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Les Tournesols dans la bataille

Yasuda ne douterait pas de l’authenticité du tableau

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 5 juin 1998 - 1188 mots

Le symposium sur Van Gogh, organisé le 15 mai à la National Gallery de Londres, a constaté les divergences entre experts sur l’authenticité de la version des Tournesols appartenant à la compagnie d’assurances Yasuda. Pourtant, d’après nos informations, la société japonaise n’aurait aucun doute sur ce tableau, et les rumeurs récemment diffusées dans la presse sur l’éventualité d’une action en justice contre Christie’s seraient dénuées de tout fondement. La proposition de transférer la toile de Tokyo à Londres pour l’authentifier a été abandonnée, et son étude en profondeur est reportée à 2002.

LONDRES (de notre correspondant) - Il y a un mois, on espérait encore que la compagnie Yasuda expédierait son tableau à la National Gallery afin qu’il soit confronté à la version londonienne : les Tournesols du musée de Londres ont été peints en août 1888, et ceux de Tokyo en seraient une copie, exécutée par l’artiste cinq mois plus tard. L’étude comparative des deux œuvres devait permettre de trancher les querelles sur l’authenticité du tableau appartenant à Yasuda, acheté 24,75 millions de livres sterling (240 millions de francs) chez Christie’s en 1987.

L’année dernière, le Musée Van Gogh d’Amsterdam avait appuyé la proposition de Londres en offrant l’assistance de ses experts et en acceptant de prêter ses propres Tournesols à la National Gallery. La version d’Amsterdam date elle aussi de janvier 1889, elle fournirait donc un bon élément de comparaison pour le tableau de Yasuda. Comme ceux de Londres, l’histoire des Tournesols d’Amsterdam remonte à la famille même de Van Gogh, et leur authenticité ne fait aucun doute.

Un terrain neutre
Non seulement la National Gallery possède d’excellents équipements pour un travail scientifique, mais elle est considérée comme un terrain plus “neutre” par les critiques extérieurs. En effet, le Musée Van Gogh construit à l’heure actuelle une extension de ses bâtiments grâce à une donation de 37 millions de florins par Yasuda – un accord conclu avant même que l’authenticité des Tournesols “japonais” ait été remise en cause. Bien que l’intégrité de la direction du Musée Van Gogh soit au-dessus de tout soupçon, un examen par la National Gallery devrait couper court à toute contestation des résultats.

Yasuda a longtemps paru disposée à accepter les propositions de Londres, bien qu’aucun arrangement formel n’ait été trouvé. En novembre 1997, il semblait pourtant que l’examen des trois versions des Tournesols aurait bien lieu à la National Gallery. Il devait être suivi par une exposition, centrée sur les trois Tournesols.

Malheureusement, le débat international s’est intensifié ces derniers mois au sujet de la toile japonaise, et Yasuda s’est inquiétée d’une focalisation de l’attention sur l’examen de Londres ; elle avait l’impression qu’on allait faire passer son tableau en jugement. Il faut souligner que Yasuda n’a toujours au­cun doute sur l’authenticité de ses Tournesols. Les ru­meurs récemment répandues dans la presse sur l’éventualité d’une action en justice contre Christie’s sont apparemment dé­nuées de tout fondement.

Après que Yasuda eut exprimé ses préoccupations sur la proposition de Londres, il a été suggéré que ses Tournesols pourraient être présentés dans une exposition consacrée à Van Gogh et Gauguin, où le tableau serait vu dans un contexte plus vaste. Cette exposition se tiendra d’abord à l’Art Institute de Chicago (septembre 2001-janvier 2002), puis au Musée Van Gogh d’Amsterdam (février-juin 2002). “Cette exposition Van Gogh-Gauguin paraît être le cadre le plus approprié pour examiner les différentes versions des Tournesols”, a expliqué John Leighton, directeur du Musée Van Gogh.

