Photographie

Mapplethorpe sulfureux n’est pas maudit

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 19 février 2014 - 884 mots

Certains photographes, comme l’Américain Robert Mapplethorpe qui sera bientôt exposé au Grand Palais et au Musée Rodin à Paris, possèdent tous les « ingrédients » qui font l’artiste « maudit ». Mais en photographie, la catégorie semble ne pas exister. Du moins, pas encore…

On a dit beaucoup de choses sur Robert, et on en dira encore. Des jeunes hommes adopteront sa démarche. Des jeunes filles revêtiront des robes blanches pour pleurer ses boucles. Il sera condamné et adoré. Ses excès seront maudits ou parés de romantisme. À la fin, c’est dans son œuvre, corps matériel de l’artiste, que l’on trouvera la vérité », écrit Patti Smith en préambule de son livre Just Kids (Denoël). Alors que le Grand Palais se prépare à accueillir, le 26 mars, la première grande rétrospective en France du photographe américain sous la conduite de Jérôme Neutres, et avec la complicité de la Fondation Robert Mapplethorpe à New York, ses quelques lignes reviennent en mémoire. Maudits, ses excès le furent déjà de son vivant par les ultraconservateurs des États-Unis qui tentèrent de faire interdire ses expositions. Les polémiques autour de ses photographies de nus et pratiques sadomasochistes ont nourri nombre de diatribes, dont celles du sénateur Jesse Helms qui partit en croisade pour réformer les critères d’attribution des fonds en faveur d’un art plus politiquement correct. Censures, controverses, mort prématurée et violente – Mapplethorpe fut fauché à 42 ans par le sida –, le célèbre photographe américain cristallise autour de son nom et de son œuvre quelques-uns des ingrédients qui font les « maudits ».

Le fut-il pour autant ? « Aucunement », rétorque sans hésitation Jérôme Neutres. « Dès le début il n’est pas seul, et il a de l’ambition. Les rencontres avec John McEndry, conservateur du département des Estampes et photographe du Metropolitan Museum, puis avec Sam Wagstaff ont été déterminantes dans sa production et sa carrière. » Et Christian Caujolle, qui a connu le photographe, d’abonder dans ce sens : « Des attitudes moralistes ont pu entraîner des censures de ses expositions ou qu’on veuille le faire. Mais il a été immédiatement reconnu, beaucoup exposé et a eu du succès », rappelle le critique. « S’il devait y avoir un maudit en photographie, le premier – et le dernier – serait Bayard, bien que le terme de maudit n’ait jamais été accolé à son nom », souligne Michel Poivert, professeur à l’Université Paris I. Le 18 octobre 1840, dans son Autoportrait en noyé, Hippolyte Bayard (1801-1887) se met en scène après que François Arago n’eut parlé dans son discours à l’Académie des sciences que de la découverte de Daguerre sans faire mention de son procédé sur papier. Par ce cliché devenu célèbre, Bayard fixe son image d’inventeur et d’auteur « maudit », même si, dix jours après l’intervention du scientifique et député, le 14 juin 1839, Bayard exposera ses épreuves chez des commissaires-priseurs sans réussir à « freiner l’engouement pour Daguerre, dont le procédé est révélé à la France, puis au monde, le 19 août 1839 », comme le racontent, dans l’ouvrage Controverses, Daniel Girardin et Christian Pirker. « Il reste que, de son vivant, Bayard a été reconnu et ses images montrées », mentionne Michel Poivert.

Un médium qui s’est développé en marge de la peinture
À la différence de la peinture, de la sculpture ou de la littérature, la photographie serait exempte d’auteurs maudits ? « Le médium a résisté à cette catégorie, car l’histoire de la photographie est jeune. Elle n’a pas suivi l’histoire de l’art », répond Michel Poivert. Et l’historien de l’art de rappeler que « la notion d’artiste maudit est accolée au romantisme, au XIXe siècle. Or le médium est né avec le romantisme, et ce dernier meurt au moment où la photographie se développe. » Chercheur, enseignant, historien et théoricien de la photographie, Michel Frizot l’explique également par « le fait que jusqu’à une période récente, les photographes n’étaient absolument pas considérés comme artistes », et ne se définissaient pas davantage comme tel ni ne parlaient de chef-d’œuvre pour parler d’une image. « Des photographes comme Le Gray ou Atget par exemple ne se sont jamais qualifiés de photographes incompris. À la différence de la peinture, le médium s’est développé sans chercher de reconnaissance académique », dit-il. « La photographie n’a eu que tard, dans les années 1980, la place qu’elle méritait au sein des arts », constate Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Élysée à  Lausanne. « C’est donc toute une discipline qui n’a pas eu pendant fort longtemps accès à une reconnaissance. Ces acteurs ne pouvaient donc pas être dans une posture d’artiste maudit. Si on voulait faire une pirouette, on pourrait dire que la photographie elle-même a été maudite ! »

« Mapplethorpe-Rodin »
du 8 avril au 21 septembre 2014. Musée Rodin, Paris. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 17 h 45. Nocturne le mercredi jusqu’à 20 h 45.
Tarifs : 9 et 7 €. Commissaires : Hélène Pinet, Judith Benhamou-Huet et Hélène Marraud.
www.musee-rodin.fr

« Robert Mapplethorpe»
du 26 mars au 13 juillet 2014. Galeries nationales du Grand Palais. Ouvert du mercredi au samedi de 10 h à 22 h, le dimanche et lundi de 10 h à 20 h Tarifs : 12 et 9 €.
Commissaire : Jérôme Neutres.
www.grandpalais.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°666 du 1 mars 2014, avec le titre suivant : Mapplethorpe sulfureux n’est pas maudit

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