Aballéa (*1950) expose du 7 juillet au 22 octobre 2001 dans “Ambiance magasin”, abbaye Saint-André, Meymac (Corrèze).

Lætitia Benat
Quel est votre musée de prédilection et pourquoi ?
C’est le Musée Guimet. Pas celui des arts asiatiques à Paris, mais celui d’histoire naturelle à Lyon, boulevard des Belges, dans le 6e arrondissement. C’est celui-ci que je préfère parce qu’il est lié à des souvenirs d’enfance et de pré-adolescence. À cette époque, je me rappelle que les musées étaient gratuits tout le temps. J’avais pris l’habitude d’y aller régulièrement. Il se trouve que le Musée Guimet est près du parc de la Tête d’Or où je me rendais aussi très souvent. Je me souviens que j’allais dans ce parc pour essayer de me perdre... même si, ayant déjà exploré tous ses coins et ses recoins, je le connaissais par cœur ! Quant au Musée Guimet, je m’y rendais parce que j’y ressentais quelque chose comme une évidence de la mort à travers les animaux empaillés, les sarcophages... J’essayais d’avoir peur.

Est-ce que ce musée est une source d’inspiration dans votre travail ?
Ce musée n’est peut-être pas une source directe d’inspiration dans mon travail mais, avec le parc de la Tête d’Or, il traduit mon intérêt à toujours vouloir déceler autre chose dans la réalité. Qui plus est si cette “réalité” est agencée par des codes, des légendes, des vitrines.
- Lætitia Benat (*1971) expose à partir de septembre dans “Images au centre”, Château d’Azay-le-Rideau (Indre-et-Loire).

Gianni Motti
Quel est votre musée de prédilection et pourquoi ?
Je n’aime pas particulièrement les musées. Mon musée préféré, c’est en fait la ville, le monde... Mais s’il faut en citer un dans lequel je me sens à l’aise, c’est le Mamco, à Genève. Ce musée ne ressemble à aucun autre. Quand Christian Bernard a été mandaté pour le créer, il a commencé les mains vides et son mérite a été de remettre en question les idées reçues sur l’art et le musée. La création du Mamco a donné une impulsion à l’art contemporain suisse et européen, en cassant le modèle allemand et le modèle du musée en général qui se veut un lieu lourd et héroïque. Ce que j’aime au Mamco, c’est sa structure souple et légère, en constante évolution. Les œuvres et les artistes y entrent comme ils en sortent, donnant au lieu un dynamisme et une instabilité liés aux problématiques de l’ère actuelle. J’adore me promener à travers toutes ces petites salles, un peu comme dans un labyrinthe. C’est un musée qui paraît plus grand que ce qu’il n’est vraiment. Il faut aussi souligner la présence des fiches sur les artistes qui sont mises à jour régulièrement et que l’on peut emporter.

Est-ce que ce musée est une source d’inspiration dans votre travail ?
Un rien peut m’inspirer. Mes idées surgissent toujours à l’improviste. Je ne sais pas d’où elles viennent... Mais c’est vrai que quand je rencontre Christian Bernard et son équipe, on parle souvent de projets.
- Gianni Motti (*1958) expose du 21 juillet au 30 septembre dans “The Happy Face of Globalization”, Museo Civico d’Arte Contemporanea, via dell’Oratorio, Albissola (Savona), Italie.

Claude Lévêque
Quel est votre musée de prédilection et pourquoi ?
En France, c’est le Musée d’art moderne de la Ville de Paris : un lieu historique pour l’expérimental puisque avant tout le monde, on y a montré des artistes vraiment importants aujourd’hui. C’est une chance qu’il y ait un lieu comme celui-là à Paris. Sans cela, on ne serait que dans de la vitrine. J’ai l’impression que sans ces gens plutôt combatifs, il n’y aurait que de l’art moderne à Paris. J’aime bien les espaces du musée même s’ils ne sont pas faciles parce qu’on y trouve toutes les contraintes des lieux très grands. Et, bien qu’on ne puisse pas intervenir dans les sous-sols, ils sont sublimes et eux aussi gigantesques. Ils se poursuivent jusque sous les bassins. J’aime beaucoup l’esprit d’un autre lieu : Le Creux de l’Enfer, à Thiers. Là aussi, une quantité d’artistes importants y ont travaillé. C’est un lieu à l’architecture très forte et au contexte particulièrement puissant, lié à l’histoire du bâtiment, une ancienne coutellerie, mais aussi à sa condition géographique. Il se trouve au bas de la ville, surplombant un torrent, au fond d’une gorge. L’eau émet un son qui se diffuse partout où l’on se trouve dans les espaces.  “Le Creux de l’Enfer” était l’appellation de ce coin de la gorge et, à l’époque de la coutellerie, il y avait un diable sur la façade qui a été depuis retiré. C’est un lieu qui a une énergie forte.
Est-ce que ces lieux sont une source d’inspiration dans votre travail ?
Oui, des éléments dynamiques m’ont vraiment intéressé quand j’ai fait mon exposition à Thiers l’été dernier. C’est un bâtiment qui a été rénové et qui a été aménagé en salles d’expositions. Mais on a laissé à l’intérieur certains témoignages de son histoire. On y trouve donc quelques éléments industriels, mais c’est juste ce qu’il faut pour éviter que ça ne fasse trop “protection du Patrimoine” ! Ce n’est pas un espace facile, il est complètement angulaire et sur deux niveaux... Il y a des éléments à développer par rapport à l’énergie qui s’en dégage, l’histoire du lieu, la complexité de l’espace.
- Claude Lévêque (*1953) expose jusqu’au 29 juillet à la Fondaciò Joan-Mirò, Parce de Montjuïc, Barcelone.