Reste que les Tournesols de la National Gallery ne sont pas en assez bon état pour faire le voyage de Chicago, de sorte que la comparaison avec le tableau de Yasuda aura vraisemblablement lieu au Musée Van Gogh en 2002, Londres ayant accepté de prêter son tableau à Amsterdam. Bien que Yasuda semble d’accord sur le principe, John Leighton admet que la venue du tableau de Tokyo dépendra, en dernier ressort, de son état de conservation. “Il faut examiner le tableau. Je suis incapable de dire, à l’heure actuelle, s’il est ou non en état de voyager”, a-t-il déclaré.

Depuis, nous sommes en mesure d’annoncer que les conservateurs du musée d’Amsterdam ont examiné les Tournesols du Musée Yasuda Kasai. Louis van Tilborgh et Sjraar Heugten ont scruté la toile, mais une comparaison avec les versions d’Amsterdam et de Londres reste indispensable. “Nous n’avons aucune raison de douter de son authenticité. Nous estimons toutefois qu’un examen plus poussé est indispensable afin de l’établir définitivement, et nous n’avons pas encore fait le travail nécessaire pour publier un rapport raisonné”, a expliqué John Leighton.

L’autre sujet débattu lors du symposium du 15 mai était la provenance des diverses versions des Tournesols. Dans une étude détaillée publiée dans le numéro de mai du Burlington Magazine, le professeur Bogomila Welsh-Ovtcharov, de Toronto, a produit de nouveaux témoignages documentaires. Elle a affirmé que la version aujourd’hui au Philadelphia Museum of Art a été offerte à Gauguin peu de temps après son exécution, en 1889. La même spécialiste a également avancé que c’est la toile de Yasuda qui a été vendue en 1894 par Jo Bonger, par l’intermédiaire de la veuve du Père Tanguy, le marchand de couleurs, et qu’elle a été achetée par Émile Schuffenecker.

D’autres participants au symposium ont mis en doute les découvertes du professeur Welsh-Ovtcharov. Walter Feilchenfeldt, expert reconnu de Van Gogh et marchand d’art à Zurich, a affirmé qu’elle n’avait “pas prouvé que la version de Philadelphie appartenait à Gauguin”, et il a proposé une lecture différente des livres de comptes de Vollard qu’elle avait cités. Benoît Landais, spécialiste néerlandais indépendant de Van Gogh, a fait circuler une brochure présentant ses propres arguments. Il affirme que c’est la version de Philadelphie qui a été vendue par l’intermédiaire de la veuve Tanguy, et avance que le tableau de Yasuda est un faux réalisé par Émile Schuffenecker. Antonio de Robertis, de Milan, a soutenu des positions semblables lors du colloque.

Cinq ou six théories
Louis van Tilborgh, conservateur en chef du Musée Van Gogh, a déclaré qu’il avait entendu cinq ou six théories au cours du symposium. “Nous avons besoin de temps pour vérifier les arguments de beaucoup plus près”, a-t-il admis. Il existe aujourd’hui des désaccords considérables sur la question de la provenance, mais la plupart des spécialistes reconnus de Van Gogh estiment toujours que le tableau de Yasuda est authentique.

Bien que le problème des Tournesols ait incontestablement dominé la discussion finale, le colloque de Londres a été consacré à de plus amples discussions sur Van Gogh, dont une bonne partie ont porté sur les nouvelles recherches en cours au musée d’Amsterdam. Les deux projets les plus ambitieux sont, d’une part, un catalogue détaillé des tableaux et des dessins du musée (sept volumes, publiés à la cadence d’un par an) ; d’autre part, une édition définitive des lettres de Van Gogh (treize volumes prévus). L’achèvement des deux projets est annoncé pour 2002. Après le symposium, John Leighton a souligné qu’il restait encore beaucoup à faire : “Il existe une masse immense de documents sur Van Gogh, mais beaucoup de choses n’ont pas survécu”. Il faudra encore de longues recherches pour remettre en place toutes les pièces du puzzle.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°62 du 5 juin 1998, avec le titre suivant : Les Tournesols dans la bataille

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