Musée - Société

Chronique

Mac/Val : le singulier creuse son sillon

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 14 novembre 2018 - 574 mots

À son ouverture, le 18 novembre 2005, beaucoup prédisaient l’échec, en banlieue parisienne, de ce « musée inutile ».

Treize ans plus tard, avec « Persona grata. L’art contemporain interroge l’hospitalité », le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne (Mac/Val) continue à faire entendre sa voix originale et démontre pleinement la légitimité de son projet.

Questionner l’hospitalité est périlleux, alors que l’arrivée massive de « migrants », souvent dans des conditions tragiques, provoque empathie ou rejet, joutes idéologiques sur le rôle de l’Europe, refuge ou forteresse. Pour y répondre, le Mac/Val s’est associé à un établissement différent, un musée de société : celui de l’histoire de l’immigration. Résultat : une vaste exposition, réunissant plus de quatre-vingts artistes, dans les deux lieux, à Vitry-sur-Seine et à Paris, au Palais de la porte Dorée (1). Les œuvres sont très diverses, souvent polysémiques, parfois allégoriques, rarement en référence directe à l’actualité.

L’exposition répond à un défi lancé à l’Europe pour de nombreuses années, mais n’est pas un prétexte conjoncturel pour le Mac/Val. D’abord parce que Vitry-sur-Seine (93 000 habitants) vit une large mixité sociale, en accueillant depuis des années une immigration postcoloniale. Ensuite parce que l’hospitalité scelle la fondation du Mac/Val. Celui-ci est consacré à « l’art en France, des années 1950 à nos jours ». Ainsi, à Vitry, le visiteur croise Martin Barré, Raymond Hains, François Morellet, Gina Pane comme Stéphane Calais, Sylvie Fanchon, Claude Lévêque, Gérard Traquandi mais aussi Hicham Berrada, Mona Hatoum, Kimsooja, Charlotte Moth, Anri Sala… Des artistes nés ou travaillant dans une France hospitalière, parfois réfugiés ou en résidence, qui forment une collection singulière dont le nombre d’œuvres dépasse les 2 200 numéros et est régulièrement exposée par roulement. Ainsi, pour « Persona grata », le Mac/Val y puise largement. Ce principe de « l’art en France » – qui rapproche le musée de Vitry du Withney Museum, à New York, se focalisant sur la scène américaine – assure au visiteur la fraîcheur vivifiante d’un autre paysage que la cohorte des big names, répétant un contemporain standard.

Ce précepte s’exerce, notamment, par le choix de doter le Mac/Val, dès sa construction, de deux ateliers-studios. S’y sont succédé une vingtaine d’artistes qui, souvent, ont offert des œuvres (Shilpa Gupta, Pedro Reyes, Mikhael Subotzky…) ou les ont cédées à leur coût de production. En outre, la conservatrice en chef, Alexia Fabre, et son équipe mènent une politique d’acquisition anticipatrice, plaçant souvent le Mac/Val en premier acquéreur pour un artiste entrant dans une collection publique, avant que les prix des artistes n’enchérissent. Clément Cogitore vient d’être couronné du prix Marcel Duchamp, le Mac/Val en a acquis photographies et films dès 2016. De même, Kader Attia, Melik Ohanian, Julien Prévieux sont entrés dans la collection à leurs débuts, avant l’obtention pour chacun d’eux de cette récompense. Tatiana Trouvé, artiste italienne résidant à Montreuil (Seine-Saint-Denis), bénéficie actuellement d’une exposition phare à la galerie Kamel Mennour. En 2012, elle faisait un don au Mac/Val.

Celui-ci a besoin de donations, car son budget d’acquisition plafonne à 430 000 euros depuis 2013, contre 636 000 euros auparavant. C’est le seul reproche que l’on pourrait adresser à la majorité communiste du Département, qui a soutenu mordicus le Mac/Val avant même sa naissance, alors que l’opposition voulait en faire une annexe du Centre Pompidou. C’était ne rien comprendre à ce « musée inutile », fréquenté déjà par 85 461 visiteurs en 2017 et qui sera, dans deux ans, à portée de Paris, en tramway. Un atout sonnant aussi comme un nouveau défi.

(1) jusqu’au 20 janvier 2019.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°511 du 16 novembre 2018, avec le titre suivant : Mac/Val : le singulier creuse son sillon

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