Emmanuelle Mafille
Quel est votre musée de prédilection et pourquoi ?
C’est le Museum of Jurassic Technology qui se trouve à Culver City, près de Los Angeles. Je l’ai visité dernièrement lors de ma résidence artistique à Los Angeles. C’est le musée des mystères de la vie. Un lieu incroyable, burlesque et complètement absurde qui rappelle l’univers de Tim Burton. Il y règne une ambiance très particulière, proche de la sorcellerie et des sciences. Tout est présenté dans la pénombre. L’architecture n’a rien d’extraordinaire, mais ce qui est présenté est complètement fou. Il y a des animaux empaillés... Parmi les choses qui m’ont marquée se trouve par exemple une salle consacrée aux maladies psychologiques : on peut y voir la poudre du crâne d’un malade atteint de schizophrénie. C’est simplement de la poudre blanche, du crâne broyé. Il y a aussi de tout petits personnages humains que l’on peut voir en passant un simple peigne au microscope. À chaque fois, les choses sont accompagnées d’explications totalement absurdes. La salle sur le thème du voyage propose par exemple une ambiance de gitans. On n’arrive pas à savoir de quoi parle vraiment ce musée à l’ambiance mystique. Derrière tout ça, il y a toute une histoire qui a l’air inventée de toutes pièces mais qui remonterait au XVIIIe siècle.

Est-ce que ce musée est une source d’inspiration dans votre travail ?
J’ai vu deux lieux qui m’ont beaucoup inspirée : le Museum of Jurassic Technology et un autre à la fois absurde et drôle, le Magic Castle à Los Angeles, un musée des tours de magie à l’ancienne. Comme le Jurassic Technology, le Magic Castle est un lieu très gothique.
- Emmanuelle Mafille (*1969) expose jusqu’au 28 juillet à la galerie Art : Concept, 16 rue Duchefdelaville, 75013 Paris.

Xavier Veilhan
Avez-vous un musée de prédilection et pourquoi ?
J’essaie de me souvenir de mes émotions les plus fortes dans un musée. Je pense que c’est à la Frick Collection, à New York. C’est un musée qui se trouve à côté du Guggenheim Museum. La collection d’un privé y est exposée, dans un hôtel particulier. C’est un musée à taille humaine qui se consacre plutôt aux œuvres du XVIIe et XVIIIe siècles. Il commence avec un artiste comme Vermeer – et peut-être même y a-t-il des œuvres antérieures à Vermeer... Les pièces les plus récentes datent probablement du XIXe siècle. Un autre musée me touche énormément, c’est la Villa Borghèse, à Rome, où l’on peut avoir la surprise de découvrir un Caravage derrière une porte ! J’aime aussi beaucoup le Louvre. Surtout les grandes peintures d’histoire, par exemple la salle des David où est présenté Le Sacre de Napoléon, ou la salle des Géricault... J’aime aussi beaucoup le Prado à Madrid parce que j’adore Vélasquez. C’est un grand musée mais, une fois de plus, il est à taille humaine.
Est-ce que ces musées sont une source d’inspiration dans votre travail ?
Non, ce qui m’intéresse dans les musées est plutôt lié à la qualité des œuvres et de leur présentation. Tout ce qui fait, que finalement l’on puisse vraiment être touché. Ce n’est pas une question d’inspiration, mais plutôt d’émotion. Je n’ai jamais vraiment l’impression d’être inspiré. Comme tout le monde, je vais au musée pour consommer. Je ne m’inspire pas des œuvres. Je suis touché par la peinture, la sculpture, l’architecture aussi... par la bibliothèque de Michel-Ange à Florence ou les tableaux d’Urbino... Je m’intéresse beaucoup à la peinture d’histoire ou à la peinture religieuse des XVe et XVIe siècles, à toutes les œuvres que l’on peut voir à Sienne ou à Florence... 
- Xavier Veilhan (*1963) expose à partir de septembre 2001 à la Fondaciò Joan-Mirò, Parce de Montjuïc, Barcelone. La Plage, série de posters limités à 500 exemplaires (100 F), Édition Bookstorming, est disponible sur le site www.bookstorming.com
 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Martine Aballéa, Lætitia Benat, Gianni Motti, Claude Lévêque, Emmanuelle Mafille, Xavier Veilhan : Mais quels sont les musées préférés des artistes ?

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